Rapport au Président de la République sur la situation de la Tunisie : 1881-1890

  • 31 décembre 2018
  • 0
  • 290 Views
La Tunisie en 1890

MONSIEUR LE PRÉSIDENT,

J’ai l’honneur de vous présenter le rapport sur la situation financière de la Tunisie, l’action et le développement du Gouvernement du Protectorat, prévu par la loi du 9 avril 1884. Depuis plusieurs années, les communications faites par mon Département aux Commissions du budget ont paru suffire pour tenir le Parlement au courant des progrès accomplis dans la Régence. Mais, conformément à l’engage- ment pris par mon prédécesseur, M. Spuller, et pour obéir au texte de la loi, je crois devoir vous soumettre un exposé complet de l’état actuel du pays que le traité de 1881 a placé sous le protectorat de la France.

Les circonstances qui nous ont amenés à comprendre la Tunisie dans notre sphère d’action immédiate sont encore dans toutes les mémoires, et on sait dans quelle situation se trouvait la Régence au moment où nous avons pris en main la gestion de ses intérêts.

Au point de vue financier : le déficit permanent, les emprunts usuraires, la plus grande partie des ressources engagées à des créanciers étrangers, l’affermage de presque tous les revenus du pays, l’exploitation des contribuables par les intermédiaires, la perception violente des impôts, la fortune publique livrée au pillage.

Au point de vue administratif: tous les ressorts du Gouvernement affaiblis ou brisés, les transactions arrêtées, pas de routes, pas de ports, pas de travaux publics ou des travaux fastueusement inutiles, les populations manquant d’eau, dans un pays où l’eau est la vie, et livrées, sans défense et sans protection, aux accidents naturels et aux épidémies, et, par suite, notre frontière de l’Algérie sans cesse violée par des tribus indisciplinées et ouverte à tous les maux résultant d’un tel voisinage.

La France ne pouvait se désintéresser d’un état de choses qui n’était pas pour elle sans périls. Elle fut amenée à intervenir et assuma ainsi la tâche de restaurer un pays jadis prospère, mais qu’un désordre séculaire avait ruiné.

Les conditions dans lesquelles le problème se posait étaient nouvelles. Une nation de civilisation européenne se donnait pour mission de rétablir l’ordre, la paix publique et la prospérité dans un pays de civilisation musulmane, et cela sans faire disparaître le pouvoir local, sans prétendre le remplacer, mais en se contentant de le conseiller, de le contrôler et de le guider.

Telle fut la conception originaire du régime du protectorat. Tandis que la Tunisie, avec son sol fertile et sa population laborieuse, présentait un champ d’expériences particulièrement propice, la France se mettait à l’œuvre avec le sentiment exact de l’intérêt exceptionnel et de la nature particulièrement délicate de l’entreprise. Elle offrait ses administrateurs et ses militaires pour maintenir l’ordre public, ses juges pour rassurer les intérêts particuliers, ses ingénieurs pour concevoir et diriger les grands travaux, ses agriculteurs et ses vignerons pour apprendre à tirer parti de la richesse du sol.

D’autre part le voisinage de l’Algérie, la proximité des ports français de la Méditerranée, les relations commerciales antérieurement existantes, la confiance que le nouveau régime politique donnait à nos nationaux ne pouvaient manquer d’attirer ceux-ci sur le sol de la Régence. C’est ce qui se produisit en effet. La fertilité du sol tunisien et particulièrement la disposition favorable de certaines régions pour la culture de la vigne déterminèrent bientôt un courant de colonisation de la France vers la Tunisie. Et ce courant eut pour effet particulier de diriger vers la Régence non seulement des hommes, mais aussi des capitaux. On comprit rapidement qu’il convenait de préparer le système législatif nouveau de telle façon qu’il pût offrir un abri sûr aux tentatives si intéressantes qui allaient se produire.

Il fallait donc, à la fois, ménager des intérêts respectables se rattachant au passé, et pourvoir à de nouveaux intérêts devant lesquels s’ouvrait l’avenir.

C’est à ce double but que durent répondre l’ensemble et le détail des mesures qui furent prises, et qui ont fait de la Tunisie troublée et accablée de 1881 la Tunisie pleine de vie et pleine d’élan de 1890.

Les mesures qui forment l’œuvre du Gouvernement du Protectorat ou qui sont dues à son influence peuvent se répartir en quatre groupes principaux concernant : 1 ° La réorganisation et la réforme administratives (chap. 1); 2° La réforme et la réorganisation financières auxquelles se rattachent les dispositions relatives au domaine public, au domaine de l’État et aux biens habous (chap. 11); 3° La réforme judiciaire et la loi sur la constitution de la propriété foncière (chap. III); 4° L’institution des directions autonomes, chargées des travaux publics (chap. IV), de l’enseignement (chap. v) et des services spéciaux des postes et télégraphes ainsi que de la police sanitaire et de l’agriculture (chap. VI).

C’est d’après cet ordre qu’elles vont être exposées.

CHAPITRE PREMIER.

1. ORGANISATION DU PROTECTORAT.

Au moment où nous avons occupé la Tunisie, le système politique et administratif de la Régence reposait uniquement sur l’autorité du Bey, entre les mains duquel étaient réunis le pouvoir législatif et le pouvoir exécutif. Ses décrets, ses décisions et ses ordres avaient force de loi. Cet absolutisme était quelque peu tempéré dans la pratique par l’habitude qu’avait le souverain de consulter le conseil des ministres ou tout au moins le premier ministre, avant de prendre une décision d’intérêt général.

Des administrations réunies auprès du Bey expédiaient les affaires. La plus importante était le ministère d’État qui, sous la direction du premier Ministre et du Ministre de la Plume, était chargé des services de l’administration générale.

Le territoire était partagé entre un certain nombre de tribus, divisées elles-mêmes en fractions. Parmi ces tribus, les unes étaient sédentaires et vivaient sur le sol qu’elles cultivaient. Les autres étaient nomades, et, n’ayant pas de territoires propres, suivaient leurs troupeaux, et leurs diverses familles campaient souvent fort loin les unes des autres. Quelques tribus autrefois nomades s’étant fixées, leurs fractions se trouvaient installées à demeure sur des points très divers du pays.

A la tête de chaque tribu était placé un caïd responsable de l’ordre et du payement des impôts. Il réunissait entre ses mains les attributions gouvernementales, administratives et militaires.

Il n’y avait pas d’organisation municipale. A Tunis seulement existaient des institutions rudimentaires.

Cette structure administrative, conforme aux mœurs locales, a été respectée, et c’est dans son cadre que sont venues se placer les institutions nouvelles que nous avons données à la Régence.

Par le traité du 12 mai 1881, le Bey avait abandonné à la France le soin de pourvoir aux relations de la Régence avec les puissances étrangères. Il s’interdisait, en même temps, de conclure sans notre assentiment aucun acte ayant un caractère international.

Par une troisième disposition, les deux Gouvernements se réservaient de fixer les bases d’une organisation financière nouvelle à donner à la Régence.

La France étant devenue garante des relations de la Tunisie avec les puissances étrangères, il était nécessaire qu’elle pût contrôler tout ce qui était de nature à intéresser ces relations, aussi bien au point de vue des affaires extérieures que des actes d’administration intérieure. Il était nécessaire en outre qu’elle pût s’opposer à toute mesure qui lui eût paru de nature à compromettre cette réorganisation financière qu’elle avait contracté l’obligation d’entreprendre.

La Convention du 8 juin 1883 a précisé avec plus de netteté encore le droit de contrôle. La France a garanti la dette tunisienne et, en échange, le Bey s’est engagé à procéder aux réformes administratives, judiciaires et financières jugées nécessaires par le Gouvernement français.

C’est donc cette convention, ratifiée par la loi du 10 avril 1884, qui est aujourd’hui la charte de notre protectorat. Depuis qu’elle a été conclue, la réorganisation de la Tunisie que nous avions entreprise, s’opérant en vertu de pouvoirs mieux définis, s’est poursuivie avec rapidité. On voulait conserver l’administration indigène, mais on voulait en même temps y faire pénétrer un esprit de réforme.

Le Bey a gardé sa souveraineté. Toutefois, en vertu d’un décret beylical du 27 janvier 1883, les lois et les décrets, de même que les actes émanant des chefs des services publics, doivent, pour avoir force exécutoire, être promulgués au Journal officiel tunisien. En second lieu, par un autre décret du 1 2 mars de la même année, le Bey a confié exclusivement le soin de préparer le budget au Conseil des Ministres délibérant sous la présidence du Résident général.

Par les conventions de 1881 et de 1883, le Bey ayant accepté de soumettre au contrôle de la France cette souveraineté qu’il conserve, le Gouvernement français a placé auprès de lui un représentant qui s’est d’abord appelé Ministre résident, et auquel un décret du Président de la République, en date du 23 juin 1885, a donné le titre de Résident général.

Le Résident général est le dépositaire des pouvoirs du Gouvernement de la République dans la Régence. Un décret du Président de la République, en date du 10 novembre 1884, lui a confié l’autorité nécessaire pour approuver, en son nom, la promulgation et la mise à exécution des lois tunisiennes. Le Bey nous ayant abandonné la direction de ses relations extérieures, le Résident général est son Ministre des affaires étrangères. Il préside le Conseil des Ministres tunisien. C’est au Résident qu’il appartient de conseiller au Bey les réformes que la convention de 1883 nous a reconnu le droit de demander, et de surveiller la façon dont elles s’exécutent. Il est l’intermédiaire obligé du Gouvernement protégé avec le Gouvernement français protecteur. C’est encore par son canal que les services placés sous l’action directe du Gouvernement français communiquent avec les administrations métropolitaines. Il a sous ses ordres les commandants des troupes de terre et de mer. Comme chef de la colonie française, il a le droit de prendre, par voie d’arrêté, les dispositions réglementaires qui la concernent exclusivement. C’est par une mesure de ce genre qu’a été constituée la Chambre de commerce française de Tunis.

Le Ministère de la guerre a été confié au général commandant le corps d’occupation. Les finances, les travaux publics, l’enseignement public et les postes et télégraphes ont été constitués en services distincts. Leur direction, exigeant une compétence technique, a été confiée à des agents fournis au Gouvernement tunisien par le Gouvernement français.

L’Administration générale continue à être dirigée par des fonctionnaires indigènes, qui sont le Premier Ministre et le Ministre de la Plume. Réorganisée par un décret beylical, en date du 14 février 1885, elle est aujourd’hui répartie entre cinq services : le Ministère d’État, la section des affaires civiles, la section des affaires pénales, le bureau central des communes et le bureau de la comptabilité. Les attributions de ces cinq services comprennent : l’administration et la police administrative indigènes; la surveillance de la Djemaïa des Habous, le service administratif de la gendarmerie française et de la gendarmerie indigène (oudjak), l’administration pénitentiaire, les rapports du Gouvernement tunisien avec les représentants des intérêts agricoles ou industriels, le service de santé, l’hygiène publique, la direction centrale des municipalités de la Régence, la justice civile et criminelle des indigènes, les affaires israélites.

Il fallait, auprès de cette administration indigène, subsistant ainsi tout entière, un agent chargé des attributions de direction et de surveillance que le Protectorat a dévolues à la France. Le décret, daté du 4 février 1885, y a pourvu, en créant un poste de Secrétaire Général du Gouvernement tunisien occupé par un agent français.

Le Secrétaire général du Gouvernement tunisien reçoit et répartit, entre les divers services, la correspondance adressée au Gouvernement beylical. La correspondance préparée dans les bureaux de l’Administration générale lui est remise, c’est lui qui la soumet à la signature du Premier Ministre, et qui l’expédie ensuite aux destinataires. Ainsi aucune affaire ne peut échapper à sa surveillance et, dans toutes, il peut donner ses conseils et faire prévaloir la pensée du Protectorat.

Le Secrétaire général du Gouvernement tunisien a, en outre, la direction de l’Administration générale, la garde des Archives de l’État, la présentation au Bey et la publication des lois, décrets et règlements.

Toutes ces créations ont fait subir à la composition du Conseil des Ministres une modification profonde. Le Premier Ministre et le Ministre de la Plume y représentent toujours l’élément indigène ; mais l’élément français en forme la majorité, représenté par le Résident général, qui le préside, le Général commandant le corps d’occupation, les Directeurs des Finances, des Travaux Publics, des Postes et des Télégraphes, de l’Enseignement et le Secrétaire général du Gouvernement tunisien.

Comme l’administration générale, l’administration locale indigène a été maintenue. Les caïds ont les mêmes attributions que par le passé ; mais, de même que les droits du Protectorat sont exercés auprès du Bey par le Résident général, et auprès de l’administration générale par le Secrétaire général du Gouvernement tunisien, de même des agents français appelés contrôleurs civils, créés par un décret du Président de la République, en date du 4 octobre 1884, les exercent auprès de l’administration locale.

Les Contrôleurs civils n’administrent point ; ils surveillent et conseillent les caïds et les chefs indigènes. Ils ont droit de prendre connaissance de toute la correspondance d’arrivée et de toute la correspondance de départ et d’annoter cette dernière. Ils surveillent aussi tous les autres services dans le réseau de leur circonscription. Ils ont le droit de haute police, et la gendarmerie indigène (oudjak) est placée sous leurs ordres directs. Ils doivent s’appliquer, soit en mandant auprès d’eux les administrateurs indigènes, soit au moyen de tournées personnelles, à se tenir constam- ment au courant de l’ensemble des faits qui se produisent sur le territoire soumis à leur action.

Telles sont les dispositions par lesquelles le Protectorat a assuré son intervention dans le gouvernement de la Tunisie. On voit combien la conception en est simple. On n’a point voulu toucher à l’organisation indigène ; mais on s’est réservé les moyens de la surveiller et de la conduire. Le mécanisme est toujours le même, seulement c’est une nouvelle impulsion qui l’anime.

Pour réussir, il fallait, tout d’abord, éviter la clandestinité dans les actes que nous voulions diriger. Comme on l’a vu, outre que le Conseil des Ministres, où s’élaborent les lois, est largement ouvert aux représentants du Gouvernement protecteur, aucune décision créant une loi ou l’abrogeant n’est valable si le Résident général ne l’a approuvée et n’y a apposé son visa. De plus, aucune décision n’est exécutoire si elle n’a pas été promulguée au Journal officiel tunisien. Or la promulgation étant une charge du Secrétaire général, celui-ci est en mesure de signaler au Résident général les actes publics qui ne lui paraîtraient pas avoir une origine régulière.

Il fallait ensuite qu’aucun détail dans l’application de ces décisions ne pût nous échapper. Aucun document n’entre dans les bureaux de l’Administration centrale ou n’en sort, aucune lettre n’est présentée à la signature du Premier Ministre, aucune correspondance n’est envoyée aux destinataires sans passer par l’intermédiaire du Secrétaire général et être soumis à son examen. Tout ce qui arrive aux caïds ou émane d’eux est, de la même manière, soumis à l’examen des contrôleurs civils.

Rien ne peut donc se faire dans la Régence qui ne soit approuvé par nous. On n’apprécierait pas à sa juste valeur ce mécanisme du Protectorat, si l’on ne remarquait pas qu’il a suffi jusqu’ici du Résident général, du Secrétaire général du Gouvernement tunisien et de quatorze Contrôleurs civils pour obtenir un pareil résultat.

  • 2. RÉFORMES ADMINISTRATIVES.

L’un des premiers besoins du Protectorat fut de se rendre compte de la valeur intellectuelle et morale du personnel indigène qu’il trouvait en fonctions. Notre entrée dans la Régence avait été suivie d’une masse de dénonciations et de réclamations des administrés contre les administrateurs.

Il fallut démêler, dans le nombre, la part de la vérité et la part des passions. Nous étions décidés à réprimer les abus, mais nous étions décidés aussi à ne pas nous aliéner la classe dirigeante, à cause de l’action qu’elle exerce sur les populations que nous voulions nous gagner. Une enquête générale fut donc ouverte. Les caïds sont rétribués sur les sommes qu’ils perçoivent comme collecteurs d’impôts, à raison de 5 p. o o de leurs encaissements. Il y en avait qui se créaient des ressources irrégulières par des perceptions illégales et par des exactions. Ces abus ont été réprimés avec sévérité.

On a fait les exemples qui ont été nécessaires, mais on s’est efforcé d’y procéder avec prudence de façon à s’assurer, autant que possible, l’approbation de l’opinion pour les mesures de rigueur auxquelles nous étions obligés de recourir.

L’Administration du Protectorat s’est fait une règle, dès l’origine, de maintenir ou d’attirer aux affaires, que ce soit dans l’ordre civil ou dans l’ordre religieux, les grands propriétaires fonciers, les représentants des familles anciennes et respectées que les indigènes sont habitués à voir à leur tête. Elle est persuadée que les personnes qui ont les plus grands intérêts en Tunisie sont aussi celles qui sont les plus disposées à accepter un ordre de choses garantissant la sécurité des personnes et des biens, et que, d’autre part, leur adhésion prépare naturellement celle du reste de la population. Les candidats indigènes aux fonctions publiques, que le Premier Ministre désigne au Bey, sont donc, de préférence, choisis dans cette classe que nous voulons voir marcher d’accord avec nous, à la suite d’une enquête dirigée par les agents du Protectorat.

C’est grâce aux nominations faites dans cet esprit et avec ces précautions que l’on a composé un personnel qui prête on appui à l’exécution de nos réformes, et que les abus dont soutirait la population ont en grande partie disparu.

Les attributions des caïds sont nombreuses et variées.

Pour qu’il n’y eût point de doute sur l’étendue de leurs devoirs et de leurs droits, ces attributions traditionnelles ont été déterminées par des textes précis. La situation de leurs khalifas ou lieutenants a été également définie.

Les caïds ont été invités à tenir un journal où doivent être notés tous les actes de leur gestion. La production en peut être exigée à toute heure par le contrôleur civil. Cette mesure a beaucoup contribué à les accoutumer à la régularité.

La délimitation des caïdats a été l’objet de plusieurs réformes intéressantes faites en vue d’en faciliter l’administration. Il arrivait souvent que les fractions d’une tribu étant dispersées par toute la Régence, son caïd pouvait difficilement surveiller des administrés établis à de grandes distances les uns des autres et percevoir les impôts dont ils étaient redevables. Le Secrétariat général du Gouvernement tunisien n’a cessé de travailler à réunir ces fractions éparses aux caïdats sur les territoires desquels elles sont fixées. Au statut personnel, suivant lequel les indigènes ont vécu jusqu’ici, on substitua ainsi une sorte de statut territorial.

Cette transformation délicate est aujourd’hui presque entièrement terminée.

Les caïdats offraient aussi, entre eux, de grandes anomalies au point de vue de la dimension territoriale. Il y en avait de très vastes et il y en avait de très petits. Les caïds des premiers étaient des personnages considérables, jouissant d’une grande situation, d’un fort revenu et qui échappaient plus ou moins à la dépendance du Ministère. Les caïds des seconds avaient à peine de quoi vivre. Les caïdats trop grands sont sectionnés, les caïdats trop petits sont réunis entre eux pour former une circonscription d’une étendue normale. Ce travail de répartition est, lui aussi, très avancé. En même temps qu’elle l’accomplissait, l’Administration procédait au recensement général des fractions des tribus et recueillait les éléments de statistique qui lui manquaient pour l’appréciation de la situation générale.

Des territoires étaient contestés par des tribus voisines : on les a délimités. Il ne subsiste plus de difficultés de ce genre que dans l’Arad et dans le contrôle de Sfax.

Le service de la gendarmerie était fait à notre arrivée par des hambas ou des spahis résidant à Tunis et, dans l’intérieur, par des cavaliers attachés à la personne des caïds.

Ces hommes avaient droit à des rétributions exigibles dans des conditions déterminées ; mais, comme il était convenu qu’ils vivaient aux dépens des justiciables, ils se faisaient donner bien davantage. C’était là aussi une source d’abus criants. On y a mis fin en organisant une gendarmerie indigène, à laquelle on a conservé le nom d’Oudjak, dont des pelotons ont été créés dans les chefs-lieux de contrôle, et sont placés directement sous l’autorité du contrôleur civil.

La police indigène devenant insuffisante dans les agglomérations où la population d’origine européenne prenait de l’importance, des commissaires de police français, mis à la disposition du Gouvernement beylical par l’administration française, ont été installés dans les villes les plus importantes et notamment à Tunis. Un corps de gendarmerie française, dont le Gouvernent tunisien assure le casernement, prête également son concours au maintien de l’ordre public.

Les soins apportés au choix du personnel, le souci constant d’épargner à la population les vexations dont elle souffrait avant notre arrivée, toutes ces mesures qui ont introduit dans l’administration un ordre inconnu avant nous, ont vite produit un grand effet d’apaisement. Aucune tentative de soulèvement n’a troublé l’exercice du protectorat.

Les indigènes, témoins des bienfaits de notre présence, ont pris confiance en nous.

On n’en saurait donner de meilleure preuve que ce qui s’est passé dans le sud de la Régence; au moment de l’occupation, un véritable exode avait vidé cette partie du territoire et entraîné en Tripolitaine les tribus fuyant un pouvoir étranger qu’elles supposaient hostile à leur race et à leur religion. Plus de cent mille hommes avaient passé la frontière. Grâce au bon renom que s’est promptement acquis notre Administration, grâce aussi à la persévérante habileté de nos agents et au loyal concours des autorités turques de la Tripolitaine, tous ces exilés volontaires sont aujourd’hui rentrés avec leurs troupeaux et ont fait leur soumission.

Les quelques fractions qui sont restées au dehors ne forment pas un groupe de trois cents individus.

Nous l’avons constaté déjà, il n’y avait pas d’organisation municipale avant notre arrivée. La vie administrative était concentrée tout entière au Bardo; les affaires des villes étaient traitées par le Ministère d’État. On conçoit que les besoins locaux étaient étudiés avec peu de diligence par une administration fonctionnant à distance et distraite par des préoccupations de toute autre sorte. Aussi les conditions d’hygiène, de viabilité et de sécurité laissaient-elles beaucoup à désirer, même dans les centres importants de la Régence.

Le Protectorat s’est efforcé d’y remédier par une série de mesures qui va se complétant de jour en jour.

Tunis seul avait une sorte de corps municipal qui veillait surtout au nettoyage de la ville. Mais ses ressources, fondées sur des taxes mal établies et mal recouvrées, étaient modiques, et la police était restée à la charge de l’État. On a commencé par mettre de l’ordre dans cette municipalité embryonnaire et par étendre ses pouvoirs.

Des municipalités ont été successivement créées à la Goulette, au Kef, à Sfax, à Sousse, à Bizerte, à Mahedia.

Dans les localités qui ne comportaient point des municipalités de plein exercice, on a constitué des commissions municipales chargées de pourvoir au service de la voirie et à la police locale. C’est ce qui a été fait à Monastir, à Gabès, à Kairouan, à Béjà, à Nebeul, à Souk-el-Arba (Jendouba), à Tozeur.

D’autres commissions municipales sont actuellement en formation à Zarzis, à Tebourba et à Gafsa.

Les recettes annuelles des sept communes de plein exercice se sont élevées de 8,928,067 piastres (La piastre tunisienne vaut 0 fr. 60) en 1806

(1886-1887) à 4,365,095 piastres en 1307 (18891890). Les commissions municipales disposent d’environ 300,000 piastres.

Ces ressources sont fournies en partie par des taxes locales établies directement par les communes, en partie par des impôts dont le produit a été concédé par l’État et enfin par des subventions données par le Gouvernement. Ces dernières allocations figurent au budget de l’exercice qui vient de prendre fin, le 12 octobre, pour 1,400,000 piastres.

Les sommes ainsi encaissées ont été employées pour la plupart en travaux d’intérêt communal, en améliorations des conditions générales de l’hygiène et de la sécurité publique. Le détail en sera donné plus loin dans le chapitre spécial consacré aux travaux publics.

Depuis 1886, à Tunis, de même que dans les autres villes de la Régence, la police est à la charge de la municipalité.

Un décret du 15 juillet 1889 a autorisé les villes à former des corps de sapeurs-pompiers. Un de ces corps se constitue à Tunis.

Des services publics de voitures sont subventionnés par les municipalités du Kef, de Nebeul et de Bizerte, pour relier la première de ces villes à Souk-el-Arba et les deux autres à Tunis.

Les municipalités subviennent aussi à certaines dépenses de l’enseignement public, telles que le loyer des écoles, le logement des instituteurs, les dépenses des distributions de prix.

  • 3. OCCUPATION MILITAIRE.

Une des conséquences les plus heureuses de l’ordre et de la paix que le Protectorat a fait régner dans la Régence, c’est qu’on a pu réduire de plus en plus l’effectif du corps d’occupation, et substituer progressivement des fonctionnaires civils aux autorités militaires qui avaient dû assurer l’administration du pays dans la période troublée qui a suivi notre entrée en Tunisie.

L’effectif du corps d’occupation s’est élevé un moment à près de 40,000 hommes. Dès le 1er octobre 1884 il était réduit à une division. Deux ans plus tard, le 15 juin 1886, il était réduit encore et transformé en brigade. Par suite on a pu diminuer les états-majors et placer à leur tête des officiers d’un grade moins élevé, dont l’entretien grève moins lourdement le budget métropolitain.

L’effectif de nos troupes en Tunisie était, au mois de mai dernier, de 420 officiers, 12,600 hommes et 3,600 chevaux, présentant, sur les chiffres du 1er octobre 1884, une diminution de 200 officiers, 2,400 hommes et 1,400 chevaux.

L’état annexé au présent rapport (annexe A) montrera que les dépenses inscrites au budget français pour l’entretien des troupes d’occupation de la Régence ont subi une marche décroissante encore plus rapide. Ces crédits, qui comprennent les suppléments accordés aux troupes de la métropole détachées en Tunisie et la dépense pleine des corps ou services créés spécialement pour l’occupation du territoire tunisien, étaient prévus, au budget de 1884, pour une somme de 17,176,000 francs, et sont tombés au chiffre de 6,642,320 francs pour le budget de 1889.

Pendant la première période de l’occupation, des officiers, constituant ce qu’on appelait le service des renseignements, surveillaient seuls les autorités indigènes. A mesure que la pacification s’est faite, les contrôleurs civils les ont remplacés dans la plupart des circonscriptions administratives de la Régence.

L’action de l’autorité militaire ne s’exerce plus que dans les régions habitées par des tribus remuantes qui ont encore besoin d’une direction spéciale, telles que la partie du territoire avoisinant la Tripolitaine et le pays des Kroumirs.

L’annexe B donne à la fois la liste des contrôles civils, avec l’indication des territoires compris dans leurs circonscriptions et la liste des commandements militaires, avec l’indication des tribus sur lesquelles s’étend leur autorité.

CHAPITRE II.

1. RÉFORME ET RÉORGANISATION FINANCIÈRES.

  • — RÉFORME FINANCIÈRE.

La réforme financière, sa préparation et sa réalisation, ont été l’œuvre d’un service spécial créé sous le nom de Direction des finances, le 4 novembre 1882, mais qui n’a eu son organisation définitive qu’à partir du 2 octobre 1884.

On sait qu’en vertu d’arrangements antérieurs conclus avec les Puissances européennes par le Gouvernement beylical, une commission financière, composée de fonctionnaires étrangers, était chargée de percevoir et d’employer au service de la dette tunisienne consolidée une partie des impôts de la Régence.

Le produit de ces taxes, désigné sous le nom de revenus concédés, avait été évalué, avant 1870, lors de la convention initiale, à environ 11 millions de piastres. En 1883, il était de 13 millions de piastres. L’ensemble des ressources de la Régence étant, à cette époque, de 22 millions, il ne restait qu’une somme d’environ 10 millions pour subvenir aux dépenses de l’administration du pays et des services publics. Et encore, ce faible reliquat, ces revenus réservés, suivant l’expression alors usitée, n’étaient pas eux-mêmes libres de toute charge. Quand les besoins devenaient trop pressants, le Gouvernement tunisien recourait au crédit, mais dans des conditions désastreuses. Sous la pression des circonstances, plusieurs emprunts avaient été conclus à des taux allant jusqu’à 12% et avaient grevé la Régence, sous forme de dette flottante, d’un supplément de charges de 17 millions de francs.

Un pareil état de choses ne pouvait se prolonger. Mais, pour être efficace, la réforme devait porter sur l’ensemble de l’administration. La première condition était donc la suppression de la commission financière. Comme on le verra plus loin, cette importante question a reçu, par la loi du 9 avril 1884, ainsi que par les dispositions qui en ont été la suite, la solution que comportaient les intérêts multiples qui s’y trouvaient engagés.

C’est pendant la période de deux années, qui s’est écoulée entre la création et la suppression de la Commission financière, que la Direction des finances a élaboré les conditions et le régime de l’ordre de choses nouveau.

Dès le 12 mars 1883, un décret beylical, complété le 18 décembre de la même année, vint donner à l’organisation financière de la Régence la base régulière qui lui avait fait défaut jusque-là et assurer à l’État comme au contribuable les garanties fondamentales de l’organisation financière européenne.

Un budget annuel était créé, et, à la clandestinité qui avait régné jusque-là, le décret substituait le principe de la publicité complète. L’établissement comme le règlement du budget devaient être désormais l’objet d’un décret promulgué au Journal officiel tunisien, et il en devait être de même de toute mesure modifiant l’assiette ou le montant des impôts.

C’est conformément à ces règles que fut dressé le budget de l’exercice 1300 (1883-1884), le premier qu’ait eu la Tunisie, budget bien modeste, puisque, ne portant que sur les revenus réservés, il ne comprenait pas même la moitié des ressources du pays. La date n’en est pas moins importante, car elle marque le point de départ d’une ère nouvelle. Jusque-là, en effets”, disait M. Cambon, à la séance de la Chambre des députés du 1er avril 1884, à laquelle il prenait part comme Commissaire du Gouvernement : or Jusque-là, il n’y avait pas de budget en Tunisie, mais une simple liste de dépenses. Quant à la liste des recettes, elle était très variable, parce que tout dépendait de l’énergie du Gouvernement et du degré de complaisance des populations.

On a défini le Gouvernement tunisien un Gouvernement arbitraire tempéré par les insurrections. Il était donc très difficile à un Gouvernement pareil d’établir à l’avance son budget des recettes, puisqu’il ne savait pas quel degré de résistance il rencontrerait chez le contribuable”.

Bien que le Gouvernement du Protectorat n’ait pas eu à lutter contre le genre d’obstacles auxquels faisait allusion M. Cambon, la préparation du premier budget de la Régence n’en avait pas moins été des plus délicates et des plus laborieuses. Il avait fallu, en premier lieu, évaluer les recettes dont il était possible de faire état et procéder à une sorte d’inventaire des ressources du pays. On conçoit aisément les difficultés que présentait un pareil travail, notamment dans un pays où l’état de la récolte joue un rôle si important dans le rendement de l’impôt. Non seulement il ne se produisit aucun mécompte, mais on eut, au contraire, à constater des excédents sur les prévisions adoptées.

En même temps, des économies importantes étaient réalisées, notamment par la suppression des trois ministères des Affaires étrangères, de la Guerre et de la Marine.

Il ne suffisait pas, toutefois, d’avoir établi le budget, il restait à en assurer l’exécution. Sur ce point, tout était à faire.

Le système de perception, que nous avons trouvé en pratique et dont nous avons conservé les principes essentiels, confie aux caïds le soin du recouvrement de l’impôt.

Ces agents, investis, en dehors de leurs attributions financières, de pouvoirs multiples dont il a été question au chapitre de l’administration générale, ne sont pas, au point de vue fiscal, en rapport direct avec le contribuable ; ce soin incombe aux cheiks, sorte de maires élus par l’assemblée des notables de chaque tribu, responsables envers le caïd, comme le caïd l’est lui-même envers l’État, du montant des taxes à recouvrer.

Ce système est habilement combiné pour garantir les intérêts du trésor; mais, à moins d’un contrôle sévère, il donne facilement lieu à des abus que favorisait, d’ailleurs, le désordre administratif dans lequel se débattait la Régence.

En butte à des exactions sans nombre, les populations cherchaient, par la fraude ou par la violence, à se soustraire au payement de l’impôt, dont une partie était dilapidée avant d’arriver aux caisses de l’État.

Protéger la fortune publique et la fortune privée contre la négligence ou l’avidité des fonctionnaires, mettre fin aux exemptions injustifiées et ramener l’égalité devant l’impôt, tel a été le but des instructions adressées aux caïds, le 26 mai 1884.

Désormais, ces agents sont astreints à tenir une comptabilité méthodique et à en notifier périodiquement les résultats, en les accompagnant de pièces justificatives régulières. Les rapports des caïds avec les cheiks et les différentes administrations financières font l’objet de règles précises.

Enfin, tout recouvrement et tout payement donnent lieu à la délivrance d’une quittance individuelle sur laquelle sont inscrits l’objet du payement et le montant de la somme due. En outre, des inspecteurs indigènes sont établis et reçoivent pour mission d’aller contrôler sur place les opérations des caïds et des cheiks et de les initier à la pratique des prescriptions du décret.

En résumé, un budget périodiquement établi et promulgué, le mouvement des dépenses et des recettes s’accomplissant en vertu de titres réguliers, les règles de perception nettement déterminées, une comptabilité publique embrassant l’ensemble de la gestion des comptables, un contrôle organisé, tels sont les résultats des premières années de notre administration fi nancière de la Régence.

Le nouveau régime financier est donc constitué. Il ne reste plus, pour compléter l’œuvre, qu’à en étendre les effets aux services publics détenus par la Commission financière.

Cette dernière réforme, la loi du 9 avril 1884 allait permettre de la réaliser, en ratifiant, comme on l’a vu plus haut, la convention du 8 juin 1883, dont une des clauses portait que le Bey pourrait, avec la garantie du Gouvernement Français, faire appel au crédit pour liquider la dette flottante et rembourser et convertir la dette consolidée de la Régence.

En exécution de ces dispositions, un décret beylical du 27 mai 1884 autorisa l’émission d’un emprunt de 142,550,000 francs, auquel un décret présidentiel du 28 du même mois conféra la garantie de la France. La conversion s’accomplit sans difficulté, et quelques mois suffirent pour en assurer la réalisation.

Dans ces conditions, la Commission financière n’avait plus de raison d’être. Aussi, des arrangements étaient pris avec elle, en prévision de sa suppression prochaine, qui fut prononcée définitivement par un décret beylical du 2 octobre 1886. Le même acte remettait l’ensemble de la gestion des affaires financières à la Direction des finances, dont l’organisation recevait les développements que comportait l’extension de ses attributions. Un arrêté réglementaire du même jour, pris par le Directeur des finances, déterminait le fonctionnement des nouveaux services qu’il était appelé à diriger.

En vertu de ces dispositions, la Direction des finances pourvoit à l’administration financière de la Tunisie, soit directement, soit avec le concours subordonné d’une direction des contributions diverses et d’une direction des douanes. Ces différents services ont à leur tête un personnel français, et des agents, détachés, pour la plupart, du cadre algérien, sont chargés de réorganiser le corps des Douanes.

Le service de la Trésorerie est confié à un receveur général qui centralise les produits et est, en outre, chargé des services de la dette. Ces fonctions sont gérées par un agent français.

A l’intérieur, les caïds et les cheiks perçoivent les impôts directs et prêtent leur concours aux administrateurs indigènes de la Ghaba (perception des droits sur les huiles d’olive) et de la Rabta (perception de l’impôt en nature sur les grains). Leur comptabilité est soumise à des règles déterminées. Ils sont placés sous la surveillance du Receveur général qui encaisse leurs recouvrements et sous le contrôle de trois inspecteurs indigènes.

Enfin, les comptables des contributions diverses et le Receveur général sont soumis aux vérifications d’un inspecteur détaché de l’administration française.

  • — IMPÔTS.

La suppression de la Commission financière ne devait pas avoir seulement pour conséquence de permettre, dans la Régence, le fonctionnement d’un système budgétaire régulier, elle allait également donner au Gouvernement du Protectorat la faculté de compléter les améliorations qu’il avait déjà apportées à l’organisation financière, en introduisant, dans le régime des impôts, les premières réformes jugées indispensables.

Les impôts tunisiens se divisent en contributions directes et en contributions indirectes. Les contributions directes sont :

1° La Medjba ou impôt de capitation;
2° Le Kanoun, frappant : a. Dans certaines régions, les propriétaires d’oliviers, en raison du nombre de pieds d’oliviers qu’ils possèdent; b. La production de tous les palmiers dattiers;
3° La dîme sur les huiles, perçue sur la production de l’huile dans les régions où le Kanoun n’est pas en vigueur. Cet impôt est payable en nature, mais peut être fourni en espèces;
4° L’Achour payable en nature, sous forme de dîme perçue sur le blé et l’orge.
5° L’Achour payable en argent, remplaçant dans certaines localités l’Achour payable en nature;
6° Les Mradjas, impôt en numéraire, frappant les terrains de culture de l’Outhan-Kabli et certaines plantations d’oliviers dans les environs de Sfax.

Les contributions indirectes comprennent :

1° Les Douanes : Droits d’importation et d’exportation, droits maritimes et de port, fermages divers de la pèche (notamment celle des poulpes et des éponges); Droits de pêche du corail;
2° Les monopoles non affermés : Timbre; Droit de caroube sur les loyers et les ventes d’immeubles; Droits de portes et de marchés, sortes de droits d’octroi perçus dans certaines localités; Fondouk des huiles (stationnement, mesurage ou pesage et vente des huiles) ; Marché au charbon.
3° Les monopoles affermés : Régie des tabacs[1] ; Monopole du sel[2]; Monopole des chaux et des briques; Monopole du plâtre; Fondouk-el-Ghalla[3] ou marché aux légumes (droit d’octroi à l’entrée à Tunis et droits de vente sur produits de consommation qui ne sont pas compris dans les autres monopoles) ; Taxe sur les changeurs de monnaies; Foulons de chéchias; Mahsoulats ou droits de marchés perçus en général sur les objets divers qui y sont apportés ou vendus; Khodors, droits perçus sur les produits entrant à Djerba; Distillation des figues sèches à Sfax et à Mateur.

En ce qui concerne les impôts directs, base solide du budget des recettes tunisien, l’administration résolut de procéder avec la plus grande prudence. Après avoir examiné attentivement la situation et s’être rendu compte de la nature des plaintes qui s’élevaient contre ce genre de contributions, elle se convainquit que les améliorations devaient porter plus encore sur le mode de perception que sur le montant même des taxes.

Antérieurement, ces contributions étaient prélevées, le plus souvent, par l’intermédiaire du Bey du camp, et le contribuable n’avait, pour ainsi dire, d’autre garantie que «le degré de résistances qu’il pouvait opposer aux exactions des percepteurs. Désormais, des dispositions furent prises pour assurer l’établissement régulier de la quote-part sinon de chaque individu, du moins de chaque groupe réuni sous l’autorité d’un chef. Dans la perception, on apporta la plus grande modération. Des délais furent accordés à des débiteurs malheureux ou insolvables et, dès avril 1884, M. Cambon pouvait dire à la tribune du Parlement que le Gouvernement du Protectorat savait à l’avance ce qu’il pouvait attendre du contribuable.

A ces progrès dus surtout à la bonne gestion des deniers publics, il conviendrait d’en joindre d’autres comme la suppression du droit de mouageb, perçu sur le prix de vente des olives (décret du 2 août 1888). Il faut mentionner aussi ce fait que les cultures nouvelles et notamment celle de la vigne introduite dans la Régence, après notre établissement, n’ont été frappées d’aucune taxe spéciale.

Il existait un autre moyen d’alléger les charges de l’impôt frappant le sol, c’était de diminuer ou de supprimer les taxes innombrables qui, sous forme de droits de douane ou de contributions diverses, venaient entraver, jusque dans ses moindres manifestations, la production indigène et saisissaient au passage les matières premières ou les objets fabriqués nécessaires à l’industrie agricole.

Le Gouvernement du Protectorat ne s’est pas borné à abolir, comme il en avait été question, dès 1884, les droits d’exportation sur les légumes et les céréales. Il a successivement admis à la même franchise les écorces à tan, les volailles et les œufs, les produits de la minoterie, la graine de lin, les amandes, les citrons, les pistaches, le miel, les raisins secs et les figues sèches. Les droits sur les huiles et les alfas ont été considérablement diminués, et le droit sur les bestiaux cesse de figurer sur le budget de l’exercice qui a commencé le 13 octobre (annexe C).

D’autre part, le système des monopoles recevait de profondes modifications. Le produit de ces impôts était, ou perçu directement par l’Etat, ou affermé. La facilité et la sécurité que présentait ce dernier mode de perception lui avaient assuré les préférences de la Commission financière. Malgré les inconvénients graves qu’il entraînait, des marchés à longs termes avaient été conclus, qui devaient, jusqu’en ces dernières années, mettre obstacle aux projets de réforme du Gouvernement du Protectorat.

Au commencement de l’année 1888, le monopole de la tannerie, ainsi que les droits et taxes perçus par l’Administration du Dar-el-Geld, ont subi un remaniement complet, et ce qui en subsiste encore est sous la gestion directe de l’État. Le 13 octobre 1888, le marché des huiles a été mis en régie après révision et réduction du tarif. Il en est de même, depuis le 1er janvier dernier, pour le marché au charbon de Tunis et, depuis le 5 avril, pour le monopole du plâtre et le droit sur la fabrication de la chaux et des briques. Deux autres fermages très importants, ceux des monopoles du sel et du tabac, vont expirer le 31 décembre prochain et seront pris directement en régie par le Gouvernement tunisien, qui mettra à la tête de l’exploitation des agents de l’Administration française.

L’ensemble des droits et taxes perçus sous le nom de Mahsoulats a été l’objet, le 13 août 1887, d’une réforme complète dont les bases avaient été arrêtées par une com- mission spéciale d’études. De nouveaux décrets ont, depuis lors, complété ces dispositions, en supprimant ou en réduisant considérablement beaucoup de droits, et ont fait disparaître un grand nombre d’entraves au commerce sur les marchés publics. Il conviendra, notamment, de citer: L’unification en un droit de 12.50% pour les fruits frais et de 25% pour les légumes, des droits antérieurs qui oscillaient de 35 à 48%.

L’exemption de tous droits pour les ventes de céréales à domicile et, par suite, la suppression de l’exercice chez les propriétaires, ainsi que la réduction à une taxe unique de 4 et 6% des droits sur les céréales vendues sur les marchés publics et qui allaient, auparavant, de 6 à 10%. Les marchés ont été pourvus de règlements réguliers et un décret de 1886, en remplaçant, pour le pesage public, les poids et les mesures d’origine tunisienne par les poids et mesures de France, a préparé l’introduction du système métrique dans la Régence.

En outre, le Gouvernement du Protectorat est venu en aide aux municipalités, soit en leur abandonnant le produit de certaines taxes perçues jusque-là au profit de l’État, soit en leur accordant des subventions dont le montant figure au budget de l’exercice qui vient de prendre fin le 12 de ce mois pour 1,400,00 piastres.

Notons encore que le décret du 9 septembre 1885 a autorisé l’admission en franchise de tous les instruments et machines agricoles et viticoles. La même exemption a été accordée, le 11 janvier 1888, aux appareils de sondage et de forage de puits artésiens.

L’ensemble de ces dégrèvements ou abandons de droits représente une somme annuelle de près de 6,500,000 piastres (Annexe D).

Le Budget de la Régence étant, en moyenne, depuis 1884, d’environ 32 millions de piastres par an, le chiffre des diminutions d’impôts représente ainsi près de 1/6 du total des revenus publics.

ANALYSE DES BUDGETS ET DE LA SITUATION FINANCIÈRE.

On connaît maintenant les principes dont s’est inspiré le Gouvernement du Protectorat dans l’administration des finances de la Régence, et les réformes qu’il a accomplies (Annexe E). Il convient maintenant d’exposer les résultats de sa gestion.

Tout d’abord, on constatera que les règles concernant la publicité ainsi que le mode d’établissement et de règlement du Budget ont été exactement observées.

Une série de pièces ci-jointes permet de suivre la marche et le développement des budgets de la Tunisie, depuis l’exercice 1302 ayant commencé le 13 octobre 188/1, jusqu’à l’exercice 1308 qui a commencé le 13 octobre dernier.

Ces documents comprennent :
1° Un tableau présentant le rendement des contributions et retenus publics (Annexe F);
2° Un tableau comparatif des budgets des dépenses (Annexe G);
3° Un tableau synoptique des résultats des exercices précités, dressé d’après les tableaux de leur règlement et présentant : a. Les recettes réalisées; b. Les dépenses effectuées; c. Les excédents de recettes sur les dépenses, avec l’indication de l’emploi de ces excédents (Annexe H).
4° Le budget promulgué pour l’exercice 1308 (Annexe 1).

Il ressort de ces tableaux que les recettes qui étaient de 22 millions de piastres, au moment de notre établissement dans la Régence, se sont élevées et maintenues à un chiffre moyen de 32 millions de piastres. Si l’on y ajoute les 6 millions de piastres de dégrèvement, on arrive à un total d’environ 38 millions de piastres, présentant un accroissement de plus d’un tiers sur le produit des ressources générales de l’État. Une progression aussi considérable témoigne hautement des heureux effets qu’ont eus, sur le développement de la prospérité publique, les institutions du Protectorat. Une autre preuve en est d’ailleurs fournie par les relevés des douanes (Annexes J, K et L), qui accusent, par rapport aux chiffres de 1880, une plus-value de 5 mil- lions de piastres pour les exportations, et de 28 millions pour les importations.

L’ensemble des recettes ordinaires des cinq derniers exercices, dont le règlement a été effectué, s’est élevé à la somme de 161,700,505 piastres. Pendant la même période, le total des dépenses ordinaires a atteint le chiffre de 142,5 19,107 piastres.

L’excédent des recettes sur les dépenses a donc été de 19,281,398 piastres. Une somme de 11,2 40,201 piastres a été prélevée sur cet excédent pour être affectée aux travaux du port de Tunis. Le surplus forme une sorte de réserve qui a été reportée d’exercice en exercice.

Cette pratique, qui consiste à faire figurer dans chaque budget le solde des excédents des exercices antérieurs, ne laisse pas que de présenter des inconvénients au point de vue de la clarté. Pour restituer à chaque exercice sa physionomie propre et constater s’il est soldé avec les ressources ordinaires qui lui appartiennent, ou avec des ressources empruntées aux années antérieures, il est nécessaire de se livrer à certains calculs.

Le Gouvernement a pensé qu’il serait préférable de ne porter désormais en recettes que les revenus de l’année, de manière à faire apparaître, au premier coup d’œil, les excédents ou les insuffisances qui se produisent en fin d’exercice.

En outre, pour assurer d’une manière plus exacte la spécialité des exercices, il a été décidé que la durée de chacun d’eux serait, à l’avenir, de dix-huit mois pour la perception des recettes, aussi bien que pour l’ordonnancement et le payement des dépenses.

L’année financière, qui commence aujourd’hui le 13 octobre, aura désormais pour point de départ le 1er janvier.

Afin de ménager la transition, la prochaine année financière comprendra quinze mois, du 13 octobre 1890 au 31 décembre 1891.

Ces diverses mesures contribueront à mettre un ordre rigoureux dans les budgets et à en rendre la lecture plus facile.

Si l’ensemble des cinq derniers exercices se solde par un excédent relativement considérable, il convient de remarquer que les exercices 1887-1888 et 1888-1889 n’ont pu se solder qu’en prélevant pour le premier 1,458,226 et pour le second 4,271,207 piastres sur les excédents des exercices antérieurs.

Ces découverts s’expliquent par les mauvaises récoltes de ces deux années; ils n’ont rien d’inquiétant pour l’avenir.

Le budget de l’exercice 1889-1890, qui n’est pas encore définitivement réglé, présentera certainement un excédent de recettes assez important.

Nous devons toutefois constater que la progression des dépenses a été plus rapide que celle des recettes, et que, pour équilibrer les prochains budgets, le Gouvernement tunisien devra user de la plus grande prudence et s’interdire tout accroissement de dépenses qui ne serait pas absolument justifié.

La transformation en régies des principaux monopoles, tels que celui du tabac, imposera au budget de 1890-1891 une charge supplémentaire qui ne sera pas couverte, dès la première année, par les recettes correspondantes.

La refonte des monnaies qui vient d’être décidée, et qui ne saurait être ajournée sans les plus graves inconvénients, grèvera également le budget d’une dépense extraordinaire assez considérable.

La construction de nouveaux chemins de fer, avec garantie d’intérêt, sera une autre cause de dépenses pour les budgets qui suivront.

Mais, d’autre part, on peut prévoir que certaines dépenses telles que celles relatives aux bâtiments civils pourront être réduites.

Les recettes ne sauraient manquer de se développer avec les progrès de la richesse publique. Dès 1892, l’exploitation des forêts, pour lesquelles de grands sacrifices ont été faits dans les dernières années, sera une source de revenus d’une notable importance.

Un des résultats les plus heureux de la sagesse apportée à la gestion des finances a été de permettre au Gouvernement du Protectorat de profiter de l’abaissement qui s’est produit, depuis quelques années, dans le taux de l’intérêt, et de procéder, en 1889, à une nouvelle conversion de la dette.

Un décret beylical du 17 décembre 1888, approuvé par la loi française du 9 février 1889, a autorisé la transformation des obligations perpétuelles 6. p. %, créées en 1884, en titres ne produisant que 3 1/2 p. o /0 d’intérêt annuel et remboursables en 99 ans, par voie de tirages au sort semestriels. La garantie accordée par l’État français se trouve ainsi régulièrement diminuée par le jeu de cet amortissement, auquel ont été affectées les économies annuelles d’intérêts résultant de l’opération; elle finira par s’éteindre complètement au bout de la période indiquée ci-dessus.

D’autre part, la conversion a produit une soulte nette de 6 millions de francs qui a été affectée, d’après un programme arrêté avec le Gouvernement français, à l’exécution de travaux d’intérêt public dans la Régence.

Une autre somme de 18 millions de piastres, provenant de reliquats dont le détail est donné dans l’annexe M, a été constituée en fonds de réserve, par décret beylical du 21 juillet 1886, pour subvenir, en cas de mauvaise récolte, à une insuffisance possible des recettes, avec l’autorisation préalable du Gouvernement français. Ces 18 millions de piastres ont été placés en valeurs d’État tunisiennes ou françaises dont les intérêts s’ajoutent au capital qui était, le 13 octobre 1889, de 21 millions de piastres.

Ce fonds de réserve est, jusqu’à présent, resté intact.

Toutefois, en raison de l’urgence de certains grands travaux d’intérêt public dont il sera parlé au chapitre spécial qui leur est consacré plus loin, le Gouvernement tunisien a l’intention de solliciter, prochainement, du Gouvernement français, l’autorisation de faire emploi d’une certaine partie de ses économies.

Ce tableau de la situation financière de la Régence ne serait pas complet, si nous n’ajoutions que le Trésor est créancier d’une somme d’environ 20 millions de piastres pour arriérés dans le payement des impôts.

L’attention du Gouvernement tunisien a été appelée sur la nécessité de mettre fin à ces retards qui trouvent leur explication et, jusqu’à un certain point, leur excuse dans l’état des mœurs administratives du pays et surtout dans la nécessité qui s’impose à l’Administration de ménager les populations indigènes lorsqu’elles sont éprouvées par de mauvaises récoltes. Des ordres sont donnés pour faire rentrer tout ce qui sera recouvrable; mais, en même temps, il vient d’être décidé que les taxes directes se prescriraient désormais pour le passé par cinq ans, et dans l’avenir par trois ans. Cette mesure bienveillante à l’égard des contribuables est aussi un acte de bonne administration; elle obligera les percepteurs de l’impôt à une vigilance plus active, et elle fera disparaître ces arriérés trop considérables, qui ne sont qu’un embarras pour la comptabilité.

En résumé, le bilan des six premières années de notre gestion financière permet de constater que les résultats acquis réalisent les espérances qu’on était, légitimement, en droit de concevoir. Tout en allégeant, dans une proportion considérable, le fardeau des impôts, le Gouvernement du Protectorat a su, par l’établissement d’une bonne organisation financière et par des réformes sagement appliquées, ranimer la confiance, s’assurer des ressources permettant de pourvoir les services d’intérêt général, et mettre en réserve des sommes relativement importantes qui vont permettre à la Régence de procéder, sans recourir au crédit, à l’exécution d’un vaste programme de travaux d’utilité publique.

2. DOMAINE PUBLIC, DOMAINE DE L’ÉTAT, BIENS HABOUS.

Antérieurement à l’établissement du Gouvernement du Protectorat, aucune disposition précise n’avait déterminé l’étendue et les prérogatives du domaine public en Tunisie.

Néanmoins, ainsi que le rappelait le Premier Ministre au mois de février 1885, en transmettant au Résident général un projet de règlement de la question, les principes à appliquer en la matière existaient déjà dans le droit religieux musulman, et les doctrines des docteurs de l’Islam concordaient, sur ce point, avec les règles fondamentales posées par les législations des États européens.

Un décret du 24 septembre 1885 vint réunir et condenser ces prescriptions, dont la plupart étaient tombées en oubli ou en désuétude.

Désormais, le domaine public est défini ; les éléments en sont connus; il est déclaré inaliénable et imprescriptible; le Directeur des travaux publics est chargé, en principe, de son administration, et un décret du 26 septembre 1887 a déterminé la procédure à suivre pour sa délimitation.

Ainsi que le domaine public, le domaine de l’État était dans l’abandon le plus complet. Un arrêté du 1er décembre 1881 en avait indiqué les principaux éléments, en rappelant les droits primordiaux de l’État sur les forêts et sur les mines, et en déclarant nulles et non avenues toutes les aliénations ou acquisitions de cette nature. Les particuliers n’en avaient pas moins profité du désordre général pour usurper les territoires à leur convenance, ou se faire attribuer des concessions abusives et ruineuses pour l’Etat. Il était urgent d’agir. Le décret qui institua la Direction des finances confia à son directeur le soin de représenter les intérêts de l’État en cette matière, et un des premiers soins de cette administration fut de reconstituer les sommiers de consistance du domaine. En même temps, les concessions accordées antérieurement étaient recherchées et soumises à un examen rigoureux. La législation spéciale introduite par la Commission financière facilita l’accomplissement de cette partie de la réforme.

Il avait été, en effet, stipulé au moment de la constitution de la Commission, qu’aucune concession ne serait valable qu’après avoir été soumise à l’assentiment de son comité exécutif. En vertu de cette clause, un grand nombre de concessions clandestines furent déférées à la Commission et annulées par elle.

Un décret, daté du 4 avril 1890, a prescrit l’immatriculation du domaine forestier. Outre le domaine public et le domaine de l’Etat, le Gouvernement tunisien surveille encore la gestion de l’ensemble considérable de biens de mainmorte, réunis sous l’appellation générique de Biens Habous.

La loi religieuse autorise l’affectation par les particuliers de biens immeubles à diverses fondations pieuses ou charitables, à l’entretien des mosquées et établissements religieux, etc. Ces biens sont de deux sortes : Les Habous publics et les Habous particuliers.

Les Habous publics sont ceux dont la nue-propriété et la jouissance sont affectées sans restriction à une fondation pieuse, et les Habous particuliers, ceux dont les fondateurs ont réservé la jouissance à leurs héritiers directs, et qui ne font retour aux Habous publics qu’après extinction de la descendance de fondateurs.

Les biens habous sont inaliénables. Les Habous publics sont gérés par un Conseil d’administration, la Djemaïa des Habous, dont le fonctionnement a été réglementé par décret du 8 juin 1874.

Il n’a pas paru à propos de modifier cette organisation qui a un caractère religieux. Mais le Gouvernement du Protectorat s’est préoccupé d’en surveiller le fonctionnement de façon à sauvegarder la valeur du domaine habous, dont les revenus avaient diminué au point de ne plus permettre à la Djemaïa de faire face aux dépenses qui lui incombaient, et parmi lesquelles se trouvait, depuis l’établissement du Protectorat, le budget des cultes musulman.

Dans un autre ordre d’idées, il était utile de rechercher les moyens de mettre en circulation cette masse énorme de biens immeubles (peut-être le quart du territoire tunisien), que l’inaliénabilité immobilisait sans profit pour le pays et pour la colonisation.

Le droit musulman, qui interdit la cession des Habous, à titre définitif, autorise la cession perpétuelle de la jouissance de ces biens, moyennant une rente foncière annuelle; cette cession porte le nom de contrat d’enzel ou de vente à enzel.

Le Gouvernement du Protectorat trouva ainsi établi l’usage de concéder les terrains habous moyennant fixation d’une rente à l’amiable; mais la plupart des immeubles étaient cédés à la faveur, au détriment de l’administration des Habous.

Un décret du 21 octobre 1885 a réglementé le mode de constitution en enzel des immeubles habous. Depuis cette époque, aucun immeuble habous ne peut être cédé à enzel que par la voie des enchères publiques. Les effets de cette réforme se firent sentir rapidement.

D’une part, les revenus de la Djemaïa augmentèrent; d’autre part, la colonisation, et, principalement, la colonisation française profita de ce moyen de se procurer des terres, en s’exonérant de l’obligation de verser les capitaux importants qu’aurait exigés l’acquisition d’immeubles ruraux.

D’une statistique officielle dressée en mars 1889, il résulte que, sur 6,068 hectares mis aux enchères, 3,430 hectares ont été acquis à enzel par nos nationaux, soit 56%, et 800 hectares par des Français associés à des indigènes, soit 13%. Le surplus a été pris par des Musulmans (1,553 hectares, soit. 20%), et enfin, 10,3% par des propriétaires étrangers de diverses nationalités.

Afin de favoriser la colonisation et de faire connaître les terres habous pouvant être demandées à enzel, la Djemaïa, sur l’invitation du Gouvernement du Protectorat, fait procéder, en ce moment, au relevé exact des propriétés qui lui appartiennent, avec croquis dressés par le service topographique et appuyés d’indications sur les sources, la nature du sol, etc. Cette opération est en cours d’exécution et permettra d’allotir de grandes propriétés.

CHAPITRE III.
JUSTICE ET PROPRIÉTÉ FONCIÈRE.

1. REFORME JUDICIAIRE.

Le système judiciaire qui existait en Tunisie antérieurement à notre établissement était celui des pays de capitulation : d’une part, des tribunaux indigènes dont la compétence était exclusivement bornée aux sujets musulmans ; d’autre part, des tribunaux consulaires jugeant, chacun pour le pays auquel il appartenait, les conflits intéressant ses nationaux.

Les tribunaux indigènes étaient le Châra et l’Ouzara : le premier, tribunal religieux rendant ses arrêts d’après la loi de l’Islam et le rite auquel se rattachaient les plaideurs; le second, tribunal laïque, en quelque sorte, relevant de l’Administration générale, et appliquant une sorte de droit honoraire fondé sur les décrets et les décisions du pouvoir séculier.

Au Châra qui, indépendamment de son siège principal à Tunis, est représenté dans chacun des districts de la Régence, ressortissent les affaires de statut personnel, de mariage, de succession, et, en général, toutes les questions qui touchant à la constitution de la famille ou de la propriété sont considérées, dans l’Islam, comme relevant exclusivement de l’ordre religieux. C’est à ce titre que les Européens étaient soumis en matière immobilière, soit comme demandeurs, soit comme défendeurs, à la juridiction du Châra.

L’Ouzara, divisé en deux sections, celle des affaires pénales et celle des affaires civiles, connaissait des litiges mobiliers ou immobiliers qui ne rentraient pas dans la compétence du Châra et, d’une manière générale, prononçait en matière pénale sur les crimes commis contre l’Etat et contre les particuliers.

Enfin, en vertu du principe qui avait réglé les attributions du Châra, des tribunaux rabbiniques jugeaient, entre Israélites, les questions de mariage, de succession, d’offrandes pieuses et les affaires concernant le culte.

Cette organisation n’a pas subi de modification de principe de la part du Gouvernement du Protectorat. Notre action s’est plutôt exercée dans le sens de l’amélioration des conditions de moralité et d’impartialité du personnel composant ces différentes juridictions.

La procédure instituée pour le tribunal du Châra en 1876 a été conservée ; mais un décret du 14 février 1885 a réglementé à nouveau la procédure de l’Ouzara. Des dispositions spéciales ont été prises pour la protection de la liberté individuelle. Il a été décidé que les prévenus ne pourraient être arrêtés ou écroués que sur mandat régulier, et qu’ils seraient interrogés dans les quarante-huit heures de leur arrivée à Tunis. En vertu d’autres décisions rendues vers la même époque, il a été interdit aux caïds d’appliquer des peines se montant à plus de quinze jours de prison, les condamnés ou les prévenus devant, après ce laps de temps, être dirigés sur Tunis pour y subir, s’il y a lieu, un internement plus prolongé.

Le tribunal de l’Ouzara a été en outre investi de pouvoirs spéciaux pour l’abolition de l’esclavage. Dès l’année 186-6 un décret ordonnait l’affranchissement des esclaves dans la Régence et des engagements spéciaux étaient pris en ce sens par le traité de commerce anglo-tunisien du 19 juillet 1875.

En 1887, une circulaire prise par le premier ministre sous l’action du Protectorat, et s’inspirant du décret de 1846, avait renouvelé les prescriptions concernant l’affranchissement des négresses détenues en état d’esclavage.

Depuis, il a paru utile de codifier et fortifier la législation existante, et un décret beylical du 28 mai 1890 a inauguré un système de pénalités contre quiconque aura acheté, vendu ou retenu en esclavage une créature humaine.

Il convient d’exposer maintenant les conditions dans lesquelles a été réglé le régime de la juridiction entre Européens.

La loi française du 27 mars 1883, promulguée par un décret beylical du 18 avril suivant, a établi un tribunal de première instance à Tunis et, sur différents points de la Régence, créé six justices de paix à compétence étendue, en laissant la faculté de pourvoir, par des règlements d’administration publique, aux dispositions ultérieures que réclameraient les besoins du service judiciaire.

Ces tribunaux faisaient partie du ressort de la Cour d’Alger; ils devaient connaître de toutes les affaires civiles et commerciales entre Français et protégés français, ainsi que de toutes les poursuites intentées contre des Français ou protégés français pour contraventions, délits ou crimes.

En outre il était stipulé que leur compétence pourrait être appliquée à toutes autres personnes par des arrêtés ou des décrets du Bey, rendus avec l’assentiment du Gouvernement français.

Cette dernière disposition prévoyait des mesures dont on peut dire que le succès même du Protectorat dépendait. Le maintien des juridictions consulaires était en effet incompatible avec le gouvernement régulier que nous projetions d’établir en Tunisie.

D’ailleurs, le désordre qui résultait de ces multiples juridictions était devenu tel qu’il était insupportable aux Européens eux-mêmes, dont il compromettait la sécurité et les intérêts. Des attentats avaient été commis en pleine rue et en plein jour contre des membres du corps consulaire.

Des tentatives de rébellion à main armée avaient eu lieu contre les agents de la force publique. L’audace des malfaiteurs était surexcitée par l’espoir de trouver l’impunité dans les difficultés d’un régime aussi impuissant à protéger la société contre la violence et la fraude qu’à assurer la loyauté et l’efficacité des transactions, difficultés dont l’exposé des motifs du projet de loi soumis au Parlement italien pour la ratification de la convention du 24 janvier 1884 qui a suspendu l’exercice de la juridiction consulaire italienne en Tunisie a tracé le tableau saisissant[4].

Il importait donc au plus haut point d’établir l’unité de juridiction pour les Européens établis dans la Régence et d’assurer parmi eux l’observation des lois. Un mois après l’établissement du tribunal français de Tunis, un décret beylical disposait que les nationaux des Puissances amies dont les tribunaux consulaires seraient supprimés, deviendraient justiciables des tribunaux français dans les mêmes cas et dans les mêmes conditions que les Français eux-mêmes.

Le Gouvernement de la République entama immédiatement avec les Puissances des négociations qui, en une année, amenèrent la fermeture successive de tous les tribunaux consulaires de la Régence et le transport de leurs attributions à la juridiction française.

La compétence de nos tribunaux s’étend aujourd’hui à tous les crimes commis par les Tunisiens contre des Européens, ou de complicité avec des Européens, à toutes les affaires civiles et commerciales dans lesquelles est intéressé un Européen, à l’exception des questions immobilières, aux contestations ou affaires relatives à l’exécution des conventions internationales auxquelles a adhéré la Régence pour les brevets d’invention, la propriété littéraire ou artistique et celle des marques de fabrique, aux infractions à la convention concernant les câbles sous-marins, aux délits résultant de dégradation aux lignes télégraphiques, ainsi qu’aux contraventions au monopole de l’office postal tunisien.

Un décret du 27 novembre 1888 a, en outre, soumis à la juridiction des tribunaux français en Tunisie un certain nombre de matières du contentieux administratif.

Enfin, les affaires immobilières ont été soustraites, dans les cas dont il sera parlé plus loin à propos de la loi sur la constitution de la propriété foncière, à l’examen des tribunaux indigènes, qui doivent également se déclarer incompétents dans les contestations concernant le statut personnel entre musulmans algériens et sujets de la France.

Deux déclarations échangées récemment avec la Belgique et la Grande-Bretagne ont étendu à la Tunisie l’effet des conventions qui règlent les questions d’extradition entre In France et ces deux Puissances.

D’autre part, une série de mesures ont organisé l’assistance judiciaire, réglementé l’exercice de la profession d’avocat, institué des commissaires-priseurs, pendant que l’organisation judiciaire recevait progressivement les développements que comportait l’importance croissante de ses attributions et des affaires qui lui étaient soumises.

Au mois de juillet 1886, une seconde Chambre était créée au Tribunal de Tunis; le 1er décembre 1887 un tribunal de première instance était installé à Sousse, et un substitut vient d’être nommé à ce dernier siège.

Les justices de paix ont suivi une progression analogue : aux six justices de paix instituées par la loi du 27 mars 1880 à Tunis, la Goulette, Bizerte, Sousse, Sfax et au Kef, un décret du Président de la République du 21 octobre 1887 a adjoint dix justices de paix provisoires dans lesquelles le contrôleur civil et, à son défaut, un officier spécialement désigné exercent les fonctions judiciaires. Un décret du 20 février dernier a transformé en justices de paix régulières les trois sièges provisoires installés à Souk-el-A rba, Nebeul et Gabès.

Les états ci-annexés (N, 0, P) contiennent le relevé des jugements rendus depuis 1883 par les tribunaux de Tunis et de Sousse en matière criminelle, correctionnelle, civile et commerciale.

Les dépenses auxquelles donne lieu l’entretien du service judiciaire sont supportées par le budget de la Régence ; elles y sont prévues, cette année, pour une somme de 650,643 piastres. Toutefois, par des motifs faciles à apprécier, les magistrats français n’émargent pas directement au budget tunisien ; l’avance est faite par la France et remboursée par l’administration beylicale.

Jusqu’à présent, les frais de justice avaient été perçus provisoirement, conformément à la loi de 1883, d’après le tarif appliqué en Algérie. La Résidence générale a pensé que des réductions pourraient être apportées à ce système de taxation, et une commission va être chargée d’étudier les dégrèvements ou les modérations de taxes qu’il y aurait lieu d’introduire.

Il convient de rappeler ici qu’un décret du Président de la République du 29 juillet 1887 a facilité aux étrangers résidant en Tunisie l’acquisition de la nationalité française, et ce décret, si récent qu’il soit, a déjà donné des résultats appréciables.

Parallèlement à la réforme judiciaire, le Gouvernement du Protectorat s’est préoccupé d’améliorer le régime des prisons. L’Administration pénitentiaire n’existait pas autrefois dans la Régence. Les détenus étaient emprisonnés, soit au bagne de la Goulette, soit dans une des prisons des caïds, dont le régime intérieur n’était soumis à aucune réglementation précise.

On a déjà vu les dispositions prises pour limiter le pouvoir des caïds en matière pénale. Un décret du 4 avril 1884 a ordonné que la durée de la peine infligée fût déterminée au moment de la condamnation. Jusque-là le condamné était en effet détenu sans limitation de durée et n’était relaxé que le jour où la volonté souveraine en décidait ainsi.

Plusieurs décrets sont venus ensuite réglementer successivement le régime intérieur de la prison de Tunis, du bagne de la Goulette, de la prison des femmes de Tunis, celui de la Driba de Tunis, et un décret du 3 janvier 1888 a définitivement remanié le règlement des prisons tunisiennes.

Des prisons ont été aménagées à Sousse, au Bardo; un bagne est en cours d’installation à Porto-Farina. Des établissements pénitentiaires sont projetés à Sfax, à Kairouan et dans différentes autres villes en vue de faciliter la surveillance des détenus, leur séparation en diverses catégories (condamnés à longues et courtes peines, prison préventive), et afin de faire cesser l’encombrement regrettable des prisons actuelles, qui sont absolument insuffisantes.

Il convient d’ajouter que la plupart des peines infligées à des condamnés européens sont subies dans les établissements pénitentiaires de l’Algérie.

2. LOI SUR LA PROPRIÉTÉ FONCIÈRE.

Un des bénéfices que l’Etat protecteur pouvait rechercher le plus légitimement était de faciliter à ses nationaux la mise en valeur des richesses du pays protégé. Aussi le Gouvernement du Protectorat s’est-il préoccupé de faciliter aux colons les moyens de se fixer sur le sol tunisien. Nous avons trouvé en Tunisie la propriété individuelle constituée, ce qui était un grand avantage pour les acquisitions de terre. Mais les litres de propriété étaient établis avec trop d’incertitude pour offrir pleine sécurité aux acquéreurs.

D’après la législation tunisienne, le droit de propriété se transmet par acte authentique, et le notaire chargé, de dresser l’acte est tenu d’établir préalablement la consistance du domaine elle droit du vendeur. Mais, par suite de l’absence de cadastre et d’enregistrement, l’usage s’était introduit de procéder aux constatations exigées par la loi en dressant un acte de notoriété publique (outika), rédigé après enquête sur les lieux, et au bas duquel était inscrit l’acte de vente. En cas de nouvelle cession de l’immeuble, le second contrat était écrit à la suite du premier, et il était admis qu’une outika suivie de trois contrats de vente, au moins, constituait un titre de propriété.

Le titre ainsi créé ne pouvait être invoqué que pour établir le droit de propriété, abstraction faite des charges occultes qui pouvaient grever l’immeuble vend u. D’autre part, il n’offrait aucune garantie sur la nature du droit en vertu duquel le cédant détenait l’immeuble. Le danger était d’au- tant plus grand que le droit immobilier de la Régence admet certaines formes de possession précaire susceptibles de se prolonger pendant assez longtemps pour que le public puisse le confondre avec le droit de propriété lui-même.

Un exemple permettra de se rendre compte des facilités qu’ouvre à la fraude la législation indigène. Un propriétaire détient un titre régulier, mais il le dissimule et vend sur une outika; il vend une seconde fois avec son titre, et, le titre prévalant sur l’outika, le premier acheteur se trouve évincé. Si l’on considère en outre que des insurrections, des confiscations sont venues encore ajouter à ces causes d’incertitude dans l’assiette de la propriété, et qu’à l’intérieur du territoire de certaines provinces il n’est pour ainsi dire point d’immeuble pour lequel il n’existe plusieurs titres de propriété réguliers aux mains d’individus différente, on apercevra facilement les difficultés contre lesquelles eurent à lutter les premiers colons venus en Tunisie à la suite de l’établissement de notre Protectorat.

De plus, le régime des biens immobiliers étant régi par la loi religieuse, c’était auprès du tribunal du Châra, c’est-à-dire devant des juges musulmans ignorant le droit européen, et parmi les difficultés d’une procédure inconnue et d’un idiome étranger, qu’il fallait poursuivre ou se défendre contre des revendications plus ou moins fondées. Et encore les Européens n’avaient-ils pas même accès direct à ce prétoire où ils ne pouvaient paraître en personne et où leur témoignage n’était reçu qu’à titre de simple renseignement.

Les progrès de notre influence pouvaient assurément améliorer la situation; il n’en était pas moins indispensable d’offrir aux colons une protection plus efficace.

Tel a été le but de la loi du 1er juillet 1885 sur la propriété foncière. Les dispositions de cette loi, dont le principe fondamental était emprunté à l’Act Torrens, ont été étudiées par une commission spéciale dans laquelle siégeaient, à côté des principaux fonctionnaires du Gouvernement du Protectorat et des membres de notre tribunal, des représentants des nationalités anglaise et italienne et les plus hauts dignitaires de la religion musulmane dans la Régence.

Le vice radical, en matière immobilière, de l’état de choses que nous avions trouvé en Tunisie, était la clandestinité des droits de propriété ou des charges susceptibles de la grever ou de la restreindre. Le nouveau système a pour principe la publicité absolue de toutes les modifications de la propriété foncière. Un titre doit être créé pour chaque immeuble, qui contiendra, indépendamment d’une description exacte de la contenance et d’un plan détaillé du terrain, l’indication du nom du propriétaire actuel, l’énonciation de tous les droits ou de toutes les charges dont il est grevé. Ce titre, qui représente l’immeuble et lui donne ainsi une sorte de personnalité, doit suivre et enregistrer toutes les modifications qui peuvent survenir dans sa consistance matérielle ou dans son état juridique. La valeur des énonciations qui y sont portées est assurée par une sanction énergique : sa teneur fait foi par elle-même ; aucun droit ne peut exister s’il n’y a été inscrit ; aucun droit ne peut être contesté s’il y est inscrit. Ainsi l’examen de l’établissement de propriété, examen qui nécessite parfois des recherches si compliquées et si difficiles dans les législations savantes de l’Europe, est remplacé par la simple lecture d’un certificat composé à peine d’une double feuille.

Il suffira également d’une simple inscription sur le registre matrice, d’un report, sur le titre, d’une formule concise et préparée à l’avance, pour réaliser facilement, et sans l’assistance des hommes de loi, toutes les transactions dont est susceptible la propriété foncière.

L’établissement du titre de propriété fait l’objet d’une procédure spéciale dont les formalités ont pour but : de mettre les tiers en demeure de faire connaître dans un délai de rigueur, passé lequel la purge s’opère de plein droit, les droits qu’ils peuvent avoir sur l’immeuble; de procéder à la reconnaissance de l’immeuble et au lever du plan; d’instruire et de juger les oppositions qui se sont produites en temps utile; et finalement de permettre la rédaction du titre définitif et son immatriculation sur un livre foncier tenu par un fonctionnaire spécial qui porte le nom de conservateur de la propriété foncière.

En Australie, ainsi que dans les autres possessions anglaises de l’Australasie où l’Act Torrens a été pour la première fois appliqué, c’est un seul fonctionnaire qui est chargé d’examiner et de juger les oppositions. Bien que ce système n’eût pas donné lieu à des plaintes dans les pays où il était en vigueur, il a paru préférable au Gouvernement du Protectorat d’entourer de plus de garantie une opération aussi délicate, et d’en confier le soin à un tribunal mixte, comprenant deux chambres composées de juges français ou tunisiens et une chambre mixte sous la présidence d’un magistrat français, dont la compétence est déterminée par le statut personnel des intéressés. Il convient d’ajouter que, toutes les fois qu’un Européen est opposant à une demande d’immatriculation, il lui est loisible, avant tout autre débat au fond, d’évoquer l’affaire devant le Tribunal français.

Un premier effet de l’immatriculation est de mettre l’acquéreur d’un bien à l’abri de toute surprise comme de tout mécompte. Une autre conséquence non moins importante est de placer le bien immatriculé sous la juridiction du tribunal français, et de substituer aux dispositions obscures et incertaines de la loi musulmane qui le régissait antérieurement une législation claire et précise dont les dispositions, formulées dans la loi de 1885, ont su concilier les principes des législations européennes les plus perfectionnées avec ce que les usages locaux offraient d’utile et de respectable.

Ce n’est pas, en effet, un des côtés les moins originaux du nouveau système que d’offrir aux Européens toutes les garanties nécessaires et d’être en même temps accessible aux indigènes. Non seulement les dispositions de la loi de 1885 ont été délibérées et approuvées par les chefs des deux rites musulmans qui se partagent la Régence, mais la procédure en immatriculation reproduit en partie, dans ses formes extérieures, les pratiques de la législation tunisienne en matière de transmission de propriété. Et, d’autre part, la présence dans le tribunal mixte de magistrats musulmans est, pour l’indigène, une garantie qu’il est tenu un compte équitable de ses lois et de ses croyances.

Malgré l’incontestable utilité qu’aurait présentée son extension à tout le territoire de la Régence, la législation nouvelle impliquait, dans la pratique, une modification trop importante aux conditions générales de l’assiette de la propriété et nécessitait la révision de trop de situations acquises pour que le Gouvernement du Protectorat crût devoir l’imposer. S’inspirant des principes de tolérance et de respect des mœurs indigènes qui avaient fait sa force comme son succès, il a laissé le propriétaire libre de requérir, s’il le juge utile, l’immatriculation et de s’assurer les avantages attachés à la transformation du statut de ses biens.

La loi de 1885 a nécessité la création d’une administration spéciale, la Conservation de la propriété foncière, qui ne compte jusqu’à présent que deux fonctionnaires. Le conservateur de la propriété a pour attributions principales la rédaction des actes d’immatriculation des immeubles, la conservation et la tenue au courant du livre foncier sur lequel doivent être inscrits tous les actes relatifs aux immeubles immatriculés, ainsi que la perception des droits auxquels donnent lieu ces différentes formalités.

Les états ci-joints (annexes Q, R.) contiennent les indications statistiques touchant l’exécution de la loi de 1885.

Il convient toutefois de noter, comme le fait remarquer l’annexe Q, que les droits afférents aux immatriculations ont été successivement réduits. Une commission spéciale va d’ailleurs reprendre incessamment l’examen de l’ensemble du tarif pour en abaisser encore, dans les limites du possible, les bases de perception.

Afin d’assurer la parfaite régularité des opérations de triangulation et des levers de plans nécessités par l’immatriculation, des agents d’une capacité professionnelle éprouvée ont été formés en service topographique et rattachés à la Direction des travaux publics. Ce service fait l’objet d’une notice spéciale, au chapitre consacré à cette Direction.

CHAPITRE IV.
TRAVAUX PUBLICS.

La Direction des travaux publics a été instituée par décret beylical du 3 septembre 1882. Elle comprend : A. Le service des ponts et chaussées ; B. Le service de la police des ports, du commerce et de la navigation ; 1 C. Le service des mines; D. Le service topographique; E. L’administration des forêts ; Le service météorologique[5].

1° – SERVICE DES PONTS ET CHAUSSÉES.

Au point de vue de ce service, la Tunisie a été divisée en deux régions : sud et nord.

La région sud ne forme qu’un service confié à un ingénieur en résidence à Sousse.

La région nord, beaucoup plus importante, sinon en étendue, du moins au point de vue des relations commerciales et de la production agricole, comprend les quatre services – suivants dont les sièges sont à Tunis : 1° Service maritime; 2° Service ordinaire; 3° Service des bâtiments et aménagements d’eau; 4° Service municipal de Tunis.

Ces services ont à leur tête des ingénieurs ayant sous leurs ordres des architectes, conducteurs et commis répartis sur les différents points de leurs circonscriptions. La plupart de ces agents appartiennent, soit au corps des ponts et chaussées, soit à l’ancien personnel du cadre auxiliaire des travaux de l’Etat français.

1° Service maritime : port de Tunis. — La concession du port de Tunis, dont l’établissement préoccupait déjà le Gouvernement beylical depuis plusieurs années, avait été accordée le 14 août 1880 à la Compagnie de Bône-Guelma, qui, un mois environ après, avait cédé ses droits à la Compagnie des Batignolles. La situation se trouvait ainsi engagée à l’époque de notre entrée dans la Régence, et notre in- fluence ne pouvait s’exercer que pour amener la solution, au mieux des intérêts du Gouvernement beylical, des questions multiples que soulevait l’exécution du contrat passé en 1880. Il ne semble pas nécessaire de rappeler ici dans leur détail les difficultés qui s’élevèrent alors entre la Compagnie concessionnaire et le Gouvernement beylical, et qui ne prirent fin qu’en 1885, à la suite d’une transaction dont les termes servirent de base au projet définitif.

Ce projet, établi après avis conforme du Conseil supérieur des ponts et chaussées, comprend dans ses grandes lignes : Un avant-port à la Goulette ; Un canal de 8 kilomètres de long et de 6 m. 5o de profondeur, avec garage de croisement, creusé à travers le lac de Tunis, et qui permettra à la navigation maritime, actuellement obligée de s’arrêter à la Goulette, d’accoster à quai à Tunis; Un bassin, à Tunis, de 12 hectares de superficie et de 6 in. 5o de profondeur, pourvu de quais et d’une installation complète de hangars, voies ferrées et appareils de déchargement.

La dépense a été évaluée à environ 13 millions de francs; un premier fonds de 6,700,000 francs a été constitué sur les excédents disponibles des premiers budgets; il devra être pourvu aux échéances ultérieures sur les budgets annuels.

La durée des travaux a été prévue à six années, et tout donne à penser qu’ils seront terminés le 18 juillet 1894, à la date fixée. Les jetées de l’avant-port sont très avancées, le canal est creusé en grande partie, et, le 1ft juillet dernier, la drague est arrivée sous le quai de Tunis. Le bassin du port va être attaqué cet hiver.

Les autres travaux exécutés ou en cours d’exécution depuis 1883 sont les suivants : A Tunis, agrandissement des terre-pleins de la douane et installation de grues de chargement dont l’exploitation a été remise à la Chambre de commerce française; A la Goulette, mise en état provisoire du port ; A Bizerte, dragage du canal reliant la Iller au lac de Bizerte et permettant aux bateaux calant moins de 3 mètres d’accéder dès maintenant aux eaux intérieures. En outre, une société privée a obtenu du Gouvernement tunisien la concession d’un ensemble de travaux destinés à créer à Bizerte un port commercial et à mettre eu valeur l’ensemble de la région. Cette société est constituée, ses statuts ont été récemment publiés, et les travaux sont actuellement en voie d’exécution.

Sur un grand nombre de points de la côte, à Porto-Farina, à Sousse, à Monastir, à Mahdia, à Sfax, à Gabès, à Houmt-Souk (Djerba), des travaux de nature diverse : appontements, quais, brise-lames ont été construits. Le total des sommes dépensées de ce chef monte à plus de 1,500,000fr.

Des entreprises de même ordre sont projetées pour Tabarka, Nebeul. L’Administration a étudié la construction de grands ports à Sousse et à Sfax pour compléter le réseau commencé à Tunis et à Bizerte.

Enfin, trois ports ont été concédés à des entreprises privées d’exploitations minières ou agricoles à Tabarka, au Cap-Serrat et près de Gabès.

2° Phases el fanaux : — L’atterrage de Tunis était seul éclairé, en 1883, par trois phares internationaux établis à Il cap Bon, à l’Ille-aux-Chiens et à Sidi-bou-Saïd.

A la suite des études faites en 1884 par une commission spéciale, un projet d’ensemble a été établi, après avis conforme de la Commission des phares de France, pour éclairer les côtes tunisiennes depuis la frontière algérienne jusqu’à Sfax.

L’exécution du programme adopté alors est très avancée. Les anciens phares de l’entrée du port de Tunis ont été améliorés. Des feux sont allumés à l’île Plane, à Kuriat. A Kelibia, à Sousse et à Mahdia, les appareils sont en voie d’installation. Les bâtiments des phares du Cap-Serrat et de Ras-Engelah se construisent, et leurs appareils sont approvisionnés. Des bouées lumineuses à gaz signalent le banc des Kerkennah. Il ne reste plus qu’à édifier le phare de Sfax et à placer trois bouées lumineuses à l’entrée de ce port. En outre, des feux de port ont été établis sur plusieurs points. La dépense totale s’élève jusqu’à présent à plus de 1,500,000 francs. La Direction des travaux publics étudie en ce moment l’éclairage des côtes sud de la Régence.

3° Routes et ponts : — Il n’existait à Tunis, en 1883, que 4 kilomètres de route empierrée, reliant Tunis au Bardo. Toutes les autres voies de communication étaient à l’état de pistes accessibles seulement aux convois légers, et le plus souvent impraticables en hiver. Aucun ouvrage d’art ne facilitait la traversée des dépressions ou des oueds.

Seuls, quelques grands ponts, de construction ancienne, permettaient de franchir les cours d’eau les plus importants.

La construction d’un réseau complet de routes aurait dépassé de beaucoup les ressources en argent et en personnel dont disposait le service des travaux; elle n’eut pas été justifiée d’ailleurs dans un grand nombre de cas, et il fallait prévoir la construction du réseau ferré.

Le programme adopté et suivi consiste, d’une manière générale, à rectifier et à empierrer les passages les plus difficiles, et à établir les ouvrages d’art destinés à assurer la permanence des communications entre les principaux centres de population ou de colonisation.

Néanmoins, plus de 550 kilomètres de routes empierrées ont été livrés à la circulation depuis 1883, et 71 nouveaux kilomètres sont en construction.

L’ensemble des travaux a donné lieu à une dépense de près de 7 millions de francs; le prix du mètre courant, ouvrage d’art compris, 11e dépassant pas (en moyenne) 14 francs.

Le réseau des routes tunisiennes, en dehors de celles de la banlieue, peut se ramener: A deux grandes lignes Nord-Sud, allant l’une de Tabarka au Kef par Aïn-Draham et Souk-el-Arba, l’autre de Bizerte vers Sfax, par Tunis, la presqu’île du Cap Bon, Sousse, Monastir et Mahedia; et à deux lignes Est-Ouest reliant l’une, Sousse à Kairouan; l’autre, Tunis au Kef, par Medjez-el-Bab et Testour.

Ces routes sont construites avec une largeur de plate- forme de 7 à 8 mètres et une chaussée empierrée de 3 à A mètres de largeur sur 0 m. 20 d’épaisseur. Elles sont pourvues de maisons cantonnières, et des pépinières ont été établies sur différents points. Leur établissement a nécessité la construction de plus de deux cents ouvrages d’art courant, ponts, ponceaux, seuils maçonnés pour le passage des oueds. En outre un pont métallique de 10 mètres d’ouverture sur l’Oued Bagla et deux autres ponts en charpente, l’un sur l’Oued Bir-lou-Bit (25 mètres) et l’autre à Sidi-Saad (25 mètres), ont été livrés à la circulation.

Les tabliers métalliques des ponts de Sioughia (87 mètres) et de l’Oued Miliane (45 mètres) sont terminés et mis en place.

Des projets sont préparés pour poursuivre l’achèvement des routes classées et en commencer de nouvelles, notamment de Soliman à Sidi-Kraïs et de Nebeul à Kelibia. D’autre part, 260 kilomètres de pistes ont été améliorés.

4° Chemins de fer : — Le réseau tunisien construit jusqu’à ce jour comprend : 10 La ligne de Tunis à la Goulette, d’une longueur d’environ 35 kilomètres, appartenant à une compagnie italienne, et exploitée avec la garantie du Gouvernement italien ; 2° La ligne à voie large de la Medjerdah, exploitée avec la garantie du Gouvernement français. Cette ligne, con- cédée en 1877 à la Compagnie de Bône-Guelma, se terminait, avant 1884, à Ghardimaou; elle a été, depuis lors, reliée à Souk-Ahras et met en relation directe Tunis avec le réseau algérien; 3° La ligne, système Decauville, de 0 m. 60 de largeur, construite par le Département de la guerre en 1882 entre Sousse et Kairouan, et dont l’exploitation régulière est assurée, depuis le mois de mars 1888, par la compagnie de Bône-Guelma.

En outre, une ligne de 70 kilomètres a été concédée à des sociétés métallurgiques entre Tabarka et le Cap-Serrat.

En réalité, la vallée de la Medjerdah est seule pourvue de moyens de communication rapides. En présence de l’amélioration de la situation financière, le Gouvernement du Protectorat s’est trouvé en mesure de prévoir et de préparer la construction, à brève échéance, d’un réseau s’étendant sur l’ensemble de la Régence.

Le projet étudié a pour base l’établissement d’une grande ligne Nord-Sud, reliant entre eux, soit directement, soit par ses embranchements, les centres de population et les régions les plus importantes au point de vue agricole.

La voie principale, partant de Bizerte se poursuivra par Mateur et Djedeïda sur Tunis, puis de Tunis à Kairouan par la presqu’île du cap Bon, d’où elle gagnera, par Gilma, Sbeitla, Kasserine et Feriana, d’une part Gafsa, de l’autre Tébessa et le réseau algérien. De Gafsa la voie pourrait ultérieurement être poussée à Gabès et vers le Djérid.

Trois embranchements viendraient se souder sur cette grande artère : i – La ligne de Sousse et de Sfax desservant le Sahel; 2° La ligne de Nebeul à Hammamet; 3° La ligne de Zaghouan au Kef. Un quatrième embranchement allant de Béja à la côte Nord desservirait les mines de la région des Nefzas et une partie des massifs forestiers de la Khroumirie.

L’avant-projet de ce réseau, dont la longueur dépasse 35o kilomètres, a été soumis à une enquête publique du 8 mars au 17 avril 1889.

Des conventions spéciales ont été passées avec la Compagnie de Bône-Guelma, et viennent d’être approuvées par le Conseil général des ponts et chaussées. Sauf pour la- ligne de Tunis à la côte Nord, la voie adoptée en principe est la voie d’un mètre ; les installations et l’exploitation seront conduites d’après les dispositions qui ont été sanctionnées par l’expérience, dans l’exécution des chemins de fer économiques.

5° Bâtiments : — Ce service comprend la construction, l’entretien et la réparation de tous les immeubles appartenant à l’État, et qui se divisent en trois catégories : Les palais beylicaux; Les bâtiments domaniaux; Les bâtiments civils.

Les travaux exécutés dans les palais beylicaux ont coûté à peu près 400,000 francs. Sont compris dans ce total les frais d’installation du musée Alaoui au Bardo et d’un lazaret de 150 lits dans l’ancien palais de Carthage.

Les bâtiments domaniaux ont absorbé environ 600,000 fr., affectés à la réparation des consulats d’Allemagne et d’Italie, et de la résidence de la Marsa, ainsi qu’aux premiers travaux de réfection de la résidence générale à Tunis.

Le service des bâtiments civils a suivi pas à pas, pour ainsi dire, le développement du Gouvernement du Protectorat ; Au fur et à mesure qu’on créait ou qu’on réformait les administrations, il fallait les loger, et c’est ainsi que chacun des progrès de ce service marque une étape nouvelle dans l’accroissement de notre sphère d’action en Tunisie.

Une première réforme a centralisé à Tunis, à poste fixe, les bureaux de l’administration centrale, antérieurement installée au Bardo, à h kilomètres de la ville, mais qui suivait, avec les archives, le Bey dans tous ses déplacements, et passait régulièrement la saison d’été à la Goulette, et le Ramadan à Tunis. En 1883, l’ancien palais du général Khair-Eddine, à Tunis, a été aménagé pour recevoir le tribunal français. Un peu plus tard, l’organisation des contrôles civils nécessitait de nouveaux travaux d’installation.

En un point isolé, à Maktar, il a fallu édifier un véritable groupe défensif, pour loger et mettre en sûreté le personnel du contrôle et l’oudjak.

Des réparations importantes ont été faites aux immeubles où sont logés le lycée Sadiki, l’école normale Alaoui et les bureaux de la direction de l’Enseignement. Des ateliers ont été aménagés pour l’enseignement professionnel. Les travaux de construction d’une école secondaire de filles à Tunis vont être entrepris très prochainement.

Le développement du service des postes et des télégraphes a nécessité l’aménagement de nombreux locaux. Au mois de février 1889, un hôtel des postes et des télégraphes a été commencé à Tunis.

Douze bureaux de port ont été aménagés ou établis sur divers points des côtes.

Dix-neuf bâtiments de douane ont été édifiés tant sur le littoral que du côté de la frontière algérienne. Par suite des nécessités locales, il a fallu, le plus souvent, ménager dans ces postes des logements pour le personnel et des écuries pour les chevaux.

De grands marchés, tels que le Fondouk el Ghalla et le marché aux grains, le marché aux hestiaux à Tunis ont été ouverts. En même temps, des abattoirs étaient installés a Tunis et à Nabeul; d’autres vont être prochainement inaugurés à Béja et à Kairouan. Au fur et à mesure de la mise en exploitation de ces établissements, l’abatage est interdit dans l’intérieur des villes.

Un certain nombre de geôles et de prisons ont été améliorées. Le service des bâtiments civils est également chargé de l’entretien des locaux affectés à la gendarmerie. Le total des dépenses effectuées jusqu’à présent pour les bâtiments civils dépasse 3,500,000 francs.

6° Aménagements d’eau. — Ce furent des ingénieurs français qui, en 1859, conçurent et exécutèrent la restauration de l’aqueduc de Carthage, dont les eaux alimentent, depuis cette époque, Tunis et une partie de ses environs.

D’autres efforts avaient été tentés, mais la plupart sans succès, et le Gouvernement du Protectorat peut légitimement revendiquer l’honneur d’avoir repris les grands travaux hydrauliques qui avaient rendu autrefois la Tunisie si prospère.

Tout d’abord, un décret de 1885 a compris dans le domaine public les cours d’eau de toute sorte, sources, aqueducs, abreuvoirs, canaux, etc. D’autre part, suivant les traces de la civilisation romaine, utilisant, dans certains cas, les fontaines antiques elles-mêmes, la Direction des travaux publics a entrepris d’importants travaux d’adduction d’eau, dont l’achèvement aura une heureuse influence sur la santé publique.

Actuellement, Porto-Farina, Bizerte, Kairouan, Tebour- souk, Djemel, Souk-el- Arba sont pourvus, et bientôt les travaux vont commencer, qui doteront d’eaux potables Ghardimaou, Nebeul, Mateur, Sousse, Houmt-Souk, El Allia, Moktar, Hammam el Enf avec Rhadès, Gorombalia et Soliman. Les réservoirs ont été réparés à Kairouan, au Kef, à Bizerte, à Béja et à Sfax.

Les dépenses du service des eaux dépassent actuellement 1,100,000 francs, sans parler des forages qui ont été exécutés par le service des mines.

D’autre part, l’alimentation hydraulique de Tunis a été l’objet d’améliorations sérieuses, par suite de l’exécution de travaux d’aménagement et de distribution, se montant à près de 1,150,000 francs, et de réformes introduites pour mettre fin au gaspillage des eaux. Actuellement, 100 litres d’eau par habitant et par jour, pendant sept mois, et 55 litres pendant le reste de l’année sont assurés à la population. Des études se poursuivent, pour amener à Tunis, où elles seraient réservées aux services publics et à l’irrigation, une partie des eaux de la Medjerdah.

L’administration se préoccupe également de l’utilisation des eaux de rivière pour la culture; c’est une œuvre de longue hal eine à entreprendre; là encore, les indications laissées par les Romains tracent la voie à suivre pour rendre à la province d’Afrique sa légendaire fertilité.

7° Travaux des villes. — On sait la sollicitude avec laquelle le Gouvernement du Protectorat s’est attaché à développer les institutions municipales en Tunisie. Les travaux entrepris pour améliorer l’intérieur des villes constituent un des côtés les plus intéressants de cette œuvre. Le décret du 1er avril 1885 sur l’organisation municipale a confié aux ingénieurs de l’État le soin de diriger les entreprises urbaines d’intérêt public et a, en même temps, investi l’administration du droit d’inscrire d’office au budget des municipalités les dépenses de salubrité indispensables.

Il est fait face aux dépenses, soit au moyen de ressources fournies par des taxes locales, soit au moyen de subventions du Gouvernement. Le premier progrès réalisé dans les quatorze villes autres que Tunis soumises au régime municipal a été l’organisation des services du balayage et de l’éclairage. La voirie a été sensiblement améliorée, et les anciennes chaussées entièrement remises en état de viabilité. Des plans d’alignement ont été établis.

Enfin, de nombreux travaux, tels que réparations et constructions d’égouts, cimetières, abattoirs, etc., ont été exécutés suivant les besoins locaux.

8° Travaux municipaux de Tunis. — L’importance exceptionnelle des travaux de la ville de Tunis a nécessité la création d’un service spécial à la tête duquel a été placé un ingénieur. Un des premiers soins de l’administration a été d’assurer les services du nettoiement et de l’éclairage, qui absorbent déjà plus de 230,000 francs par an.

Une société française s’est substituée, depuis 1884, à la société anglaise concessionnaire antérieurement de l’entreprise du gaz; elle a établi une canalisation complète dans le quartier européen, et 32 kilomètres de conduite dans le quartier arabe. La plupart des voies ont été mises en état de viabilité.

Tout en respectant le caractère si pittoresque de la vieille ville africaine, on s’efforce de lui assurer la salubrité et le confort des villes européennes. L’avenue de la Marine, transformée, forme aujourd’hui une promenade de 700 mètres de longueur sur 60 de largeur; des plantations ont été faites, des plaques indicatrices posées, et l’entretien des chaussées a lieu maintenant d’une manière régulière.

Le système des égouts appelait une réforme non moins urgente. Il fallait pourvoir au curage des innombrables canaux qui suivent l’énorme développement des rues de la ville arabe, assurer l’écoulement des collecteurs à ciel ouvert que les immondices venaient, à chaque instant, obstruer. Ce service a été assuré dès 1885. En outre, un plan général de canalisation souterraine et étanche a été préparé, afin de permettre d’emmener loin de Tunis les eaux et les immondices, et de protéger la ville contre les infiltrations et les émanations qui étaient la conséquence de l’état de choses antérieur.

A ces travaux d’assainissement, exécutés ou en projet, se rattachent les travaux de clôture et d’installation des cimetières, qui se trouvaient soit à l’intérieur de la ville, soit répartis sur son pourtour, et dont l’installation rudimentaire compromettait à la fois le respect dû aux morts et l’hygiène publique.

La plupart de ces champs de repos sont maintenant transférés hors de la ville et pourvus de clôtures. La police des inhumations a été instituée, et l’interdiction d’inhumer à l’intérieur de la ville a été étendue aux cimetières musulmans. Un service de tramways, exploité par une société privée, a été ouvert au mois de juillet 1887.

Enfin la ville projette la construction d’un casino municipal, qui servira de lieu de réunion à la population européenne et aux visiteurs étrangers de passage à Tunis.

2°— SERVICE DELA POLICE DES PORTS ET DE LA NAVIGATION.

Il existait, avant notre installation en Tunisie, un service de la police des ports, mais cette institution, mal surveillée, donnait lieu trop souvent à des abus et à des exactions intolérables.

La première réforme porta sur le personnel qui fut licencié et remplacé par des agents nouveaux directement rétribués par l’État. Le personnel actuel comprend un chef de service en résidence à Tunis, et des lieutenants et des maîtres de port sur les principaux points d’atterrissement du littoral.

Une série de décrets, dont le premier remonte au 17 décembre 1883, a organisé le service de la police des ports, des quais et des appontements, du batelage, et déterminé les points de lestage et de délestage dont les opérations s’accomplissaient autrefois au milieu des ports et des rades suivant la fantaisie du capitaine.

Les droits de port, qui prêtaient à une foule de perceptions vexatoires et abusives, ont été unifiés et réduits. Outre leurs attributions propres, les officiers de port ont, sur un grand nombre de points, à surveiller l’accomplissement des prescriptions sanitaires, et concourent à la publication de statistiques mensuelles sur les mouvements du commerce maritime.

Le désordre qui régnait avant 1883 dans les ports s’étendait aussi à la petite navigation fort active qui dessert les côtes de la Régence et la met en rapports avec les contrées voisines. Aucune surveillance ne s’exerçait sur les patrons et les équipages de ces embarcations, venus de n’importe où, et naviguant sous le pavillon qu’il leur plaisait d’arborer.

La contrebande était des plus actives, et on signalait des actes de piraterie aux Kerkennahs et sur la frontière de la Tripolitaine. Par la présence d’un stationnaire français, la réorganisation des douanes, ainsi que par un ensemble de mesures concernant la police de la navigation, on s’est efforcé de porter remède à la plupart de ces abus.

Une circulaire de 1887 a prescrit aux agents indigènes de secourir les navires en détresse ; la vente des épaves a été réglementée ; et les actes de brigandage qui eurent lieu en 1878, lors du naufrage de l’Auvergne, à Tabarka, ne se sont plus reproduits. Des postes de secours, pourvus des engins nécessaires, ont été installés sur un grand nombre de points du littoral.

Par contre, la police de la pêche, dont certains produits sont l’objet de mises en adjudication au profit de l’État, n’a encore été l’objet d’aucune réglementation. L’administration s’occupe de combler cette lacune. Une mission spéciale vient d’étudier, à ce point de vue, les côtes de la Régence, et un projet de décret est actuellement soumis à l’examen des diverses administrations intéressées.

3° — SERVICE DES MINES.

Le service des mines a, dans ses attributions, les mines, les carrières, la carte géologique, les sources minérales el les puits artésiens. Il assure l’également, depuis 1885, le fonctionnement d’un laboratoire d’analyse dont les services sont mis gratuitement à la disposition des explorateurs, et qui s’occupe également des études microscopiques et micrographiques intéressant l’hygiène publique.

Bien que les recherches entreprises aient permis de constater en Tunisie l’existence d’assez nombreux gisements, il n’existe qu’une seule mine vraiment en activité ; elle appartient à une société privée et exploite les gisements de plomb et de zinc de Djebel Reças, près de Tunis. Les carrières de plâtre et de marbre sont nombreuses.

L’exploitation la plus importante est celle de Schemtou où l’on a retrouvé les anciens marbres de Numidie que recherchait autrefois la Rome impériale. D’autres carrières de pierre de taille et de grès, autrefois exploitées, ont été ouvertes de nouveau et fournissent aux besoins de la construction et de la voirie. La carte géologique de la Régence sera publiée probablement avant la fin de la présente année et permettra de se rendre compte d’une manière plus complète de la constitution du sol.

Le service des mines s’est également occupé de rechercher les moyens d’améliorer les conditions de captage des sources minérales dont la Tunisie possède un assez grand nombre et qui sont très fréquentées par les indigènes. Ces travaux sont toutefois, pour la plupart encore, à l’état de projet.

Des essais ont été tentés pour alimenter, au moyen de forages artésiens, des localités absolument dépourvues d’eau; ils n’ont pas donné les résultats qu’on en espérait, les nappes rencontrées étant peu potables. Toutefois on se propose de poursuivre les travaux dans les régions des oasis du Sud où ces eaux, même défectueuses pour la boisson, rendraient les plus grands services pour l’agriculture, et les forages pratiqués au nord de Gabès permettent de concevoir à cet égard de sérieuses espérances.

4° — SERVICE TOPOGRAPHIQUE.

Le service topographique a été chargé des opérations de délimitation et de levers de plan prévues par le décret du 1er juillet 1885 sur la propriété foncière dont il a été déjà question.

Son personnel se compose de géomètres et d’élèves géomètres recrutés par voie de concours. Les méthodes et les instruments employés ont été déterminés avec le plus grand soin, et les vérifications accomplies ont permis de constater les excellentes conditions dans lesquelles se sont accomplis jusqu’à présent les travaux.

C’est également le service topographique qui exécute sur le terrain la reconnaissance des biens habous dont le recensement d’ensemble se poursuit actuellement. Ses agents ont concouru aussi à la délimitation du domaine public et à la confection des plans de plusieurs villes.

Leurs travaux vont recevoir la base solide, qui leur avait jusqu’à présent manqué, par la triangulation qu’exécute, en ce moment, en Tunisie, aux frais du Gouvernement français et de l’administration beylicale, le service géographique de l’année. Une carte d’ensemble sera ensuite dressée. Les feuilles de Tunis et de la Goulette sont à la gravure, et sept autres, comprenant Bizerte, Mateur, Zaghouan, l’Enfida, Sousse et Kairouan, sont en cours d’exécution sur le terrain.

5° — ADMINISTRATION DES FORÊTS.

La Direction des forêts a été constituée en 1883 sur les propositions d’une mission envoyée, un an auparavant, par le Gouvernement français et dont les investigations avaient permis de constater la présence d’importants boisements de chênes-lièges et de chênes zeens en Kroumirie et de pins d’Alep au sud de Tunis et aux environs du Kef. Ce nouveau service a été rattaché à la Direction des travaux publics et son mode de fonctionnement a été fixé par le décret du 11 novembre 1886. Le personnel comprend 1 inspecteur, 4 chefs de circonscription, 9 brigadiers, t),h gardes français et 37 gardes indigènes.

Antérieurement à 1883, la législation forestière n’existait pas. Les intérêts du domaine étaient sous la simple sauvegarde des principes du droit musulman qui lui attribuaient, d’une manière générale, la propriété des forêts. Un décret du 10 avril 1890 a mis fin à cet état de choses. Il affirme les droits de l’État en respectant les droits de propriété et d’usage, régulièrement établis avant la promulgation.

Des dispositions antérieures avaient été édictées en 1886 et 1888, en vue de préserver les forêts contre les incendies, qu’y allumait fréquemment la malveillance. Une répression sévère a été établie contre les coupables, pendant que le droit de réquisition était conféré à l’Administration à l’égard des Européens et des indigènes pour combattre l’incendie. Récemment des postes-vigies ont été institués.

Les forêts de la Régence couvrent environ 500,000 hectares, qui se divisent en deux groupes, le groupe du nord de la région de Ghar-Dimaou, peuplé surtout de chênes-lièges et de chênes zeens, et le groupe de l’ouest et du centre, situé au sud de la Medjerdah, dans lequel dominent le pin d’Alep et le chêne vert.

Ce dernier groupe est de beaucoup le moins riche et le moins important. L’Administration a cru cependant devoir en assurer la conservation, en attendant que ses ressources lui permettent de reconstituer les forêts dont la disparition a modifié d’une manière si désavantageuse au point de vue hygrométrique le climat de l’ancienne province d’Afrique.

Le programme de 1883 comprenait l’exécution de trois natures de travaux : Les démasclages destinés à mettre en rapport les massifs de chênes-lièges; L’établissement de tranchées de protection; L’ouverture de chemins et sentiers.

Il a été démasclé, depuis 1884, près de 3,900,000 chênes-lièges; 1,200 hectares de tranchées de protection ont été ouverts; plus de 600 kilomètres de routes et sentiers ont été construits, et des barrages, nécessitant l’emploi de plus de 8,000 mètres cubes de matériaux, ont été établis sur les ravins.

L’ensemble de ces travaux a occasionné une dépense de plus de 800,000 francs. Une somme de h00,000 francs a été employée en études, en boisements, et en travaux de protection et de fixation des dunes de sable, exécutés dans les oasis de Gabès, de Nefta, de Tozeur et du Djerid.

L’organisation du service est encore trop récente pour que l’exploitation des forêts tunisiennes ait pu couvrir les dépenses. Les adjudications de coupes depuis 1884 n’ont produit qu’un million, laissant ainsi une insuffisance de recettes assez considérable. Cette situation va se modifier rapidement. Dans deux ans, il sera possible de commencer à procéder à la première récolte du liège de reproduction sur les arbres démasclés en 1884.

Dès l’année 1892, cette récolte donnera, d’après les prévisions, de 15,000 à 16,000 quintaux métriques de liège valant environ 400,000 francs. Le produit ira en croissant d’année en année, le nombre des arbres qui donnent du liège de reproduction augmentant proportionnellement au nombre des arbres démasclés.

On estime que le revenu net annuel des forêts du groupe du Nord pourra atteindre 2 millions de francs dans la troisième décennie, à compter de 1884, et se maintenir en- suite indéfiniment à ce chiffre; des prévisions certaines ne pourront toutefois être établies qu’à la fin de la deuxième décennie.

CHAPITRE V.

1. ENSEIGNEMENT PUBLIC.

La Direction de l’enseignement public a été créée en mai 1883; elle a été définitivement organisée par décret beylical en date du 6 mai 1884.

Le Directeur de l’enseignement public est chargé, sous l’autorité du Résident général, de toutes les questions intéressant l’instruction publique en Tunisie. Il est président de droit de toutes les commissions d’examen et signe les diplômes délivrés aux candidats. Au moins une fois chaque année, il visite les différents établissements scolaires.

Ses auxiliaires sont : 1° Un inspecteur général des études arabes, dont les attributions consistent à surveiller, à diriger et à inspecter l’enseignement arabe donné dans les mosquées et dans les medraças ainsi qu’aux collèges Sadiki et Alaoui ; 2° Un inspecteur primaire, chargé d’assurer la bonne marche des études dans les écoles et de veiller à l’application des règlements et des programmes scolaires.

Le budget de la Direction de l’enseignement, qui était, en 1885, de 120,000 francs et se montait l’année dernière à 435,522 francs, a été fixé pour la présente année à la somme de 530, 016 francs. A ce chiffre il convient d’ajouter les crédits votés pour l’instruction publique par les municipalités (28,555 fr. 80) et les dépenses supportées par l’administration du collège Sadiki (169,329 fr. 80), ce qui porte le total des sommes affectées à l’enseignement public pour l’année scolaire 1889-1890, à 727,901 fr. 60. Les traitements des professeurs musulmans des mosquées et des medraças ne sont pas compris dans cette somme; ils sont payés par l’Administration des biens Habous.

En 1883, à l’époque où a été instituée la Direction de l’enseignement public, les établissements scolaires de la Régence, dans lesquels l’instruction était donnée en français, étaient au nombre de ik, dont 2 collèges; 20 de ces établissements, parmi lesquels figurait le collège Saint-Charles, étaient dirigés par des congréganistes (frères de la Doctrine chrétienne, missionnaires d’Afrique, sœurs de Saint-Joseph, etc.); les quatre autres (le collège Sadiki et les trois écoles de l’Alliance israélite), par des laïques.

En 1890, on compte 75 établissements scolaires publics et 8 privés, c’est-à-dire au total 83 établissements, dans lesquels la langue française sert de base à renseignement. On peut les diviser de la façon suivante : 1° Quatre établissements d’enseignement secondaire :

Le lycée, ancien collège Saint-Charles, fondé en 1880 par S. Em. le cardinal Lavigerie, qui avait déjà reçu dès 1886, à la suite d’une entente avec le Gouvernement tunisien et le Ministère de l’instruction publique, un certain nombre de professeurs de l’Université, a été cédé l’année dernière à la Direction de l’enseignement public, qui l’a organisé sur le modèle des lycées de la métropole. L’enseignement du collège Saint-Charles était suivi presque exclusivement par des élèves de nationalité européenne.

La – Direction de l’enseignement public a conçu le projet d’opérer une sorte de fusion du collège Sadiki avec le nouveau lycée, de manière à rapprocher les élèves musulmans de leurs camarades européens et à les habituer à vivre côte à côte en bonne intelligence. Cette intéressante tentative, inaugurée cette année par l’admission au lycée de 54 élèves musulmans du collège Sadiki, paraît destinée à un plein succès.

Le collège Sadiki, fondé en 1876, reçoit 150 élèves musulmans admis au concours, et qui s’y préparent, sous la direction de maîtres musulmans et français, aux carrières libérales et administratives. Plusieurs ont été envoyés en France pour y achever leurs études.

Le collège Alaoui, ou École normale des garçons, a été fondé en 1884 à Tunis, sur l’initiative de S. A. le Bey. Il comprend des élèves-maîtres ainsi que d’autres élèves ne se destinant pas à l’enseignement. Les élèves-maîtres doivent avoir quinze ans révolus, être pourvus du certificat d’aptitude primaire, et prendre l’engagement de servir pendant dix ans dans l’enseignement. Cet établissement qui est, en quelque sorte, la première création due à la Direction de l’enseignement public, a rendu les plus grands services pour l’installation des écoles de la Régence. C’est, en effet, la pépinière des institutions scolaires de la Tunisie. Presque tous les maîtres venus de France, et qui ont constitué le nouveau personnel enseignant, ont passé quelques mois au collège Alaoui pour y acquérir les premières connaissances d’arabe. On a annexé au collège une école primaire, et une cantine scolaire y fonctionne avec grand succès depuis 1888.

Une école secondaire avec cours normal a été organisée pour les jeunes filles.

2° Soixante- dix-neuf établissements d’enseignement primaire, répartis dans les principales localités Les écoles publiques sont au nombre de soixante et onze, dont 5/i dirigées par des laïques (garçons, 37; filles, 7; mixtes, 10) et 17 par des congréganistes (garçons, 7; filles, 10). Il y a, en outre, 8 établissements scolaires privés; 3 ont été fondés et sont entretenus par l’Alliance israélite, les autres sont tenus par des congréganistes (garçons, 2; filles, 3). Des cours d’adultes sont faits le soir à Tunis, Bizerte, Sousse, Kairouan et Sfax.

Le personnel enseignant des établissements scolaires publics comprend 221 maîtres ou maîtresses (laïques: 130 maîtres et 28 maîtresses; congréganistes: 30 instituteurs et 33 institutrices). Les professeurs indigènes donnant l’enseignement arabe dans nos écoles sont au nombre de 57; 20 maîtres sont chargés de cours divers. Le personnel enseignant des écoles privées comprend Ú8 professeurs (22 laïques et 26 congréganistes). Le chiffre de la population scolaire a passé de 4,390 en 1885 à 8,702 en 1889, et à 10,749 pour la présente année.

Ce dernier total se répartit ainsi :

Garçons 7,109            Établissements publics          5,669
Établissements privés            1,640

Filles 3,640                Établissements publics          2,456
Établissements privés            1,184

L’augmentation du nombre des enfants recevant une éducation française a donc été en cinq années de 6,359, et, pour la dernière année seulement, de 2,047. Elle a beaucoup plus que doublé en cinq ans, et a augmenté de 25 p. 100 dans le courant de l’année dernière. Cette augmentation porte aussi bien sur l’élément français que sur l’élément italien, maltais, israélite ou musulman. Pour ce dernier, elle est particulièrement remarquable. En 1883, en effet, on comptait en Tunisie 150 élèves indigènes seulement étudiant la langue française ; en 1885, nous en trouvons 476; en 1889, il y en avait 1,765; cette année, le chiffre monte à 2,579.

2. SERVICE DES ANTIQUITÉS ET DES ARTS.

Par les grands événements historiques auxquels elle a servi de théâtre, par les monuments innombrables qu’elle a conservés du passé et des civilisations qui se sont succédé sur son sol, la Tunisie a, depuis longtemps, fourni à l’archéologie et à la science européennes un champ d’études aussi vaste que fécond. On sait la part importante qu’ont prise à ces recherches nos savants et nos explorateurs, et il suffira, pour citer les noms les plus connus, de rappeler le souvenir de Dureau de la Malle, de Daux, de Beulé, de Léon Rénier, de Victor Tissot.

Aussi, dès notre entrée dans la Régence, un des premiers soins des autorités françaises fut d’assurer la conservation et la protection des richesses artistiques et scientifiques de toute nature qui existaient encore en Tunisie. Tel fut le but du décret beylical du 7 novembre 1882, et l’on ne saurait passer ici sous silence le concours aussi dévoué qu’éclairé que notre armée a prêté à cette œuvre si intéressante.

Deux années plus tard, le Ministère de l’instruction publique décidait l’envoi à titre permanent en Tunisie d’une mission spéciale, et, de son côté, le Gouvernement Beylical complétait l’effet de cette mesure en créant un service des antiquités et des arts, qui devait être confié au chef d., la Mission française.

Constitué d’abord en direction, le 12 janvier 1886, ce service forme actuellement, par suite de modifications récentes apportées aux attributions de la mission, et notamment, de son extension à l’Algérie, une inspection placée sous le contrôle du délégué du Ministère de l’instruction publique et des beaux-arts en Afrique.

Dans sa nouvelle organisation, l’inspection comprend: 1 inspecteur, chef du service; 1 adjoint; 1 attaché; 1 secrétaire, qui est en même temps bibliothécaire de la Bibliothèque française de Tunis; 1 conservateur du musée; 1 gardien du musée; 1 chaouch.

Le budget est assez limité, les entreprises du service sont alimentées par une subvention de la France, ou par des dons, entre lesquels il convient de signaler une somme de 10.000 tr.offerte, l’an dernier, par la Ville de Paris. La Régence paye les traitements du personnel et les frais d’entretien des établissements.

Avec ces ressources modestes, on est parvenu à assurer, d’une manière satisfaisante, l’exécution de la loi tunisienne du 7 mars 1886, relative à la conservation et à la propriété des antiquités (immeubles et objets mobiliers); à créer au Bardo, sous le nom de Musée Alaoui, une collection des plus considérables, la plus importante de toutes celles que contient l’Afrique française, au moins comme dépôt public, et l’une des plus riches du monde en mosaïques romaines et en pièces puniques; à commencer une publication intitulée :

Collection du Musée Alaoui, ouvrage scientifique de luxe, auquel ont bien voulu contribuer S. A. le Bey et le Ministre de l’Instruction publique et des Beaux-Arts de France; enfin à exécuter, à subventionner ou à surveiller, en prélevant la part de l’État, une série de fouilles considérables dont les principales ont été : à Sousse, extraction de plus de 300 mètres carrés de mosaïques et fouilles de nécropoles néo-puniques et romaines; à Mahedia, fouille de la nécropole; à Sfax, fouille du cimetière chrétien; à Lamta, fouille du cimetière chrétien et extraction des mosaïques qui le composaient; à Gabès, fouilles dans les ruines de Tacape; à Bou Ghrara, fouille dans les ruines de Gigthis; à El Kantara, dans l’île de Djerba, fouille dans les ruines de Ménin; à Sidi el Hai, extraction de mosaïques romaines; à Maktar, fouille et découverte de textes puniques et lybiques; à Gafsa, extraction d’une mosaïque du plus grand intérêt; à Aïn Tounga, fouille du sanctuaire de Saturne et extraction de 429 stèles; à Bulla Regia, fouille méthodique de nécropoles punique et roromaine; à Tabarka, déblayement et extraction d’un nombre considérable de mosaïques; au Bardo même, extraction des matériaux antiques arabes dans les ruines des palais beylicaux, et remploi de ces matériaux, particulièrement des faïences, à la décoration des salles du Musée: à Carthage, extraction de trois mosaïques, etc.

Les principaux résultats de ces travaux ont figuré à l’Ex- position universelle; une mosaïque et dix stèles ont été offertes à nos collections nationales.

Le Service se propose d’établir, au Bardo, un atelier de mosaïques reproduisant les modèles antiques, et cette création pourra être suivie d’autres du même genre, destinées à faire revivre des industries aujourd’hui perdues ou en voie de se perdre, et qui pourraient donner à la Régence quelque activité industrielle et artistique.

CHAPITRE VI.
POSTES ET TÉLÉGRAPHES, POLICE SANITAIRE. AGRICULTURE

1° POSTES ET TÉLÉGRAPHES.

Le service des postes et des télégraphes, qui était rattaché auparavant au service français, a été constitué en office autonome le 1er juillet 1888. Cette mesure a été l’objet de critiques qui paraissent tenir à ce qu’elle n’a pas été bien comprise à l’origine. Les avantages en sont si apparents aujourd’hui que l’utilité n’en est plus contestée.

En vertu du Protectorat, la Tunisie ayant conservé son budget spécial, il n’y avait point de raison pour qu’un de ses services en restât isolé. Les recettes de ses postes et de ses télégraphes ont été, jusqu’à présent, inférieures à leurs dépenses. Il est conforme au principe de l’autonomie laissée à la Tunisie que ce déficit soit supporté par le budget tunisien et non par le budget général de la France.

Ce sacrifice n’était pas très lourd ; mais un inconvénient beaucoup plus grand de l’ancien état de choses, c’est que quand les postes et les télégraphes tunisiens étaient rattachés aux postes et aux télégraphes français, les décisions qui les concernaient étaient prises par la Direction centrale à Paris, et qu’à cette distance, il était très difficile de bien apprécier les conditions locales toutes particulières dans lesquelles ils fonctionnent. La surface du territoire à desservir est hors de proportion avec les ressources. Il faut donc, pour satisfaire les besoins les plus urgents, avoir recours à des expédients qui permettent d’assurer le service à peu de frais, mais qui dérogent parfois aux règles des Postes et des Télégraphes français. La direction centrale de Paris se trouvait en présence de difficultés qui donnaient lieu a des lenteurs et à des complications qu’il importait d’éviter.

Dès qu’il a été émancipé, l’office postal tunisien a pu rechercher des procédés appropriés aux circonstances qu’il doit subir. Il a gardé à sa tête un groupe de cent agents français détachés des cadres métropolitains ; mais il y a adjoint un personnel dont la composition suffit, à elle seule, pour révéler les moyens originaux qu’il est forcé d’employer.

Sur les 26 bureaux qu’ils ont ouverts, 18 sont confiés à des instituteurs, 2 à des Pères blancs, 1 à un agent militaire, 2 à des chefs de gare et 1 à un receveur de douanes.

Parmi ses 81 distributeurs, il y a 3 colons, 3 militaires, 9 chefs de gare, 1 receveur des douanes, 1 gardien-chef de prison et 64 indigènes. C’est grâce à l’ingéniosité de ces combinaisons qu’avec des crédits restreints, il est parvenu à faire entrer dans son réseau de distribution tous les points habités un peu importants de la Tunisie.

Si nos commerçants et nos colons peuvent aujourd’hui s’en aller dans n’importe quelle portion de la Régence avec la certitude d’y rester toujours en communication avec le reste du monde, par la poste et le télégraphe, ce résultat, dont il est difficile d’exagérer l’importance, est dû entièrement à l’autonomie du service postal tunisien. Les progrès qu’elle a permis de réaliser, ont porté, en deux ans, le nombre des bureaux de poste de 27 à 52, le nombre des distributions des postes de 9 à 89, et le nombre des bureaux télégraphiques de 26 à 55. Le nombre des correspondances s’est accru en proportion des facilités ; il a passé de 3,800,000 à 6,500,000.

Le nombre des télégrammes est resté à peu près stationnaire ; de 521,000 avant l’autonomie, il n’aura encore été cette année que de 531,000. Le développement des communications postales est la cause de cette stagnation. Un certain nombre de localités avaient eu le télégraphe avant d’avoir la poste. Le public s’est naturellement moins servi des télégrammes lorsqu’il a pu expédier des lettres.

Enfin le déficit qui, au moment de la constitution de l’office, s’était élevé du 1er juillet 1887 au 30 juin 1888 à 54,000 francs, est tombé pendant le dernier exercice (1307) à 14,000 francs. On trouvera dans le tableau ci-annexé (annexe S), l’ensemble des indications statistiques relatives au fonctionnement de l’administration Tunisienne des postes et des télégraphes.

2° POLICE SANITAIRE.

Malgré les dangers que le pèlerinage annuel de la Mecque fait courir à la santé publique en facilitant la dispersion des épidémies, aucune mesure de précaution n’avait été prise avant l’établissement du Protectorat et celui-ci a trouvé tout à faire à ce point de vue.

Le décret du 20 février 1885 a organisé la police sanitaire maritime. Depuis cette époque, aucun navire arrivant dans un port de la Régence ne peut être admis à la libre pratique sans présenter préalablement une patente de santé, qui fait l’objet d’un examen attentif. Le décret est entré dans des détails minutieux sur les mesures sanitaires à prendre, et il a organisé, pour leur exécution, un personnel à la tête duquel est un médecin français, assisté d’un conseil sanitaire dans lequel siègent, à côté des hauts fonctionnaires de l’Administration du Protectorat, des représentants des intérêts particuliers dans la Régence.

Des mesures quarantenaires sont prescrites dans les cas où des maladies pestilentielles ont été constatées dans les pays de provenance ou de passage des navires. Ces quarantaines sont subies par les passagers ordinaires au lazaret de Carthage, que le Secrétariat général a fait aménager et installer. Un poste fixe de médecin directeur y a été créé en 1888.

Indépendamment de ce lazaret, qui n’est ouvert que dans le cas où la mise en quarantaine des navires est officiellement notifiée, il en existe un autre à Porto Farina, ouvert tous les ans, au moment du retour des pèlerins venant de la Mecque.

L’Administration veille à ce que les pèlerins n’entreprennent le voyage de l’Hedjaz que s’ils sont assurés de ressources pécuniaires suffisantes pour les préserver de l’épuisement et de la misère physiologique, qui rendent si facilement accessibles aux épidémies les agglomérations réunies chaque année aux lieux saints de l’islamisme. Depuis deux ans, le Gouvernement tunisien, d’accord avec le Gouvernement général de l’Algérie, a dû, par suite de la présence du choléra en Orient, interdire ce pèlerinage d’une façon absolue.

Grâce à ces précautions, la Tunisie a été mise, depuis plusieurs années, à l’abri des fléaux épidémiques. L’Algérie s’est trouvée du même coup préservée sur sa frontière orientale de tout danger d’invasion.

Avant 1881, l’exercice de la médecine et de la pharmacie n’était l’objet d’aucun contrôle. Des décrets, en 1888 et 1889, l’ont réglementé. Ils ont frappé de pénalités spéciales la falsification ou l’altération des substances ou denrées alimentaires et médicamenteuses, et institué dans la Régence un conseil central et des commissions régionales d’hygiène et de salubrité.

Un service de vaccination publique, à la tête duquel a été placé un docteur en médecine, a été créé en 1886. Des vaccinations gratuites sont faites périodiquement à Tunis aux frais du Gouvernement. Le chef de service pourvoit également de vaccin les médecins communaux, établis et rétribués dans sept villes de l’intérieur, et les médecins exerçant dans la Régence qui lui en font la demande.

Ce service est de jour en jour plus apprécié par les indigènes, chez lesquels la variole exerçait de grands ravages.

3° AGRICULTURE.

Il n’existait non plus aucun service d’agriculture dans la Régence. Cependant c’est surtout par l’introduction de nos méthodes perfectionnées, en initiant les indigènes aux progrès qu’a faits chez nous la science agricole, que nous pouvons hâter la mise en valeur du sol et le relèvement économique du pays.

Trois décrets, rendus en août et en novembre 1 887, ont organisé le service de l’agriculture, de la viticulture et de l’élevage. Ce service a pour objet l’assistance et l’encouragement des intérêts qui se rattachent à la culture du sol, l’amélioration et l’élevage des animaux, et spécialement des races locales, la police sanitaire et l’hygiène des animaux domestiques.

Dès 1885, un décret avait prescrit les mesures à prendre contre les épizooties.

L’inspecteur de l’agriculture doit visiter périodiquement les centres de production de la Régence et entrer personnellement en rapport avec les indigènes et les colons.

La protection du vignoble contre le phylloxera a été réglementée. Un décret du 26 février 1886 a prohibé l’introduction des fruits et légumes frais en Tunisie. Une loi du 1er mai 1888 a déterminé les mesures de défense à appliquer ainsi que les dispositions de surveillance et de contrainte. L’exécution de ces dispositions a été confiée, en juillet 1889, aux propriétaires de vignes constitués en syndicat sous le contrôle de l’Administration.

Cette organisation agricole a été complétée par l’installation à Tunis, au mois de juin 1887, d’un laboratoire de chimie industrielle et agricole chargé d’exécuter pour le compte des particuliers ou de l’Etat les analyses et vérifications qui lui sont demandées.

Enfin un arrêté ministériel du 25 mars 1884 a institué, avec le concours d’un certain nombre de propriétaires fonciers, des champs d’essais et d’expériences agricoles sur plusieurs points de la Régence, et, depuis le 4 février 1889, fonctionne sur l’ensemble du territoire un service d’observations météorologiques qui a été confié à la Direction des travaux publics.

On connaît maintenant ce qu’a été notre intervention dans les affaires de la Régence. On en a vu les résultats. Le Gouvernement du Protectorat a établi l’équilibre et la régularité dans les finances. Il n’a créé aucun impôt nouveau ; il a opéré pour près de 4 millions de francs de dégrèvements annuels ; il a converti deux fois la dette et l’a rendue amortissable ; il a affecté des sommes considérables aux entreprises d’utilité générale, et il a mis de côté une réserve de 21 millions de piastres pour faire face aux besoins imprévus.

Il a fait régner une paix que rien n’a troublée depuis neuf ans. Nos compatriotes s’installent dans la campagne tunisienne avec une sécurité absolue. L’autorité est partout obéie. Les populations indigènes, qui sont les premières à jouir de ce bon ordre, rendent justice à un état de choses qui respecte leurs croyances et qui favorise leurs intérêts matériels. Les grandes familles viennent à nous; elles envoient leurs enfants dans nos écoles et elles recherchent les emplois publics, s’associant, d’une façon de plus en plus réfléchie, à cette renaissance que notre direction promet à leur pays.

Les écoles que nous avons ouvertes permettent, par le nombre croissant de leurs élèves, de constater avec une précision pour ainsi dire mathématique, le développement de notre influence. Le Protectorat les a dotées de son mieux, et il y a libéralement convié tous les enfants, sans distinction de races ni de cultes, et aucune nationalité ni aucune religion n’ont été rebelles à ses appels. Plus de 10,000 enfants français, italiens, maltais, Israélites et musulmans, les fréquentent aujourd’hui, y apprennent notre langue, s’y pénètrent de nos idées, et préparent, par cette communauté d’éducation, l’unité morale future d’une population aujourd’hui si mélangée.

Les statistiques douanières et agricoles attestent, de leur côté, par des chiffres, ce que la Tunisie a gagné, depuis neuf ans, en richesses et en activité. Le Gouvernement du Protectorat a, par tous les moyens en son pouvoir, encouragé les échanges et l’exploitation du sol. Par l’établissement de tribunaux français et par la loi foncière, il a donné aux colons français et aux Européens toutes les garanties désirables pour leurs personnes et pour leurs biens.

Par les grands travaux publics qu’il a entrepris, le Gouvernement du Protectorat a fourni de l’eau aux localités qui en manquaient, et il a facilité les communications pour lesquelles presque rien n’avait été fait avant lui. Il a affecté près de 5o millions de piastres à entreprendre ou à garantir des travaux extraordinaires, et il consacre près de 6 millions par an aux travaux d’entretien et d’aménagement.

Ces efforts ont porté leurs fruits. Le commerce et, en particulier, le commerce avec la France, a reçu une impulsion vigoureuse. Les agriculteurs pourront plus aisément transporter, et par conséquent vendre leurs produits; la superficie des terres ensemencées a presque doublé. La culture de la vigne a été introduite et couvre déjà plus de 5,000 hectares; elle est presque tout entière entre des mains françaises. Cinq à six mille de nos compatriotes sont venus s’établir dans la Régence et y ont acquis 600,000 hectares de terre, représentant aujourd’hui un capital engagé de près de 50 millions.

Il faut le répéter : c’est avec les seules ressources de la Tunisie que tout cela a été fait. C’est avec ses revenus qu’elle entretient ses services et qu’elle paye les fonctionnaires et les magistrats mis à sa disposition par le Gouvernement français.

Si l’on met à part la garantie d’intérêts de la ligne de chemins de fer de la Medjerdah, et les frais d’entretien de la brigade d’occupation, la seule dépense qu’en fait impose actuellement au budget métropolitain le Protectorat de la Tunisie se réduit au crédit de 162,600 francs inscrit au budget du Ministère des affaires étrangères. Encore faut-il observer deux choses: 1° que la ligne de la Medjerdah a été concédée bien avant l’établissement du Protectorat; 2° que la brigade d’occupation ne constituent pas, sauf en ce qui concerne deux régiments recrutés dans la Régence, une formation spéciale à la Tunisie, son entretien serait de toute manière à la charge du budget français.

Une œuvre considérable, et dont la France peut s’honorer a donc été accomplie depuis neuf ans, de grands progrès ont été réalisés; mais le Gouvernement ne se dissimule point que nous n’avons pas encore rempli toutes les obligations que nous avons assumées en occupant la Tunisie, et qu’il reste encore à faire pour achever sa régénération.

Les Chambres françaises viennent de donner une impulsion décisive à ce travail de transformation en votant la loi douanière. Cette loi était impatiemment attendue. La solution de questions importantes lui était subordonnée, et elles avaient dû être ajournées en attendant son adoption. Maintenant que le vote patriotique des Chambres a fait disparaître les derniers obstacles qui s’opposaient à l’essor économique de la Régence, le Gouvernement, se propose de traiter, l’une après l’autre, avec autant de diligence que le permettra la prudence, les questions restées en suspens. La plus urgente a paru être la question de la monnaie.

L’activité subite des échanges à la suite du vote de la loi douanière, coïncidant avec une récolte exceptionnellement abondante, a donné lieu à des besoins extraordinaires de numéraire. Nous avons trouvé, en arrivant en Tunisie, un système monétaire spécial, qui n’est pas bon en lui-même, et qui oblige le commerce à des opérations de change gênantes en tout temps, et devenues particulièrement onéreuses depuis quelques mois qu’il y a pénurie de pièces tunisiennes sur le marché. Il allait de soi que la France, qui a introduit le système décimal dans le monde, ne pouvait admettre longtemps qu’un pays protégé par elle en restât privé. Mais un changement de ce genre, devant modifier les habitudes quotidiennes de la population indigène, demandait à être préparé par une accoutumance préalable aux monnaies de notre type.

Depuis l’occupation, notre système est devenu familier aux Tunisiens. On peut donc considérer la période de transition comme suffisante. Le moment opportun est arrivé. Le Gouvernement français a obtenu l’assentiment du Bey pour une réforme qui donnera à la Tunisie des monnaies d’or et d’argent d’une valeur semblable à la valeur des monnaies françaises. Les pièces auront une face en français et une lac en arabe. Les monnaies tunisiennes appartenant désormais au même système que les monnaies françaises, l’agio n’aura plus de raison d’être des unes aux autres, et il est à penser que les crises monétaires seront conjurées pour l’avenir. Dès que les coins auront été gravés, la frappe et l’émission des nouvelles pièces commenceront.

La coexistence de deux monnaies différentes, en introduisant dans les comptes un élément d’incertitude permanent, rendait fort difficile une bonne organisation du crédit. La réforme monétaire étant décidée, cette difficulté disparaîtra, et le Gouvernement abordera bientôt l’examen des moyens les plus propres à procurer un crédit moins onéreux aux colons.

On a vu avec quelle sollicitude le Protectorat s’est préoccupé, dès le premier jour, des travaux publics. Plus s’accroît l’activité qui a commencé à se manifester après le vote de la loi douanière, plus la nécessité d’un outillage perfectionné pour les communications et les transports se fait sentir. Aussi le Gouvernement s’est-il mis en mesure d’achever les grands travaux actuellement en cours d’exécution, et d’en entreprendre de nouveaux.

La construction des chemins de fer, mettant en jeu des intérêts divers exige un accord des services chargés de ces intérêts. Cet accord est conclu pour ce qui concerne un premier réseau joignant à Tunis les principales villes de la Régence, notamment Bizerte, Hammamet, Zaghouan, Kairouan et Sousse. La construction en sera incessamment entreprise.

Ces travaux vont attirer des ouvriers. La facilité considérable d’écouler les produits du sol sur le marché français va attirer des agriculteurs. Les émigrants français ne peuvent manquer d’être puissamment sollicités par un pays où ils retrouveront le drapeau, la langue et beaucoup des lois de la France, et dont les anciennes barrières douanières ne les séparent plus. La présence de cette population française, dont tout fait espérer que le nombre ira croissant sans cesse, imposera au Protectorat des devoirs nouveaux. Afin d’y parer, il a décidé la création d’un service spécial ayant pour principales attributions de centraliser et de faire connaître les renseignements fournis par l’administration du contrôle.

Les contrôleurs civils, on l’a expliqué plus haut, sont placés auprès de l’administration indigène pour la surveiller et pour la conseiller. Ils l’améliorent en signalant les abus, et, par la direction morale qu’ils exercent sur elle, ils la pénètrent peu à peu de nos idées d’ordre, de probité et de progrès. Les exemples que nous leur mettons sous les yeux éveillent chez les indigènes à leur tour l’esprit d’entreprise. Le soin de favoriser un mouvement d’une si haute importance pour la mise en valeur du pays va déjà, à lui seul, accroître considérablement le rôle des contrôleurs.

Mais ils ont, en même temps, pour mission de diriger et de soutenir les premiers efforts des colons. Appelés par leurs fonctions à étudier continuellement leur circonscription, ils sont les plus précieux des informateurs ; c’est surtout en cette qualité que leurs fonctions vont grandir avec le nouvel ordre de choses. La Tunisie, sauf quelques districts privilégiés, est dépeuplée. La meilleure partie de ses richesses naturelles reste improductive, faute de bras. Rien ne peut donc être plus utile à son relèvement que d’appeler des immigrants par la plus large publicité possible et de les retenir, en leur épargnant, par une bonne organisation de renseignements, les frais et les démarches durant la période de l’installation. Il fallait à des agents, sur la tête desquels pèsent des responsabilités aussi importantes, de la suite et de l’unité dans les vues. C’est pourquoi le Gouvernement du Protectorat a cru devoir récemment placer ces fonctionnaires sous la direction unique d’un service spécial placé sous l’autorité du Résident général.

Cette direction sera auprès des diverses administrations l’écho des vœux des colons. Mais en outre, en présence du développement continu de la colonie française, il a paru opportun de donner à celle-ci un moyen plus direct encore d’entrer en communication avec le Résident général. Elle pourra désormais exposer ses vœux en ce qui touche les questions industrielles, agricoles et commerciales dans des conférences consultatives qui auront lieu deux fois par an sous la présidence du Résident général.

L’obligation d’obtenir avant tout, malgré les progrès accomplis jusqu’ici dans l’ordre financier, un budget en équilibre, a fait conserver provisoirement des parties de l’ancien régime fiscal dont les inconvénients ou les vices étaient pourtant reconnus par tous. Nul doute que dans ces échanges de vues auxquels elle sera conviée, la colonie ne fournisse des éclaircissements fort utiles sur les améliorations qui doivent être mises à l’étude. Elle pourra, de la même manière, contribuer à accélérer les réformes dans les services dont le fonctionnement a une influence directe sur ses intérêts.

Ainsi, la loi douanière, la réforme monétaire, la refonte du budget le programme pour l’achèvement ou l’amélioration des ports, la construction du réseau ferré, la création d’une direction des renseignements et du contrôle, l’établissement de rapports réguliers entre la colonie française et le Résident général, telle sera l’œuvre de la présente année 1890.

Il est permis de dire qu’elle aura été féconde. On voit, d’ailleurs, que, malgré bien des critiques, l’œuvre de réforme n’a jamais cessé en Tunisie : dans les années précédentes, on a dû se livrer à un travail obscur et souvent ingrat pour remanier toutes les institutions locales, pour les adapter à la situation nouvelle créée par le Protectorat, et pour les mettre en harmonie avec nos principes de justice et notre expérience politique. Le vote de la loi douanière ouvre une période nouvelle dans laquelle tout ce que le pays contient de forces vives pourra et devra être employé à son développement économique.

Il est superflu d’ajouter que nous entendons rester fidèles à cette conception du Protectorat, qui, sous la haute autorité de S. A. le Bey, avec le concours des administrations local es et par l’heureuse direction des résidents généraux qui se sont succédé, vient de donner en Tunisie des preuves de vitalité si frappantes.

Quand nous respectons scrupuleusement la conscience musulmane et quand nous ne voulons agir sur elle que par la persuasion, nous songeons non seulement aux indigènes, mais aussi à la France qui est responsable de la tranquillité en Tunisie, et aux Français qui sont venus s’ y établir et dont nous devons garantir la sécurité. Quand nous nous efforçons d’attirer nos compatriotes dans la Régence, nous songeons non seulement à l’extension de l’influence française, mais aussi à l’éducation de la population tunisienne à laquelle nos colons apportent des exemples qu’elle est d’ailleurs toute disposée à suivre. Enfin, direction parallèle de ces deux tendances du Protectorat, nous marchons vers un but unique, qui est d’assurer à la France l’honneur et le mérite d’avoir accru encore, en Afrique, les conquêtes de la civilisation.

Je vous prie d’agréer, Monsieur le Président, l’assurance de mon profond respect.

Le Ministre des Affaires Etrangères, RIBOT.
Date d’édition : le 15 octobre 1890

SOMMAIRE DES DOCUMENTS ANNEXES

  1. Crédits inscrits au budget français pour l’entretien des troupes d’occupation dans la Régence (1884-1889).
  2. Circonscriptions des contrôles civils, commandements militaires.
  3. Tableau des droits d’exportation et des dégrèvements opérés depuis 1884.
  4. Tableau du montant des dégrèvements ainsi que des abandons de droits consentis par l’État au profit des communes (13 octobre i884-fin avril 1890).
  5. État des principales réformes et modifications introduites dans le régime financier de la Régence de i 89h à 1890.
  6. Rendement des contributions et revenus publics de l’exercice 1302 à l’exercice 1306 (13 octobre 1884-12 octobre 1889) et recettes prévues pour l’exercice 1307 (13 octobre 1889-12 octobre 1890).
  7. Tableau comparatif des budgets de dépenses. (Exercices 1302 à 1-307).
  8. Tableau synoptique des résultats des exercices 1302, 1303, 1304, 1305 et 1306, d’après leurs règlements (recettes, dépenses, excédents): 1. Budget de l’exercice 1308 (recettes et dépenses).
  9. Statistique douanière (1302-1306). Exportations, avec indication des principaux pays destinataires.
  10. Statistique douanière (1302-1306). Importations, avec indication des pays de provenance.
  11. Statistique douanière (1302 -1306). Tableau récapitulatif des importations et des exportations.
  12. Note sur le fonds de réserve.
  13. 0. Statistique des jugements rendus par le tribunal de Tunis.
  14. Statistique des jugements rendus par le tribunal de Sousse.
  15. R. Renseignements relatifs à la loi sur la propriété foncière du 1er juillet 1885.
  16. Statistique des postes et des télégraphes.

[1] Mis à partir du 1er janvier 1891 sous la gestion directe de 1’Etat

[2] Mis à partir du 1er janvier 1891 sous la gestion directe de 1’Etat

[3] Mis à partir du 1er janvier 1891 sous la gestion directe de 1’Etat

[4] Documents parlementaires italiens. Législature xv. Première session, 1884. Chambre des députes, n° 177. [Page 87.]

[5] Voir AGRICULTURE, chapitre VI.

Rapport entier avec annexes (pdf)

Laisser un commentaire

Votre adresse e-mail ne sera pas publiée.