La Tunisie française: le golf de Carthage

  • 12 janvier 2019
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Golf de Carthage, vue générale de Tunis 1912
12 Jan

En partant pour L’Afrique, un savant me demanda des fossiles ; un autre plus aimable, des fleurs ; un ami, des vieux meubles.

Seule, la sœur de ma mère, Madame de Blowitz, femme d’esprit et de cœur qui goûte vivement les correspondances de son mari et qui aime La Bruyère, me demanda des portraits.

J’ai suivi le conseil de ma tante. J’ai laissé aux rochers leurs fossiles, aux prairies leur parure, aux marchands leurs bibelots, et je me suis attaché dans mon long séjour en Tunisie à peindre avec exactitude, sinon avec talent, quelques figures françaises intéressantes, quelques types indigènes curieux à esquisser, quelques silhouettes de villes et de fermes.

Ces tableaux et ces esquisses forment ce livre.

Dans un premier ouvrage, j’ai signalé l’écroulement d’un puissant Empire, le Maroc, du fait d’un Gouvernement corrompu.

Dans cette nouvelle étude, je constate le relèvement d’un autre grand État africain, la Tunisie, sous l’action civilisatrice de la France.

LE GOLFE DE CARTHAGE

Après avoir franchi le cap de Sidi Bou Saïd, le navire pénètre dans la rade de la Goulette, au cœur de l’ancien golfe de Carthage.

On se trouve en présence d’un splendide panorama. Sur les bords de cette mer immense et paisible, s’élèvent en amphithéâtre : les coteaux de Gorbès, les montagnes hardiment découpées de l’Hammam, l’Enf, les cimes altières du Bou Kernein et du Djebel Ressas, avec leurs teintes sombres et enchanteresses ; le lac bleu de El Bahira au fond duquel se détachent les blanches murailles de Tunis ; les bastions de La Goulette et les citernes de Carthage, au milieu des jardins verdoyants des palais musulmans.

Si l’œil du voyageur est vivement frappé par les beautés incomparables du Golfe, combien son esprit est-il encore plus vivement impressionné par les souvenirs qu’il rappelle !

Là s’étendait la Carthage punique qui, avec ses 700,000 habitants, ses Suffètes, sa marine et sa puissance, a balancé un moment la fortune de Rome. Dans son vieux cothon, port aujourd’hui ensablé, Hannon s’était embarqué six siècles avant notre ère et avait, dans son immortel périple, tourné la Mauritanie Tingitane (Le Maroc) et atteint la Guinée ; Régulus, victime de la foi jurée, y avait abordé pour recevoir la mort ; Annibal en était parti pour conquérir l’Italie.

Les fastes de la Métropole Chrétienne ne sont pas moins éclatants. C’est à Carthage que Saint-Augustin enseigna la rhétorique, que tonna Tertullien, que fut martyrisé son illustre évêque Saint-Cyprien. A Carthage, siège du Primat d’Afrique, se tint un concile des 700 évêques africains.

Carthage aujourd’hui française rappelle à la France l’histoire de ses glorieux enfants : Saint-Louis, mort de son dévouement héroïque sur un lit de cendres, à l’endroit même où la fable a placé le bûcher de Didon ; Saint-Vincent-de-Paule qui, deux années captif volontaire en Tunisie, devait, par sa charité, toucher le cœur des Musulmans.

La Cité punique démantelée et abandonnée pendant des siècles présente néanmoins des restes intéressants de son antique splendeur : de grandes citernes, des vestiges de temples, des colonnes, des inscriptions relevées et étudiées par nos savants.

A proximité des ruines de Carthage, au pied de la colline Saint-Louis, s’étend près de la mer la ville de La Goulette, qui sert aujourd’hui de port à la grande cité de Tunis. Un chemin de fer, qui tourne le lac El Bahira, relie les deux villes distantes de quatre lieues.

En débarquant à La Goulette, un an avant l’occupation française, je vis tout d’abord, errant dans les rues, un forçat qui traînait ses chaînes avec orgueil, c’était le plus ancien galérien de la Régence ; on l’avait surnommé le doyen du bagne.

Puis un moulin à vent, qui ne marchait pas, malgré la brise.

Enfin Si Sferaoui, haut fonctionnaire tunisien. On l’appelait à La Goulette : Amiral. Je demandai à Si Sferaoui où étaient ses bâtiments : « A la campagne, » me répondit-il finement.

Je revis Si Sferaoui quelque temps après dans l’intérieur du pays, on l’appelait alors : Général. Je le questionnai sur ses soldats. – Ses soldats étaient dans leurs foyers. –

La Tunisie d’avant le Protectorat est dans ce tableau : une machine sans mécanicien, un galérien vaniteux, un Amiral Général sans flotte et sans soldats.

Ludovic Campou – Paris, 20 mai 1887.
DU MÊME AUTEUR : “Un Empire qui croule” (le Maroc contemporain) 1886.

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