L’ESPRIT LIBÉRAL DU CORAN – 1905 : Abdelaziz Et-Téalbi

  • 16 novembre 2020
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  • Écrit en 1904 par : ABDELAZIZ ETTÉALBI: LEADER POLITIQUE ET RELIGIEUX TUNISIEN
  • Traduit de l’arabe par: EL HADI SEBAÎ: EX SECRÉTAIRE AU GOUVERNEMENT TUNISIEN – EX INTERPRÈTE AU TRIBUNAL DE LA DRIBA
  • Publié à Paris en 1905 (Éditeur, Ernest LEROUX – 28, Rue Bonaparte) avec l’appui de: CÉSAR BEN ATTAR: AVOCAT DE ETTÉALBI, CORRESPONDANT DU MINISTÈRE DE L’INSTRUCTION PUBLIQUE

Avant-propos

Abdelaziz Ettéalbi (1876-1944) naquit à Tunis d’une famille algérienne, son grand-père Abderrahmane Thâalbi, un savant algérien qui combattit les français qui envahirent son pays (l’Algérie) en 1830. Se toucha par des balles dans la poitrine, il eut un rôle distingué. Il refusa les grandes tentations que le colonialisme lui proposa, comme le poste de juge des juges. Il quitta sa ville (Bejaia) à Tunis, laissa derrière lui, sa maison, sa propriété, ses biens, sa famille et sa patrie.

Abdelaziz Ettéalbi, apprit le Noble Coran dès son jeune âge, il étudia la grammaire, la doctrine et les mœurs islamique, avant de rejoindre la mosquée Ez-Zitouna, dans laquelle il passa sept ans, en 1894, avant même d’obtenir son diplôme « Ettatouiî », quête de protestation contre le système éducatif et la qualité de l’enseignement « Zeytounien ».

Pour le bien de son peuple, et de sa nation arabe et islamique, il s’impliqua dans la vie publique, luttant pour l’amour de Dieu et de sa Patrie. Portant son intérêt à la presse, en 1895 il fonda le journal « Sabilou Arrached » et contribua à la fondation du journal « Al-Hadhira » et dirigea, avec Ali Bach Hanba, la version arabe du journal « Attounisi » (Le Tunisien).

En 1896, il quitta la Tunisie pour l’Egypte où il rejoignit Cheikh Mohamed Abdah, Cheik Rachid Ridha et le révolutionnaire Abderrahmane El-Kawakibi, tant il fut sensible à leurs appels pour la reforme aussi bien religieuse que sociale.

De retour à Tunis en 1904, il propagea les idées réformistes de Jamel Al-Din Al-Afghani (1838-1896), du mufti éclairé, l’Égyptien Mohamed Abdah (1849-1905) et de Rachid Ridha (1865-1935), animateur du journal Al-Manar.

A peine rentré d’Orient qu’un groupe de savants et de littrés l’entourait et poursuivait son ombre, impressionnés par la douceur de son expression, l’éloquence de sa logique, la force de ses arguments et sa capacité à analyser les sujets de manière implacable, sans ennui ni léthargie. Il visita les mosquées et les cafés de Tunis.

À la suite de propos hostiles à un marabout très connu et célèbre dans le milieu populaire traditionnel tunisien (Sidi Bel Hassan Ech-Chedeli). Des cheikhs traditionnalistes Zeitouniens, lui intentent un procès d’opinion le 23 juillet 1904, Condamné à deux mois de prison, il profite de cette incarcération pour mettre ses réflexions sur papier

Il côtoya son avocat Me César Ben Attar, qui lui proposa de faire entendre sa voix libérale en dehors de la Tunisie, à savoir, dans le milieu politique français.  C’est dans ce contexte, que le prédicateur, Abdelaziz Ettéalbi, et par l’encouragement de son avocat, il réplique par ce livre, « L’esprit libéral du Coran », traduit en langue française par El Hedi Essebîi (interprète judiciaire).

Imprimé et publié à Paris par l’intermédiaire de César Ben Attar (avocat juif).

A la suite des incidents du cimetière Al-Jallaz survenus en 1912, il a été déporté en France qu’il quitte quelque temps après, pour se rendre d’abord en Turquie puis au Moyen Orient. De retour en Tunisie en 1914, il écrit son livre intitulé « La Tunisie Martyre : Ses revendications ».

C’est en 1919 qu’il fonda le Parti libre du Destour tunisien (Parti libre constitutionnel tunisien », dont la création officielle fut annoncée officiellement le 3 Juin 1920.

En 1923, il quitte la Tunisie pour émigrer en France puis en Italie et enfin aux proche et extrême Orient. De retour en Tunisie en 1937, et à la suite de son différend avec Bourguiba, il se retire de la vie politique pour se consacrer aux affaires de sa famille jusqu’à sa mort le 1er Octobre 1944.

Il s’est intéressé particulièrement à la langue arabe en tant que l’une des composantes essentielles de l’entité nationale, lui consacrant, dans son ouvrage « La Tunisie martyre », plusieurs passages pour la défendre et promouvoir son enseignement et sa vulgarisation.

 

CÉSAR BEN ATTAR

César Ben Attar (1868-1937), Avocat au barreau de Tunis et correspondant du Ministère de l’instruction publique, est un tunisien descendant d’une famille juive : Haïm, Abraham, Nissim, Albert et César Ben Attar, des frères avec leurs 582 hectares à Henchir El Guedya et Henchir Techga, ils sont considérés parmi les juifs riches de Tunisie.

En 1901, il publie « l’Histoire du petit serpent vert, de la fille du marchand et de la sorcière ». En 1923, il édite à Paris « Le Bled en lumière », un recueil de contes qui fait une large place au folklore des Juifs tunisiens. Il rédige également une étude intitulée « Les colonies israélites de Tunisie » publiée dans Histoire de la ville de Tunis de Roger Dessort en 1926.

En 1924, il écrit un conte appelé « Le cinéma aux enfers » qui fait un bilan du protectorat français de Tunisie, mettant en scène des personnalités comme Mustapha Khaznadar, Khair-Eddine Pacha et Charles Lavigerie (Archevêque de Carthage).

Quant à « l’Esprit libéral du Coran » dans l’édition de 1905, César Ben Attar apparaît en 1er avec Abdelaziz Ettéalbi et El Hedi Sebaï. Alors qu’en réalité, César Ben Attar n’est pas l’auteur du livre, comme il paraît à l’esprit du lecteur.

Dans des versions récentes[1], César Ben Attar est mentionné comme étant l’auteur unique du livre. C’est une falsification, chose que je peux la qualifier d’un « viol du droit de l’auteur » que personne, en l’absence d’un éveil intellectuel en Tunisie, ne se permet de le défendre.

Juif, riche, bien placé auprès du gouvernement tunisien aussi que les autorités françaises[2], fut l’avocat de Abdelaziz Ettéalbi dans son célèbre procès du 23 juillet 1904. Ce procès qui a fini par l’emprisonnement de Thâalbi de 2 mois de prisons fermes, après son combat féroce et sans merci contre les confréries des marabouts ; ainsi que les idées conservatrices des « Cheikhs Zeitounien »[3].

Le chercheur, écrivain et historien Hammadi Al-Sahili (1928 – 2002) a rapporté son témoignage sur ce livre et a déclaré : « Dès sa sortie de prison, Cheikh Abdelaziz Ettéalbi a écrit un livre en arabe pour répondre à ses opposants et montrer l’islam dans la manifestation de la religion fondée sur les fondements de la justice, de la liberté et de la tolérance ».

Après des discussions très rapprochées entre l’avocat et son « client » durant son incarcération. Il se peut que l’idée de publier les « pensées libératrices » d’Ettéalbi dans un livre en langue française, fut de César Ben Attar. Il reste à trouver un ami qui s’occupe de la traduction du livre en langue française, tâche attribuait au professeur El Hedi Sebaï.

 

El Hedi sebAÏ

Est un « Sadiki[4] », interprète auprès du tribunal de la Driba (Tunis), ex-secrétaire au gouvernement tunisien. Connu par ses idées libératrices et son engagement pour une Tunisie libre et prospère.

Notre traducteur a vécu à cette époque (1875-1930), connue par la présence croissante des communautés européennes – en France comme en Tunisie- et l’émergence d’une élite, d’intellectuels, de journalistes, amenant une vague d’idées de gauche[5], qui prône la laïcité, l’éducation, la justice sociale, la libération et l’émancipation des peuples.

Mehdi Ben Hamida
Lausanne, le 15 novembre 2020


[1] Éditeur : Fb&c Limited, 7 mai 2018 (110 pages), ISBN 0666290946, 9780666290946. Une autre version du 14 mars 2018 (108 pages), ISBN : 0364587059, 9780364587058

[2] En 1900 Il fut nommé officier de l’académie française pour services rendus à la science. Cette nomination a été faite sur la proposition de M. Gauckler, directeur des Antiquités et BeauxArts, à l’occasion des fouilles qu’il a pratiquées depuis quinze mois dans la propriété de M. Ben Attar à Dermech (Carthage).

[3] Un conseil scientifique fondé par Ahmed Bey en 1842, il se compose de Cheikh Al-Islam Al-Hanafi, d’Al-Mufti Al-Maliki, d’un juge Hanafi et d’un autre Maliki, ainsi que d’un conseil officiel composé de trente enseignants.

[4] Diplômé du « Collège Sadiki » (en arabe : المدرسة الصادقية). Le premier lycée franco-arabe de Tunisie. Fondé par en 1875, après un processus de renaissance et de modernisation commencé en 1840.

[5] Khair-Eddine Bêcha En effet, en 1905 à Paris, le congrès du Globe signe l’unification du socialisme français (union du PSDF et du PSF), donnant suite au congrès socialiste international d’Amsterdam de 1904.


DÉDICACE

Ernest VALLÉ
Me Ernest VALLÉ (1845-1920)

A Monsieur VALLÉ,
sénateur, ancien ministre de la Justice (*)

MONSIEUR LE SÉNATEUR,

Permettez-nous de vous dédier, titre d’hommage respectueux, notre ouvrage “l’Esprit libéral du Coran“. Nous ne saurions choisir de meilleurs auspices que les vôtres, car nous connaissons tous. la libéralité de votre esprit et nous savons l’importance de l’œuvre sociale, qu’a accomplie le ministère, dont vous avez fait partie pendant près de trois ans.

Notre œuvre ne tend qu’à un but essentiellement social : le rapprochement découlant du Coran et des Hadiths et s’imposant entre Musulmans et non Musulmans. Ce but, nous l’atteignons par l’interprétation littérale et rationnelle des deux seules sources de la religion musulmane du Coran, et des Hadiths (commentaires du Coran, faits par Mahomet et propos tenus par lui pendant son existence). Ainsi, nous croyons faire œuvre utile et nécessaire à l’humanité entière et à l’action civilisatrice de la France et des nations européennes en général dans les pays musulmans.

L’idée, cause de notre ouvrage, nous a été inspirée par le vote, par la Chambre des Députés, de l’ordre du jour Jaurès, au sujet de la pénétration pacifique du Maroc. D’aucuns, et c’est le grand nombre, ont qualifié de pure utopie cette idée de l’éminent orateur et philosophe socialiste. Pour nous, qui connaissons l’Orient, pour y avoir vécu, pour y vivre encore, en contact continu avec les Musulmans et tous les éléments disparates de sa population, nous avons admiré sans réserves le don d’intuition, que la science seule a inspiré à l’admirable sociologue, et nous avons tâché, dans notre œuvre, de contribuer à cette pénétration pacifique et de démontrer aux Musulmans qu’ils peuvent, qu’ils doivent même, aux termes de leur religion, se laisser diriger, nous dirons même se donner entièrement à la France, sans porter atteinte aux préceptes de leur religion ni à leurs croyances.

La méthode que nous avons suivie, est la suivante : nous avons d’abord défini la religion musulmane, qui n’est pas, d’après le Coran, une religion faite pour les seuls Arabes, mais une religion en quelque sorte universelle, puisque, toujours d’après le Coran, elle doit s’étendre à l’humanité entière. Nous avons ensuite démontré que le corail impose, dès le septième siècle (le l’ère chrétienne, l’instruction obligatoire pour tous les adeptes la reconnaissance et le respect de toutes les autres religions monothéistes, qu’elle leur prescrit avant toutes choses la liberté de croyance et le respect de toutes les opinions, qu’elle recommande l’amour du prochain, qu’elle admet le mariage entre Musulmans et femmes non musulmanes et qu’elle ordonne aux maris le respect de la religion de leurs femmes, et leur impose l’obligation de leur laisser exercer librement leurs cultes et de les aider dans l’accomplissement de cet exercice.

Nous avons enfin démontré que la religion musulmane consacre le principe d’éternelles récompenses pour tous les hommes vertueux de toutes les autres religions. Toutes ces démonstrations nous les avons étayées de versets du Coran et de propos des Hadiths.

Nous nous sommes permis une seule digression. Nous avons voulu, bien que cela ne fît partie qu’accessoirement de notre sujet, établir que la femme musulmane ne doit pas être l’éternelle recluse, frappée d’ostracisme, l’instrument de plaisir, que les faux interprétateurs ont voulu présenter, mais la mère de famille, la compagne du mari, soucieuse de ses intérêts et des intérêts de ses enfants, ayant droit à sa place au foyer, l’existence, au soleil, tout comme la femme européenne.

Ensuite, nous appuyant sur des faits scrupuleusement contrôlés par l’histoire, nous avons fait la preuve que l’interprétation libérale du Coran, que nous avons adoptée, a fait avancer la civilisation musulmane au-delà de toutes les civilisations co-existantes pendant les premiers siècles de l’Islam.

Nous avons ensuite établi comment l’interprétation fausse, erronée, haineuse et néfaste, due en grande partie aux confréries, a brisé cet élan merveilleux de la civilisation musulmane et a fait rétrograder les peuples musulmans non seulement jusqu’aux premiers temps de l’Islam, mais encore jusqu’aux premiers temps de l’humanité.

C’est par cette interprétation, que pour la plupart des musulmans la religion musulmane n’est plus la religion musulmane, mais une espèce d’idolâtrie, une adoration de chefs de sectes et de chefs de confréries.

Enfin, nous avons souhaité que par une interprétation littérale, rationnelle, scientifique, libérale et vraie en un mot du Coran et des Hadiths, les peuples musulmans revinssent leur splendeur intellectuelle passée et nous avons estimé qu’avec la collaboration civilisatrice de la France, des enfants de ceux qui ont proclamé les principes de la Révolution Française, les esprits musulmans, débarrassés enfin de toutes superstitions et de tous préjugés, pourront contribuer un jour, en collaboration avec leurs Protecteurs, à l’avancement commun de la civilisation mondiale.

Des esprits comme le vôtre, Monsieur le Sénateur, ne peuvent pas douter (le cette vérité scientifique et humaine ; et c’est parce que votre passé politique nous répond de la libéralité de votre esprit, de votre dévouement votre patrie, la France, qui est la patrie do toutes les intelligences, de tous les génies et de l’humanité entière, que nous vous dédions notre opuscule et que nous vous choisissons pour son protecteur, pour le présenter aux peuples musulmans et à la France.

Daignez agréer, Monsieur le Sénateur, l’hommage de notre profond respect et de notre reconnaissance infinie,

Signé : C. BENATTAR, ABDELAZIZ ETTEALBI, EL HADI ESSEBAAI.


Réponse de M Ernest Vallé:

À MM. Benattar, Abdelaziz Ettéalbi, El Hadi Essebaài

MESSIEURS,

Vous avez bien voulu m’entretenir, pendant mon court séjour à Tunis, de votre livre en préparation : « l’Esprit libéral du Coran », où vous entendez démontrer que la Religion Musulmane impose, avant toutes choses, la liberté de croyance ainsi que le respect des différentes opinions, l’amour du prochain et le relèvement de la femme. Vous me demandez maintenant d’en accepter la dédicace.

Comment ne répondrais-je pas affirmativement à une offre aussi flatteuse ? La justice, que vous réclamez pour chacun, est la sauvegarde nécessaire de la liberté morale, source de toutes les autres libertés. J’ai trop conscience de cette vérité pour ne pas applaudir à votre généreux effort.

Mon nom sera-t-il d’un grand secours ? Je n’ai pas la prétention d’y croire. Aussi ma reconnaissance n’en est-elle que plus vive et je vous demande de la manifester en souhaitant à votre œuvre le succès que méritent les hommes de cœur et de talent, qui l’ont entreprise.

Signé : VALLÉ

(*) Ernest VALLÉ (Avocat):

  • Député de la Marne de 1889 à 1898.
  • Sénateur de la Marne de 1898 à 1920.
  • Sous-secrétaire d’Etat à l’Intérieur du 28 juin au 26 octobre 1898.
  • Ministre de la Justice du 7 juin 1902 au 18 janvier 1905.

1ère partie du livre: “L’ESPRIT LIBÉRAL DU CORAN”

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