LES CONFRERIES MUSULMANES DANS L’AFRIQUE SEPTENTRIONALE

  • 31 décembre 2018
  • 0
  • 352 Views
Tunisie Mosquée Ez-Zeintouna
31 Déc

Nous avons dit qu’on comptait une centaine de confréries musulmanes. Quelques-unes ont à peu près disparu, d’autres n’ont d’importance que dans certaines contrées lointaines, d’autres enfin ne comptent que peu d’adhérents. Nous nous contenterons de citer les principales de celles qui sont établies dans l’Afrique septentrionale, en insistant plus particulièrement sur celles qui paraissent destinées à jouer un rôle politique quelconque.

La plupart de nos renseignements à cet égard seront empruntés au travail de M. Rinn, que nous avons déjà cité et dans lequel se trouvent résumés la plus grande partie des travaux faits sur cette question et dont la plupart ont paru dans des Revues d’Algérie qu’il est très difficile de se procurer en France. Voici donc la nomenclature de ces confréries :

Lcs Qaderya (القَادرية)

Les Kaderya. ou Qaderya sont les disciples d’un des plus grands saints de l’Islam, SidiAbd-el-Kader-el-Djilani, qui vivait à Bagdad au xie siècle et qui est resté comme un des types les plus accomplis de la charité humaine. Àbd-elKader-el-Djilani qui fit toujours preuve d’un respect profond pour Jésus-Christ, avait beaucoup de sympathie pour les chrétiens, et ses disciples ont toujours été plus bienveillants que les autres musulmans à l’égard des catholiques.

On sait que Mahommed-Achmed, le mahdi du Soudan, a été moins cruel qu’on ne pouvait le craindre vis-à-vis des soeurs de charité et des missionnaires français et italiens tombés entre ses mains. Mahommed-Achmed appartenait à la confrérie des Kaderya, c’est peut-être à cela que ses prisonniers ont dû la vie.

La réputation de sainteté d’Abd-el-Kader-elDjilani est établie dans tout le monde musulman, et on trouve également partout des membres de la confrérie qu’il a fondée. Son siège central est à Bagdad. Le but de son fondateur a été, d’après ses écrits et ce que l’on a conservé de son enseignement, non-seulement de relever la foi religieuse par la prière et de pieuses pratiques, mais encore d’encourager les hommes à s’entraider et à se secourir selon leurs moyens. L’ordre est non-seulement très influent, mais encore très riche ; aussi applique-t-il souvent en faveur de ses adeptes les principes de son fondateur, ce qui lui donne une influence morale et matérielle considérable.

On peut reconnaître les qaderya à leur attitude pendant la prière ; ils se tiennent accroupis, les jambes croisées, la main ouverte, les doigts écartés sur le genou. Dans cette posture, ils récitent, après chacune des cinq prières obligatoires, 165 fois de suite la formule de l’unité de Dieu : Il n’y a d’autre Dieu qu’Allah. Bon nombre ajoutent à ce dikr d’autres récitations qui remplissent une partie de la journée. Les qaderya ont coutume de se réunir pour prier. Ils se placent comme nous l’avons dit, formant un cercle et répètent d’une façon rythmée les prières dont ils s’imposent la récitation.

La réception d’un nouveau frère est entourée d’un grand cérémonial et le formulaire auquel doit répondre le catéchumène est d’une longueur à faire reculer un homme qui ne serait pas profondément convaincu. Une fois le néophyte reçu, il lui est délivré un brevet qui aidera à le faire reconnaître par ses nouveaux frères.

Les qaderya, très nombreux au Maroc, le sont moins en Algérie et encore moins en Tunisie. Beaucoup se sont fait affilier aux snoussya. Dans le monde musulman, leur nombre est immense et leur influence énorme. Ils forment une des grandes forces de la levée des boucliers des musulmans du Soudan, et s’ils ne dirigent pas absolument le [mouvement, ils fy prennent une part des plus active.

Les Chadelya et Madanya

Un autre ordre important est celui des Cha-1 delya qui se divise en plusieurs branches. Son fondateur, Choaïb abou Médian, né en Espagne, vint prêcher au Maroc et en Algérie où il’mourut; C’était, d’après ses écrits, un mystique aussi obscur que profond. Son enseignement n’était pas de nature à faire de son ordre une confrérie turbulente et s’occupant de politique, mais une fraction de ses disciples dont le centre d’action est actuellement en Tripolitaine et qui a pris le nom de Madanya, peut passer pour une des sectes les plus hostiles aux chrétiens. Nous avons toujours trouvé des chefs des madanya parmi nos adversaires dans les insurrections de l’Algérie. Après avoir essayé de nous nuire par leurs propres forces et voyant qu’ils n’y pouvaient parvenir, ils se sont pou à peu laissé aller à subir l’influence des snoussya ; on assure que le sultan actuel de Constantinople, Abd-ul-Hamid, est s.Tiliê aux madanya qui lui servent d’intermédiaires pour communiquer avec Si-Snoussi.

Une des caractéristiques des madanya est leur aversion profonde pour tous les représentants d’une autorité quelconque. Ce sont de vrais révoltés dans le sens propre du mot et révoltés aussi bien contre les fonctionnaires du sultan que contre ceux du gouvernement français ou du Bey de Tunis. Us sont tellement connus sous ce rapport qu’on les désigne généralement sous le nom de Dorqaoua qui signifie insurgés, révoltés.

Les madanya et en général tous les chadelya prient accroupis, les jambes croisées, les genoux relevés, les bras jetés autour des jambes, la tête baissée entre les genoux et les yeux fermés. De temps en temps, ils relèvent la tête pour proférer l’invocation à Allah. Leur turban a une extrémité qui pend par derrière, ils doivent prier au moins une demi-heure chaque jour et une demi-heure chaque nuit pour réciter le dikr de la confrérie : Ce dikr est assez simple, voici en quoi il consiste :

  • dire 100 fois « je demande pardon à Dieu »,
  • dire 100 fois « que les grâces divines soient sur le Prophète »,
  • dire 1,000 fois « il n’y a d’autre Dieu qu’Allah ».

En outre, il y a de nombreuses prières qui se doivent réciter à certains jours du mois et dans les diverses circonstances de la vie.

Les chadelya sont nombreux en Algérie, les madanya sont installés surtout en Tunisie et en Tripolitaine. On nous a assuré que la plupart des « dissidents », c’est-à-dire des Tunisiens qui se sont expatriés au moment de l’occupation française appartenaient à la confrérie des madanya.

Les chadelya en général, même ceux qui ne nous sont pas absolument hostiles, ne se considèrent comme tenus au respect et à l’obéissance que vis-à-vis de leurs chefs particuliers. Us suivent en cela les préceptes de leur organisateur, Sidi Chadeli, qui a formulé cette théorie : « obéis à ton cheikh avant d’obéir au souverain temporel. » Cette phrase explique leur attitude vis-à-vis des autorités.

Les Tidjanya

Un troisième ordre religieux dont l’influence est considérable dans l’Afrique septentrionale est celui des Tidjanya, fondé vers 1780 dans les environs de Laghouat en Algérie, par Sidi Ahmed el Tidjani, originaire de la petite ville d’Aïn Mahdi, où se trouve encore la principale zaouia de la confrérie : une autre zaouia, presque aussi importante existe à Temacin.

Les tidjanya, au rebours de la plupart des confréries musulmanes, ont toujours manifesté une certaine sympathie pour les Français. Très puissants dans le Sud, au moment de la prise d’Alger, ils ne manifestèrent aucune hostilité contre nous. Depuis cette époque, ils ont refusé de se mêler aux divers mouvements insurrectionnels qui ont eu lieu en Algérie et leur opposition à l’émir Abd-el-Kader amena entre eux et lui une lutte sanglante qui se termina par la prise d’Aïn-Madhi par l’émir et sa destruction partielle.

Ce n’est pas que les tidjanya aient la moindre affection pour la domination des chrétiens ; loin de là, mais, du moment que l’autorité française n’opprime pas les musulmans au point de vue religieux, ils estiment qu’elle doit être acceptée ou tout au moins subie sans résistance jusqu’aux jours fixés par Dieu pour notre départ. C’est à cette théorie que nous devons d’avoir toujours trouvé chez les tidjanya une neutralité qui s’est même parfois transformée en alliance positive quand les intérêts ou les antipathies personnels de leurs chefs se sont trouvés en jeu.

Le gouvernement français a donc toujours entretenu avec les tidjanya des relations relativement cordiales. A plusieurs reprises le chef de l’ordre a donné à nos voyageurs des lettres de recommandation pour ses moqaddem, fort nombreux dans la région qui s’étend de l’Algérie au Sénégal. D’autre part, l’autorité française ne manque jamais de témoigner au Cheikh des égards tout particuliers. En 1885, ce haut personnage voulut faire le pèlerinage de la Mecque. Pour s’embarquer à Tunis en venant d’Aïn-Mahdi, il traversa toute la Régence et par ordre de la Résidence française, les plus grands honneurs lui furent rendus sur tout son passage. Son embarquement eut lieu avec une solennité extraordinaire et à son retour, comme il existait des quarantaines, on s’arrangea de façon qu’il put subir cette formalité sanitaire dans des conditions tout à fait exceptionnelles.

L’ordre des tidjanya est un ordre fermé, c’est-à-dire que ceux qui en font partie ne peuvent se faire affilier à aucune autre. Cette particularité est peu commune dans les confréries musulmanes, car il n’est pas rare de voir de fervents mahométans affiliés à cinq, six, dix confréries ou même davantage. Le Cheikh des snoussya cherche à réunir autour de son ordre une soixantaine de confréries diverses auxquelles il appartient lui-même et dont il connaît à fond les opinions et les pratiques spéciales.

On comprend donc tout l’intérêt du gouvernement français à s’appuyer sur cet ordre qui ne peut se fondre dans aucun autre et on ne saurait qu’applaudir aux efforts tentés en ce sens par le commandant Coyne, l’auteur du beau travail sur le M’sab, qui est actuellement directeur des affaires musulmanes à la Résidence française à Tunis.

En outre la caractéristique des tidjanya est d’être essentiellement Algériens et Tunisiens. L’ancien Bey de Tunis Mohamed-ès-Sadock appartenait aux tidjanya et la plupart des fonctionnaires de son gouvernement aussi. Il y a eu là un élément de tranquillité dont on a su heureusement tirer parti depuis notre occupation de la Régence et il faut espérer qu’on ne cessera pas de le cultiver.

Les tidjanya qui se servent entre eux du mot Habab (ami) au lieu du mot Ashab (compagnon) adopté par presque tous les khouan sont facilement reconnaissables à leur chapelet en bois de santal, dont les grains, dit le commandant Rinn, sont séparés en six groupes par cinq flocons de soie rouge très apparents. Un sixième flocon pareil termine le chapelet à sa base et est surmonté de six rondelles plates de même diamètre que les grains mais glissant moins facilement que ces derniers sur le cordon en soie rouge qui leur sert de monture.

Ces rondelles servent à marquer les centaines dans la récitation du dikr qui est ainsi conçu :

100 fois « Dieu clément » 100 fois « Que Dieu pardonne » 100 fois « Il n’y a d’autre Dieu qu’Allah » 100 fois « 0 Dieu ! répands tes grâces, accorde le salut à notre Seigneur Mohammed qui a ouvert ce qui était fermé, qui a clos ce qui a précédé, qui a établi le droit découlant du droit. » plus douze fois un verset du Coran ou une longue prière.

Ce dikr doit être récité à haute voix, trois fois par jour, le matin, à la prière de l’aprèsmidi [acer ou asr), et au coucher du soleil.

Les tidjanya sont très répandus, non seulement en Algérie et en Tunisie, mais encore au Maroc et dans toute l’Afrique occidentale, principalement vers nos possessions du Haut-Fleuve. On comprend dans ces conditions quel intérêt nous avons à les ménager et à faire de leurs cheiks les chefs officiels de la religion musulmane dans les pays soumis à notre domination.

Les Rahmanya

Une quatrième confrérie influente est celle des Rahmanya, fondée comme celle dos Tidjanya à la fin du siècle dernier par Sidi-Mahmed-ben-Abd-Er-Rahman, originaire du Djurdjura. Ce saint personnage offre une particularité spéciale, celle d’avoir deux tombeaux, dans chacun desquels une tradition accréditée veut qu’il repose. Ce qui a donné lieu à cette légende, c’est qu’après sa mort, les Turcs qui occupaient Alger enlevèrent ou firent enlever son corps pour l’enterrer au Hamma, près d’Alger, afin que ses partisans ne fissent pas du lieu de sa sépulture un centre de réunion. De leur côté, les disciples de Ben-Abd-Er-Rahman prétendirent avoir conservé le corps de leur maître dans sa zaouia des Aït-Smaïl.

Bien que beaucoup de confréries religieuses musulmanes admettent des femmes parmi leurs adeptes, c’est celle des raraanhya qui en compte certainement le plus. Les Khouata (soeurs) sont organisées comme les khouan sous la direction de Moqaddema, qui les dirigent comme les moqaddem dirigent les hommes.

Les rahmanya qui sont d’ailleurs les ennemis irréconciliables des tidjanya, ont continuellement manifesté pour les Français très peu de : sympathie. Ils ont toujours appuyé dans une certaine mesure les insurrections fomentées en Algérie contre notre autorité.

Souvent leurs zaouia ont été détruites par nos soldats, leurs cheiks pris et déportés, mais \ ces répressions sévères n’ont fait qu’attiser leur i haine contre les chrétiens. Leur chef actuel, Si; Aziz, fait prisonnier après la révolte de 1871, avait été déporté en Nouvelle-Calédonie. En ‘ 1881, il est parvenu à s’évader et il vit aujour; d’hui à La Mecque, essayant de négocier avec ; les autorités françaises les conditions de sa rentrée en Algérie.

Le dikr des rahmanya consiste à répéter aussi souvent que possible :

« Il n’y a d’autre Dieu qu’Allah. » A répéter 80 fois de suite ; « 0 ! mon Dieu ! accordez vos faveurs à notre Seigneur Mohammed, le prophète illettré, à sa famille, à ses compagnons, et sur lui le salut. » Dans les zaouia des rahmanya, les khouan se relèvent d’heure en heure pour reprendre la prière, afin que les louanges de Dieu ne subissent aucune interruption. C’est l’adoration perpétuelle des chrétiens.

Comme nombre, les rahmanya constituent la confrérie musulmane la plus nombreuse qui existe en Algérie, ils ont d’ailleurs des relations très étroites avec les chadelya, dont nous avons parlé plus haut, avec les kheloutya, une secte importante d’Egypte et avec les snoussya de la Tripolitaine ; ce sont pour les chrétiens des adversaires acharnés que nous trouverons toujours au premier rang de nos ennemis. Leur influence est très considérable et on peut certainement en attribuer une bonne part aux femmes qui font partie de la corporation.

L’influence féminine

Ce serait en effet une illusion de se figurer que les femmes ont moins d’influence dans le monde musulman que dans le nôtre. Pour s’exercer dans d’autres conditions que chez nous, cette influence n’en existe pas moins.

Les musulmans font bien peu d’affaires, prennent bien peu de décisions, sans consulter leurs femmes. « Que diraient nos femmes ? Que penseraient nos femmes ? Nos femmes ne voudraient plus nous voir ? » Telles sont les phrases que répètent constamment les indigènes et les femmes ont une part beaucoup plus grande qu’on ne le suppose aux affaires politiques dans le monde musulman.

Nous avons exposé à grands traits les caractères des quatre principales congrégations musulmanes de l’Afrique septentrionale et plus particulièrement en Algérie et en Tunisie. Avant de passer à l’étude de la plus importante de toutes, celle des Snoussya, il nous faut signaler rapidement quelques-unes de celles qui, quoique n’ayant qu’une influence secondaire, n’en constituent pas moins des centres de vitalité religieuse d’une importance réelle.

Les Bakkaya

Ainsi nous ne saurions passer sous silence les Bakkaya, dont le centre est à Tombouctou et qui exercent une influence considérable dans toute la région qui s’étend du sud de nos possessions jusqu’à la grande ville africaine. Ces bakkaya s’occupent d’ailleurs beaucoup plus de religion proprement dite que de politique religieuse. Us sont pourtant de fidèles musulmans et à ce titre inclineront toujours davantage du côté de nos ennemis les snoussya que du nôtre. La présence des Touaregs, ces pirates du désert qui parcourent sans cesse, pillant, tuant et détruisant, la région qui sépare Tomboutou de Djer-Boub, est peut-être la seule raison qui a retardé l’évolution des bakkaya vers les doctrines panislamiques du cheik des snoussya.

Les Ouled-Sidi-Cheikh

Une autre congrégation importante est celle que représente la grande tribu des Ouled Sidi Cheikh, cette famille de marabouts dont l’influence est considérable dans l’Algérie méridionale. Les Ouled Sidi Cheikh qui descendent en droite ligne du Khalife Abou Bekr occupent en Algérie une situation exceptionnelle due à leur origine et aussi au souvenir des nombreux marabouts qu’ils ont fourni depuis que, dès le premier siècle de l’Islam, ils sont venus s’établir dans le pays qu’ils occupent encore aujourd’hui. Leur nombre étant devenu très considérable, les rivalités qui se sont élevées entre leurs chefs ont amené une diminution de leur influence politique, [mais celle-ci n’en est pas moins encore considérable.

Les Taybbya

Les Taybya dont le siège principal est à Ouazzan dans le Maroc ont également une importance très grande. C’est à cet ordre que se fit affilier le voyageur et diplomate allemand Gherard Rholhfs quand il voulut explorer la région des Ksours et les lettres de recommandation que lui donna le Chérif d’Ouazzan le firent bien accueillir durant toutes ses pérégrinations.

L’ordre des taybya est célèbre par une prédiction tpii remonte à un de ses chefs, Mouiey Taïeb, qui vivait à la fin du dix-septième siècle. Cette prédiction renommée dans toute l’Afrique est ainsi conçue : {Mouiey Taïeb s’adressant à ses disciples leur dit :

  • « Vous dominerez plus tard tout le pays de
  • « l’Est. Tout le pays d’Alger vous appartiendra.
  • « Mais avant que mes paroles s’accomplissent il
  • « faut que cette contrée ait été possédée par les
  • « Français. Si vous vous en emparez mainte
  • « nant, ils vous enlèveront votre conquête ; si
  • « au contraire ils prennent le pays les prête
  • « miers, le jour viendra où vous le reprendrez
  • « sur eux. »

Selon le commandant Rinn, cette prophétie ne serait que la reproduction d’une autre que l’on trouve dans un recueil remontant au XIVe siècle et dans laquelle il est dit que les chrétiens doivent être les maîtres de tout le littoral africain avant l’arrivée du « Maître de l’Heure » (moul el Sâa) qui rendra à l’Islam l’empire universel.

On comprend l’effet que produisent ces prophéties sur un peuple croyant et crédule comme le sont les Arabes.

Les taybya qui ont une grande situation au Maroc et dans la province d’Oran ont un dikr qu’on peut qualifier de formidable. Les véritables khouan, ceux qui veulent parvenir au plus haut degré de sainteté ont un formulaire de prières qu’ils doivent répéter quatre mille six cent cinquante fois par jour. On se rend compte de l’état cérébral des hommes adonnés à de tels exercices.

Il existe certainement encore en Algérie, en Tunisie et surtout en Tripolitaine et au Maroc d’autres sectes religieuses relativement importantes soit par le nombre de leurs adhérents, soit par le fanatisme dont leurs khouan sont possédés. Nous n’en parlerons pas dans ce travail nécessairement un peu sommaire. D’ailleurs celles qui comptent un certain nombre d’adeptes sont pour la plupart affiliées aux cinq grandes congrégations dont nous venons déparier et leurs principes n’en diffèrent en rien. Les quelques divergences qu’on pourrait remarquer reposent sur des points secondaires de doctrine ou de forme extérieure du culte.

Les Aissaoua

Une secte cependant à laquelle les voyageurs portent plus d’attention en raison des exercices bizarres auxquels se livrent ses membres et qui à ce titre est plus connue que les autres est celle des Aissaoua. On connaît même en France ces singuliers personnages qui dans leurs représentations avalent des serpents, mâchent des scorpions, mangent des cailloux ou des morceaux de verre.

Ceux des aissaoua qui se livrent à ces exercices sont considérés par les musulmans instruits comme des saltimbanques et des jongleurs. Cependant les théories mystiques [des chefs et des initiés des hauts grades sont empreintes d’un tout autre caractère. Elles prétendent que par une aspiration permanente vers Dieu, par la sobriété, l’abstinence, l’absorption en Dieu, l’homme peut arriver à un degré tel que les souffrances corporelles et les mortifications physiques ne peuvent plus affecter les sens. Les traités de sagesse en usage dans les zaouia des aissaoua portent également la marque d’un mysticisme poussé à l’extrême limite ; beaucoup sont incompréhensibles pour ceux qui ne sont pas initiés. Les exercices des aissaoua qui se montrent au public pour de l’argent n’ont dans l’esprit des chefs d’autre but que de frapper les masses et d’entretenir leur croyance dans les faits miraculeux.

Bien que les aissaoua reçoivent sans la moindre répugnance l’argent des chrétiens qui assissent à leurs séances, leur affinité étroite avec les chadelya n’en fait pas moins une secte, du peu de sympathie de laquelle nous pouvons être certains, pour ne pas dire davantage.

Nous avons donné un aperçu sommaire des principales congrégations musulmanes qui existent actuellement dans l’Afrique septentrionale. Il nous reste à nous occuper de la plus importante, celle des Snoussya, qui est aujourd’hui la plus vivace, la mieux organisée et aussi la plus dangereuse pour nous, en raison de sa ferveur religieuse, de sa haine pour les chrétiens, de son extension prodigieuse, de ses ressources et du rôle qu’elle est appelée à jouer dans le monde. Nous pensons qu’à ces divers titres on peut lui consacrer un chapitre spécial.

Auteur: Marc Fournel
Extrait de son livre: La Tunisie – le christianisme & l’Islam dans l’Afrique septentrionale – 1880

Source: https://gallica.bnf.fr – Bibliothèque nationale de France

Laisser un commentaire

Votre adresse e-mail ne sera pas publiée.