La Tunisie : son passé, son avenir et la question financière

  • 19 décembre 2018
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La Tunisie : son passé, son avenir et la question financière
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La Tunisie : son passé, son avenir et la question financière

Si le travail moral et civilisateur a été grand en Tunisie, le travail matériel, appui du travail moral, n’a pas été moins énergique. Un réseau télégraphique relie Tunis à Alger, d’autres s’étendent dans la direction de Sousse et de Sfax et communiquent avec le réseau qui joint Tripoli à Alexandrie. Ainsi, se trouve rapproché l’Occident des Indes Orientales.

Parmi les travaux publics de la plus haute importance je citerai la restauration de l’aqueduc qui fut construit autrefois par les Romains pour amener les eaux à Carthage. Cet aqueduc se prolonge sur une longueur de 120 kilomètres. Le canal d’alimentation se développe tantôt en conduits souterrains, tantôt en aqueducs aussi remarquables par leur antiquité que par leur magnificence. On en a augmenté les effets par l’emploi de syphons et de tuyaux. Grâce à ce mécanisme, un volume d’eau fort considérable franchit une hauteur de 45 mètres et jaillit en gerbes étincelantes sur le plateau de la Casbah. On peut aisément juger que la joie égala la surprise des Tunisiens le jour où le premier (lot apporta le témoignage d’une science avancée. Sur les bords du canal se pressait une population aux costumes variés, au cœur impressionnable, avide d’emplir la goula de celle eau miraculeuse.

L’admiration de ce peuple attentif, sa joie, ses accents, ses cris, les brillantes couleurs du vêtement, la cour du Bey, la beauté de celte œuvre, l’onde qui fuyait rapide et pressée dans sa course nouvelle, les riches ornements de 1a nature le soleil d’Orient, formaient un de ces ensembles pittoresques qui n’ont pas d’équivalent dans nos fêtes ni d’expression dans notre tangue. Le bey, interprète des sentiments de ce peuple, remercia en termes chaleureux M. Colin, ingénieur et M. Taille , directeur «les travaux qui tous deux avaient déployé un zèle infatigable, une grande habileté à la construction d’un monument qui rendra d’immenses services à Tunis, dont il transforme l’aspect, et aux pays environnants.

Quant à l’agriculture, elle doit avancer encore dans la voie du progrès.

Ecoutons la voix d’Adam Smith : Le capital acquis à un pays par le commerce n’est pour lui qu’une possession précaire el incertaine tant qu’il n’en a pas réalisé une partie dans la culture de ses terres ; les révolutions de ta guerre et du Gouvernement tarissent les sources de la richesse qui viennent, du commerce ; celle qui procède des progrès solides de l’agriculture e-t d’une nature beaucoup plus durable.

Si les landes stériles de 1a Hollande sont aujourd’hui remplacées par des terres en plein rapport que ne doit-on pas attendre d’un sol qui offre tant de richesses, où l’on peut cultiver avec succès les céréales, où les vastes pâturages si propres à élever les bestiaux, ou l’olivier, le mûrier, le dattier peuvent fournir les précieux produits dont la France à elle seule est tributaire de l’étranger pour plus de cinq cents millions ?

Qu’on me permette une comparaison :

La Hollande après avoir exercé pendant un siècle et demi un monopole commercial, avoir réuni une marine formidable qui l’avait fait surnommer, le roulier des mers, et être parvenue à l’apogée de sa grandeur, marque la première heure de sa décadence au massacre de Jean Wil pensionnaire du Roi. La décadence de l’Etat eut pour résultat la diminution progressive des capitaux et du travail pour la classe ouvrière. On a beau faire exécuter des travaux de canalisation créer des hospices et des établissements de bienfaisance, les malheureux inondent le pays, arrêtent les passants dans les rues cl les forcent à faire l’aumône, s’introduisent dans les maisons et volent tout ce qui tombe sous leurs mains. C’est dans cet état de dégradation de l’espèce humaine, dans ce pays que le général Van de Boch, agronome distingué, arrive en Hollande en 1818. Touché d’une position si dangereuse pour la société, il appelle tous ces travailleurs à l’agriculture. Les Hollandais avaient à lutter contre les éléments, à vaincre le désespoir, à refouler l’Océan, dessécher de grands lacs à manier des terres arides ; le succès a couronné leurs efforts, les landes sont devenues fertiles, l’ouvrier laboureur est honnête, l’agriculture fleurit, les finances prennent une nouvelle vigueur.

Dans le gouvernement beylical, il n’y a pas à lutter contre le paupérisme, mata l’indolence des indigènes, combat plus facile. Les travaux de dessèchement et de canalisation sont aisés par les pentes naturelles à suivre, les terres sont fertiles, le sol maniable, le climat doux, les productions précieuses, les denrées abondantes. Le temps viendra ou pas un pouce de ce territoire, ne restera inculte, et le jour où il se fera dans la nature un grand mouvement vers l’agriculture, ouvrira l’ère des prospérités. Les Tunisiens sauraient-ils méconnaître plus longtemps les préceptes du prince éclairé qui les gouverne, mépriser les dures leçons de l’expérience, et abandonner par indolence le soin de leurs propres intérêts. La civilisation qui pousse de si beaux fruits dans ce royaume, me donne un gage de l’activité prochaine de tous les sujets.

L’homme fait jaillir des forces élémentaires de la nature, la morale et ta société. La nature n’est pas économe : elle gaspille 1a vie et gâche ses germes. Il nous appartient de faire sortir de son sein tout développement ou tout perfectionnement. Il faut que sur la terre d’Afrique où le Tunisien n’a pas encore modifié son règne, la main de l’homme la corrige et la reforme, la dompte et la rachète.

La Tunisie s’est laissé gagner par un sentiment naturel, l’impatience du progrès.

Riche des productions de son sol, confiante dans les espérances de l’avenir, désireuse de préparer aux générations futures une vie de prospérités et de grandeur, ta régence conçut le dessein de se servir des capitaux qui étaient trop à l’étroit sur l’ancien continent pour construire des aqueducs, élever des monuments, faire des écoles, conduire des irrigations, établir des roules, créer de 3 chemins de fer, des télégraphes, augmenter les forces du commerce et de l’agriculture.

Si l’argent est le nerf de la guerre, il est aussi celui des améliorations matérielles. On eut donc recours à l’emprunt. L’histoire des deux souscriptions est assez commune pour que je ne parle point de leurs succès. Mieux il vaut embrasser les temps actuels et déduire les motifs qui ont jeté le discrédit sur tas obligations Tunisiennes et empêché le Bey de faire face à ses engagements.

Les capitalistes qui avaient confié leur argent entendaient trouver un placement sûr et avantageux, des intérêts servis à jour fixe, une administration parfaite : pour répondre à ces désirs il était nécessaire de réunir un groupe d’hommes qui connussent à fond les règles de nos budgets et les arcanes de la comptabilité.

L’État chargé d’une dette considérable contractait une mission difficile, celle de pourvoir à son service sans atermoiement. La prudence lui commandait donc de prévoir ta possibilité d’une série de malheurs qui l’empêcheraient de payer les intérêts, de créer une caisse de prévoyance, de rompre avec les errements du passé.

Les travaux exécutés devaient présenter un placement rémunérateur, n’avoir rien d’excessif, ne pas dépasser la mesure de l’utilité immédiate ni détourner les bras et les autres capitaux d’emplois plus productifs.

L’emprunt raisonnable, du reste, puisqu’il ne s’élevait qu’à un chiffre égal au revenu annuel de l’Étal, pouvait s’effectuer dans d’excellentes conditions, sans s’amoindrir dans les mains cupides des banquiers. Ces principes dignes de présider aux opérations financières ne furent pas mis à exécution.

Incomplète dans ses rouages, l’administration Tunisienne assume la responsabilité d’un emprunt qui crée des devoirs nouveaux sans une compensation immédiate. Aussi bien, les conditions sont tellement usuraires que l’opération ne peut manquer d’être fatale. L’emprunt de 1863 est émis au capital de 35 millions : les banquiers qui s’en chargent prélèvent 6 millions d’escompte et de commission puis 2,772,000 sur l’émission des actions et un magnifique « pot de vin » pour une autre opération ; de telle sorte qu’il ne rentre dans les caisses du Gouvernement que 25 millions en chiffre rond.

Malgré ce décompte, il s’est grevé d’une telle au capital de 35 millions avec des intérêts à un taux fort élevé. C’était, croyons-nous, abuser d’une situation pénible, et ôter du même coup à l’emprunt les qualités qui le devaient rendre fructueux. Les finances s’obèrent donc chaque jour ; et le Bey pressé par de lourdes échéances est contraint de recourir à un second emprunt qui s’accomplit élans les mêmes conditions non moins avantageuses pour les banquiers et non moins désastreuses pour le Gouvernement. Jusqu’alors, le mal se pouvait réparer avec les bienfaits d’une administration plus parfaite et mieux inspirée de nos idées financières ; les événements se réunissent terribles contre la régence. Dans une période de cinq années la sécheresse, l’invasion des sauterelles, le typhus, le choléra, deux révoltes de tribus rebelles à l’impôt, avancent ta ruine de ce petit État impuissant à conjurer de si grands malheurs.

Le vaisseau oscillait à la dérive retenu seulement par l’ancre de salut, la volonté et l’honneur du Bey. Sans perdre courage, il fit émettre des bons du trésor, et souscrire des traites à longue échéance au profil des négociants du pays. Mais l’ouragan s’était fait trop impétueux, ces intentions aussi louables que persévérantes ne remplirent pas les caisses de l’État.

On vit alors que les charges de la Tunisie étaient trop lourdes pour ses revenus, que l’administration financière avait des défauts que les entreprises de travaux publics avaient, parla précipitation de leur exécution, appauvri l’État au lieu de féconder le sol, que les emprunts perdaient de leur utilité par suite des concussions des banquiers et de leurs conditions onéreuses.

Dans cette crise, des hommes se sont rencontrés financiers honnêtes et habiles, que firent entendre au Gouvernement Tunisien que l’unification « des dettes était la mesure la plus sage, le seul remède ». De plus en plus soucieux des intérêts de son royaume et préoccupé d’obéir loyalement à ses engagements, le Bey rend à la date du 5 juillet 1869 un décret conçu dans cet esprit :

Notons les dispositions les plus importantes :

« Il nous a paru convenable, dans l’intérêt des finances de noire royaume dans celui de nos sujets et du commerce d’instituer une commission financière basée sur le projet du décret du 4 avril et arrêté aussi qu’il suit.

La commission est divisée en deux commissions distinctes : Un Comité exécutif et un Comité de contrôle :

Le Comité exécutif est composé de la manière suivante : Deux fonctionnaires de notre Gouvernement nommés par nous-même et un inspecteur des finances nommé par nous-même et préalablement désigné par le Gouvernement français.

« Le Comité exécutif est chargé de constater l’état actuel des diverses créances constituant la dette du royaume et les ressources à l’aide desquelles notre gouvernement serait en mesure d’y satisfaire. Le budget des recettes étant placé en regard de celui des dépenses augmentées du chiffre de la dette, le Comité exécutif recherche le moyen d’établir une répartition équitable des revenus publics.

Le Comité exécutif prendra tous les arrangements relatifs à la dette générale et nous lui donnerons l’appui nécessaire pour assurer l’exécution des mesures prises à cet effet.

Le Comité exécutif percevra tous les revenus du royaume sans exception et le Gouvernement ne pourra contracter » un emprunt sans l’approbation des deux Comités. Le Comité de contrôle est composé de la manière suivante : Deux membres français représentant les porteurs d’obligation 1863-1865.

Deux membres anglais et deux membres italiens représentant les porteurs des litres de la dette intérieure. Le Comité de contrôle connaît des opérations du Comité exécutif. Il les vérifie et les approuve. »

Le 23 mars 1870 le Comité exécutif propose au Comité de contrôle l’adoption des dispositions suivantes qui sont déposées aux consulats de France, d’Angleterre et d’Italie, et placées sous la sauvegarde des trois gouvernements. En voici la substance :

« La fusion des dettes de diverses catégories existant aujourd’hui demeure résolue. L’échange des titres de diverses natures s’opérera d’après les bases adoptées par la commission. Les obligations nouvelles seront au porteur, représenteront un capital de 500 francs et donneront droit à un intérêt annuel de 25 francs, payable par semestre les (1er Janvier et 1er Juillet). A chaque obligation nouvelle seront joints 30 coupons semestriels.

Les obligations émises par suite de cette opération jouiront jusqu’à leur rachat du privilège d’antériorité sur les dettes que le gouvernement Tunisien pourra contracter dans l’avenir.

Le Comité d’administration aura pour mission de diriger et de surveiller la réalisation des revenus concédés, d’en centraliser le produit et d’en administrer l’emploi. Ces revenus seront la propriété commune de tous les créanciers de l’État. Le conseil procédera à ces diverses opérations pour le compte des créanciers sous sa responsabilité personnelle, et sous le contrôle et la surveillance du Comité exécutif. Il sera composé de cinq membres.

Le présent arrangement et les stipulations qui en découlent sont consentis au profit de tous les créanciers actuels, moyennant la cession faite par Son Altesse le Bey spontanément, librement et dans le plein exercice de ses pouvoirs souverains, à tous ses créanciers solidairement et indivisément, des revenus ci-après désignés, dont le produit sera intégralement employé par les soins du Comité d’administration, sauf les restrictions annoncées plus loin au service soit des intérêts, soit de l’amortissement par voie de rachat, soit vies frais d’administration de toute nature et ce, jusqu’à extinction compléta de la dette qui sera liquidée et arrêtée par la Commission financière.

Ces revenus sont les suivants : (Impôts directs)

Mahsoulats de Sousse, Monastir (marché au blé) fr.                400.000
D° Tuhaba de Tunis                                                                            97.000
Douanes de Tunis (importation)                                                   500.000
Droit de la karrouba (impôts sur les loyers) à Tunis                100.000
Douane de Sfax                                                                                   15.000
D° de                                                                                                        8.000
D° de Sousse, de Monastir et de Mehdia                                        23.000
Fermage des tabacs                                                                          220.000
Droits sur les vins                                                                               55.000
Marché de bois et de charbon                                                          15.000
Fermage de plâtre                                                                               60.000
D° des et éponges                                                                                 55.000
D° du sel                                                                                               110.000
Mahsoulals de la Goulette                                                                  20.000
Kanoun des oliviers de Sousse :

D° Mehdia
D° Monastir  (Droits sur les oliviers)                                             850.000
D° de Sfax
D° Ouatan-el-Kabli (provinces de l’est)                                        130.000
Mahsoulals et Douanes de                                                                90.000
Droits sur la pèche du corail                                                              8.000
D° d’exportation                                                                             2.640.000

Octroi                                                                                                   350.000
Droit du timbre                                                                                  300.000
Ferme du poisson                                                                              100.000
Masoulats de Bizente                                                                          80.000
D° de Sfax                                                                                            100.000

D° de Ouatan-el-Kabli                                                                         85.000
D° de Mehdia                                                                                        12.000

                                                                                                           6.505.000

Ces revenus sont concédés en pleine et entière jouissance aux créanciers dans le présent et pour l’avenir jusqu’à extinction de la Dette actuelle et quelles que soient les modifications de taxes ou de tarifs qui puissent intervenir ; mais le mode de celte jouissance variera suivant la nature des revenus eux-mêmes et surtout suivant qu’il s’agira des revenus dont la perception pourrait être gérée directement par le compte des créanciers, ou de revenus à percevoir dans l’intérieur du pays. (Kanoun.)

Le produit annuel des revenus concédés est évalué à six millions cinq cent mille francs, somme reconnue nécessaire pour le service de la dette liquidée, jusqu’au 20 février dernier, conformément aux stipulations du présent arrangement.

Le Gouvernement en garantit la réalisation, mais seulement jusqu’à concurrence de 5,000,000 de francs pour la première année ; de 5,500,000 francs pour la seconde année et de 6,000.000 de francs pour la troisième : à partir de la quatrième année et pour toutes les suivantes, la garantie portera sur la somme intégrale.

En conséquence, tout déficit sur l’une des sommes ci-dessus constatées à l’expiration de l’année correspondante sera comblé au moyen du prélèvement d’une somme égale sur les autres.

Le Gouvernement de S. A. le Bey prend enfin l’engagement vis-à-vis des trois puissances amies, comme vis-à-vis de ses créanciers, de persévérer dans la voie tracée par le décret du 5 juillet, de maintenir ses dépenses dans les limites des crédits ouverts par le budget qui sera préparé chaque année par le Comité exécutif, et d’employer ses ressources disponibles en travaux d’utilité générale.

Remboursement des coupons arriérés

Il sera créé à cet effet, pour chacun des titres actuels portant des coupons d’intérêts et de quelque catégorie qu’ils soient, un certificat distinct portant ta somme qui sera allouée commute indemnité représentative des coupons échus et non payés. Ces certificats seront joints individuellement aux obligations nouvelles au moment de leur échange contre les anciens litres ; ils seront au porteur, et seront remboursés sans intérêts par voie de tirage au sort, au moyen du produit qui résultera de l’augmentation des tarifs actuels des droits de douane à l’entrée.

Dispositions transitoires

En raison des intérêts considérables qui se trouveraient gravement compromis par tout nouveau retard dans ta mise à exécution du présent arrangement, le Comité exécutif propose de décider que, immédiatement après la ratification de cet arrangement par S. A. le Bey, les membres du Comité de contrôle, revêtus par les créanciers des pouvoirs les plus étendus, prendront provisoirement en mains l’administration des revenus concédés et les gèreront en se conformant aux clauses et conditions énoncées précédemment, jusqu’à ce que le Conseil d’administration ait été rendu exécutoire. »

Tunis, le 23 mars 1870
Vu ET APPROUVÉ :
A signé : LE BEY, le 23 mars 1870

L’économie générale de ce système est de nature à compenser les regrets des porteurs de titres qui touchaient 12 % d’intérêt. Les intérêts qui découlent des dispositions de ce décret intéressent la masse des créanciers et préparent pour la Tunisie des horizons moins sombres. Les négociants du pays intéressés à ce que le crédit du gouvernement le raffermisse, sont hardiment entrés dans cette nouvelle voie. Notre confiance ne se rajeunira-t-elle pas au spectacle de ces nouveaux efforts et de cette grande honnêteté d’un gouvernement qui s’immole pour le compte d’une longue suite de malheurs étrangers à sa conduite ?

Il me semble, quant à moi, que les résultats de cette nouvelle administration financière solidement établie seront : de consolider le capitale, de faire naître sur les marchés de l’Europe une plus grande estime pour les valeurs — de mettre en rapport les charges du pays avec ses revenus —de ramener à des principes plus sages les engagements contractés —de rendre impossible un nouvel emprunt qui dans tous les cas ne serait qu’un palliatif impuissant —d’établir un budget régulier et de fixer les dépenses de la cour beylicale.

Mais pour obtenir ces bénéfices, il est de toute nécessité que les comités exécutifs de contrôle et d’administration soient composés d’hommes dégagés de toute solidarité avec le passé, recommandables par leurs capacités, leur expérience leur honorabilité.

CONCLUSIONS

Le vrai piédestal de 1a grandeur nationale d’un peuple n’est pas la gloire, mais le progrès matériel. La gloire sans le progrès s’anéantit. La Tunisie deviendra un foyer de civilisation par le progrès matériel. Le progrès grandit en raison directe de la production ; la production s’augmente au cours régulier de trois sources, les institutions de crédit, l’éducation professionnelle, les voies de communications.

Que la Tunisie sache développer les ressources infinies renfermées dans son sein; que par une administration habile, prudente, active elle s’élève peu à peu sans secousse, sans courir de dangereux hasard au degré de prospérité et de force nécessaire pour occuper dans le monde 1a place à laquelle la destine le mouvement naturel de la politique ; qu’elle mette de l’ordre dans son système financier, de l’économie dans ses dépenses, qu’elle exploite ses ressources trop longtemps négligées; que le gouvernement cherche la force et la puissance dans le développement de la prospérité publique sans s’arrêter à des velléités d’agrandissement extérieur fondées sur nos illusions actuelles en politique; que ces belles paroles de Montesquieu trouvant un admirateur dans le Bey. « Une maladie nouvelle s’est répandue en Europe, elle a saisi nos rois et leur a fait entretenir un nombre désordonné de troupes. Chaque monarque tient sur pied toutes les armées qu’il pourrait avoir comme si ses peuples étaient en danger d’être exterminés ; et l’on nomme paix cet état d’effort de tous contre tous ».

L’armée, quand elle est appliquée aux travaux publics nourrit de rudes citoyens enrichit l’état, le protège et le soulage des dépenses qui coulent trop au front de l’ouvrier et aux épargnes de la veuve.

La sagesse du gouvernement beylical contribuera au bien être des indigènes puisque l’ordre social est assis sur des bases solides, la propriété respectée, et l’homme qui travaille exempt de l’inquiétude de se voir ravir le fruit de ses peines. C’est en vain que la Providence aura placé un peuple sous un climat favorisé, au milieu des terres les plus fertiles ; si celui qui a semé n’est pas assuré de récolter, les terres demeureront incultes.

Tunisiens, vous avez plus qu’il ne vous faut pour prospérer, il ne vous manque en quelque sorte que la force motrice. Vous avez demandé, à la France et à l’Angleterre des capitaux, demandez-leur aujourd’hui des chefs qui dirigent les exploitations des ouvriers qui construisent des machines.

En général, l’Orient abonde en toutes espèces de matière première ; mais les unes restent inexploitées, les autres sont vendues à des prix tellement vils aux occidentaux, qu’après que l’industrie occidentale, les villes intermédiaires pour l’exportation, le transport, l’importation, ont trouvé le moyen de s’enrichir, ou les renvoie en Orient comme produits industriels à des prix centuples.

Tunisiens, c’est un Etat défectueux qui paralyse votre grandeur, votre avenir, votre prospérité ; exploitez mieux vos richesses, fondez des industries ; développez celles que vous avez ; vivez par vous-mêmes sinon pour vous-mêmes. Pour remplacer cette large importation de main-d’œuvre européenne qui vous est aujourd’hui indispensable, envoyez des pensionnaires en Europe pour étudier les arts, le commerce, l’industrie, l’agriculture. Ils prendront soin plus tard des chemins de fer, des ports, des routes, des canaux, des bâtiments civils et militaires, ils disposeront eux aussi, de moyens supérieurs, et produiront beaucoup en peu de temps.

Si vous obéissez à la sage impulsion qui vous est donnée par le Prince qui gouverne ; si les financiers de l’Europe vous laissent le temps de, réparer ces désastres, le temps viendra bientôt, où l’on verra les récriminations se taire, les embarras disparaître, les améliorations enrichir le pays, les impôts diminuer et la fortune reparaître florissante rendant d’une main au continent ce qu’il a prêté, apportant de l’autre à la Tunisie les instruments d’une longue prospérité.

Toute société est progressive ; on peut mesurer peut-être les facultés d’un individu ; on ne saurait limiter ce que peuvent les intelligences réunies dont les produits ne s’ajoutent pas seulement, mais se fondent et se multiplient dans une progression infinie. En vertu de cette loi les peuples augmentent sans cesse leur industrie et leurs lumières accroissent dans la même proportion leurs besoins matériels et leurs besoins moraux.

Si ces pages ont pu ramener des opinions hésitantes sur le crédit du gouvernement Beylical et l’esprit qui ranime, ma tâche aura été facile, mon mérite faible, j’ai seulement cueilli quelques épis dans un champ de blé ; combien d’autre plus instruits et plus laborieux pourraient moissonner de belles gerbes.

signature Henry Pontet de Fonvent“La Tunisie : son passé, son avenir et la question financière”

Henry Pontet de Fonvent, 1872

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