Essai sur l’histoire des Israélites de Tunisie

  • 26 décembre 2018
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Juifs de Tunisie au temps des Beys
26 Déc

Le petit volume* que nous présentons aujourd’hui au public n’a pas la prétention d’être un traité d’histoire, il n’en a ni les allures, ni les tendances. C’est une simple collection de documents se rapportant au passé du judaïsme tunisien, depuis l’époque, très reculée, où il a fait sa première apparition en Tunisie, jusqu’au moment où le protectorat français, venant à être proclamé dans ce pays, a, pour ainsi dire, supprimé l’histoire spéciale de la Régence, en en faisant une branche de l’histoire de France.

Cet ouvrage est né de circonstances fortuites. Chargé par l’Alliance Israélite d’une mission de confiance en Tunisie, j’ai été souvent appelé à m’occuper des affaires du judaïsme tunisien, et dans ce but, à étudier sort organisation, ses institutions, ses établissements. Les différences qui le distinguaient des autres groupes juifs étaient si grandes et si notables, que j’ai voulu en connaître les causes.

Delà des recherches, et à la suite, la découverte d’une foule de documents disséminés dans un grand nombre d’ouvrages d’origines diverses, hébreux, arabes, latins, tous datant du moyen âge. A côté sont venus se grouper d’autres documents d’écrivains modernes, mais dont le caractère sérieux et critique est indiscutable.

Il est résulté de cette collection de documents une suite presque ininterrompue des événements qui sont survenus dans la population juive de Tunisie depuis leur premier établissement dans la Régence jusqu’à nos jours. Dès lors il nous a paru utile de livrer ces documents à la publicité, dans l’espoir qu’il se trouverait quelque savant curieux de reprendre ce travail, de compléter ces documents, et de retracer enfin, avec compétence et autorité, l’histoire des Israélites de Tunisie.

Le sujet est vraiment digne d’intérêt. Le groupe juif tunisien constitue un élément qu’il est impossible de négliger. Non seulement il forme, à Tunis, le tiers de la population totale de la capitale, mais encore il en forme la partie la plus intéressante.

De tous les sujets indigènes, il est l’élément le plus assimilable, il a en mains les capitaux et le commerce de la Régence; c’est lui qui constitue l’élément le plus intelligent et le plus actif de la population, et c’est sur lui que la France doit d’abord compter pour introduire dans la population tunisienne sa langue, son esprit, sa civilisation.

Or depuis quelque temps, il s’est formé, contre les Juifs, dans la nouvelle colonie française, une légende qu’il est utile de dissiper. Le nouvel élément français, débarqué de fraîche date en Tunisie, voit la main des Juifs dans tous les déboires qu’il éprouve, dans tous les obstacles qu’il rencontre. Le commerce chôme, la valeur des terrains augmente, les loyers renchérissent, ce sont les Juifs qui en sont cause. La haute banque refuse-t-elle d’escompter le papier qui ne lui inspire pas suffisamment de confiance, les grands établissements de France refusent-ils de se lancer dons les entreprises plus ou moins véreuses qu’on leur propose, ce sont les Juifs qu’il faut en accuser.

Enfin les produits tunisiens sont-ils considérés comme étrangers à leur entrée en France, ce sont les Juifs qui soutiennent cette situation, et ce sont eux qui en profilent. Il faut bien s’entendre pourtant. Les Juifs jouissent-ils en Tunisie d’une situation privilégiée ? Non ! Peuvent-ils compter sur les faveurs spéciales de l’administration ? Non ! Ont-ils dans le pays une situation prépondérante qui leur permette d’obtenir des succès là où leurs concurrents n’obtiennent que des déboires ? Non ! Dès lors, de quoi les accuse-t-on ? Que leur reproche-t-on ? C’est de réussir là où tes autres échouent, de gagner lorsque les concurrents perdent, et de profiter des institutions actuelles, qui constituent un obstacle pour les nouveaux venus. Cette situation spéciale a des causes ; elles sont dans l’histoire des Juifs de Tunisie, dans leur origine hétérogène, dans la façon dont leur caractère s’est formé, à la suite des événements qui sont venus influencer sur leur développement intellectuel et moral, dans les procédés lents et accidentés par lesquels ils ont conquis les quelques libertés dont ils jouissent, enfin dans les entraves auxquelles ils ont été soumis, et qui ont contribué à former le caractère actuel du Juif tunisien.

C’est ce que nous avons voulu établir dans le présent travail. Nous nous sommes proposés de détacher les causes qui ont contribué à former la situation actuelle et à donner naissance au caractère du Juif tunisien d’aujourd’hui.

Ce travail demande une suite. Après avoir tracé le passé des Juifs tunisiens, après avoir suivi, pas à pas, la genèse de celte agglomération qui constitue le judaïsme de Tunisie, il est bon de tracer le caractère actuel de ce groupe important, d’en décrire les mœurs et les instituions, et surtout de déterminer les mesures, intérieures ou générales, à prendre pour modifier l’état actuel, pour améliorer la situation dont on se plaint, et pour faire en sorte que l’influence et la vivacité dont jouit ce groupe important soient dirigées dans l’intérêt du pays et de la France.

En effet, le gouvernement tunisien, et par suite, celui de la République française, doit trouver dans l’élément juif le concours le plus dévoué et le plus utile. Mais pour arriver à ce but, il faut que chacun de son côté fasse des efforts et prenne des dispositions en vue du résultat à atteindre. A côté du passé des Juifs tunisiens, il faut étudier leur présent et préparer leur avenir. Il est possible qu’un jour nous nous décidions à entreprendre ce travail. Pour le moment, nous nous en sommes tenu h raconter les événements qui se sont passés, sans parti pris, sans presque las juger, depuis la plus haute antiquité jusqu’en 1881. Avons-nous réussi ? Dans tous les cas, nous pouvons assurer que nous n’avons rien négligé pour présenter des documents authentiques, dignes de confiance et capables de constituer les archives de l’histoire du judaïsme en Tunisie.

David Cazès

* C’est une introduction de l’ouvrage “Essai sur l’histoire des Israélites de Tunisie : depuis les temps les plus reculés jusqu’à l’établissement du protectorat de la France en Tunisie”. Auteur : David Cazès (1851-1913). Éditeur : A. Durlacher (Paris). Date d’édition : 1887

David Cazès (au milieu de la table), né en 1851 à Tétouan (Maroc) et décédé en 1913, est un instituteur et écrivain juif marocain des XIXe et XXe siècles, auteur des premières études sur l’histoire des Juifs en Tunisie.

En 1878, David Cazès est fait officier du Nichan Iftikhar à Tunis. Le gouvernement français lui remet différents prix académiques en 1886 et le fait chevalier de la Légion d’honneur en 1889.

Cazès est l’auteur de divers ouvrages : Essai sur l’histoire des Israélites de Tunisie (Paris, 1888) et Notes bibliographiques sur la littérature juive tunisienne (Tunis, 1893), où il présente un panorama précis de la vie littéraire des Juifs de Tunisie. Il contribue également à un grand nombre d’articles dans la Revue des études juives et divers autres périodiques juifs.

Les juifs sous la domination Romaine, Vandale et Grec

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