Al-Mâamoura : L’agriculture et la récolte de joncs « Essmâr » dans les années 1900

  • 17 mai 2020
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La récolte de joncs « Essmâr » à Mâamoura
17 Mai

El-Mamoura, au nord-est de Nabeul, est un petit village moins peuplé et moins riche que ceux dont il a été déjà question. Avec El-Mamoura, on quitte la véritable région des cultures fruitières et maraichères, qu’on peut considérer comme se terminant au signal de Sidi-Djabroun. D’importantes olivettes se présentent alors, dès la sortie de Beni-Khiar, sur le chemin de Kourba.

Voici, par territoire, le nombre approximatif des oliviers pour toute la région :

Nabeul :                          86.000
Dar-Chabane :               12.500
El-Fahri :                         10.500
Beni-Khiar :                    46.000
Al-Mamoura :                16.000


TOTAL :                         171.000

Ce sont tous de très vieux oliviers ; les variétés les plus répandues sont, d’après leur importance numérique, les variétés chaibi, ketoubri, roumi, sehli. Comme la plupart des plantations anciennes, celles de cette contrée sont un peu trop serrées ; les oliviers voisins de la mer souffrent, en outre, des vents de l’Est, l’extrémité de leurs ramilles se dessèche.

Ces oliviers sont assez bien soignés ; ils sont taillés à la scie, pendant l’hiver et jusqu’au mois de mai, par des ouvriers du pays que l’on paye 2 francs par jour environ ; ils reçoivent en moyenne de deux à quatre labours par an et par quelques canalisations appropriées, les indigènes font arriver l’eau des pluies à leur pied.

Mais les plantes, le maïs le plus souvent, qui sont cultivées entre les oliviers nuisent beaucoup à leur végétation. La cueillette est faite à la main ; les olives sont traitées dans les moulins indigènes. En bonne année, un pied d’olivier donne 2 ouibas d’olives, c’est-à-dire 80 litres, qui, traités, donnent 6 saàs, ou 20 litres d’huile environ.

Dans toute cette contrée, 0ù l’olivier domine, la propriété est encore très morcelée. L’Arabe, à sa mort, partage son olivette entre ses enfants, qui limitent alors leurs propriétés personnelles par de petits talus en terre circonscrivant parfois un nombre d’oliviers fort restreint.

Sabkha à la Côte de Al-Mâamoura, au Cap Bon nord de la Tunisie
Sabkha à la Côte de Al-Mâamoura, au Cap Bon nord de la Tunisie

A l’Est de la route de Nabeul à Kélibia, le sol est peu élevé au-dessus du niveau de la mer ; C’est alors que commence la ligne des sebkhas, envahies par l’eau en hiver, et pendant la belle saison par des joncs, qu’on récolte pour la fabrication des nattes.

Les sebkhas les plus importantes dont on exploite les joncs sont la sebkha de Tazerka, près du petit village du même nom, et la sebkha Ech-Chott-ech-Cherki, située non loin de Kourba. Ces sebkhas font partie du domaine public.

L’industrie des nattes est importante, puisqu’à Nabeul seulement elle occupe une centaine d’ouvriers répartis dans 35 ateliers possédant 60 métiers. On trouve aussi des nattiers à Dar-Chabane et à Beni-Khiar. Le travail auquel ils se livrent est chose connue ; nous n’en parlerons pas, mais l’organisation et le fonctionnement de l’association des nattiers en vue du payement de la redevance annuelle qu’ils doivent à l’Etat propriétaire du sol des sebkhas, sont assez ignorés pour que quelques détails soient donnés sur ce sujet, d’autant plus intéressant que les exemples de syndicats agricoles indigènes sont assez rares en Tunisie.

On ne connait guère que l’association qui existe entre les indigènes des oasis, pour l’irrigation de leurs cultures ; celle-là est plus originale encore. La redevance due pour l’exploitation des joncs, variable chaque année, doit être répartie entre les nattiers proportionnellement à la quantité de joncs que chacun demande pour son travail annuel.

Cette répartition est faite très ingénieusement, de la façon suivante : les nattiers de Nabeul choisissent un des leurs, un des plus honorables, en lequel ils ont confiance, et qui est chargé de la récolte du jonc c’est l’amine des joncs, qui, pour remplir la tâche qui lui est confiée, fait venir des ouvriers des villages environnants, de Tazerka et de Kourba notamment; même des nattiers de Nabeul, qui peuvent n’avoir pas beaucoup de travail, viennent s’engager, sous ses ordres, pour toute la durée de la récolte.

Les ouvriers, au nombre d’une soixantaine environ, ont en main une petite faucille, à l’aide de laquelle ils coupent le jonc, dont ils font des bottes, des gerbes ou raptas, qu’ils s’efforcent de faire d’égale grosseur. Huit raptas assemblées forment ce qu’on appelle une bara, et c’est par bara ou fraction de bara que sont payés les moissonneurs, à qui il est alloué généralement 60 centimes par bara, un ouvrier habile met trois heures pour en récolter une ; le travail est d’ailleurs relativement pénible, car le jonc est assez résistant.

Vers le milieu de l’après-midi, sur un signal, les ouvriers cessent tout à coup leur travail et viennent se placer à côté de leur récolte ; l’amine passe alors à côté de chacun d’eux pour compter le nombre de baras qu’il a faites et son secrétaire, qui le suit, calcule, d’après ce nombre, la somme due à chaque ouvrier ; elle ne lui est payée qu’à la fin de la semaine. L’amine retient souvent deux à trois sous, s’il juge qu’une bara est faite de raptas trop petites. Les moissonneurs de joncs gagnent en moyenne de 1 fr. 20 à 1 fr. 60 par jour.

Récolte de Joncs pour les mettre sous forme de "rabta"
Récolte de Joncs pour les mettre sous forme de “rabta”

La fin du travail consiste alors à débotteler les gerbes et à étaler, sur le sol, les joncs qu’on y laissera jusqu’à parfaite dessication, sous l’action du soleil.

On choisit pour cela des endroits privés de végétation appelés munchars, sur lesquels les joncs sont étalés par paquets, en éventails. Le sommet de l’éventail est formé par la réunion des parties supérieures des tiges de joncs, la périphérie par les bases, plus difficiles à sécher.

Vers la fin d’août, ou au commencement de septembre, époque à laquelle a lieu cette opérations, il faut une huitaine de jours pour une dessication complète ; quand elle est terminée, on reconstitue les baras et cette façon d’étaler le jonc en éventails rend cette besogne très rapide.

A la fin de chaque semaine, alors qu’on dispose d’une certaine quantité de joncs secs, les nattiers de Nabeul viennent, avec leurs bêtes, sur le terrain de la sebkha, où sont disposées, en lignes, les baras disponibles, qui sont toutes numérotées. Chaque nattier indique préalablement à l’amine combien il en veut ; ensuite les baras sont tirées au sort et distribuées, et, le soir, les nattiers, emportant leurs joncs, repartent pour Nabeul.

Cette scène du tirage au sort est vraiment originale, et c’est chose tout à fait surprenante que de voir avec quelle facilité se fait la répartition des baras, sans récriminations, sans bruit, qui, étant donné le caractère acrimonieux des Arabes, ne manqueraient pas de se produire si les choses se passaient autrement. L’amine fixe d’après le nombre de haras que chaque nattier a reçues la somme qu’il doit. Ce sont ces sommes totalisées qui serviront à payer les ouvriers et la redevance à l’Etat. De cette façon, chaque nattier contribue donc, dans ces dépenses, pour une part proportionnelle à la quantité de joncs qui lui a été attribuée. On ne peut pas plus d’équité.

Si, après avoir payé les moissonneurs de jonc et la redevance imposée, il reste, à la fin de la récolte, une certaine somme d’argent entre les mains de l’amine, elle est, parait-il, partagée entre les ouvriers, qui ne manquent pas de se présenter pour bénéficier de ce supplément.

L’amine nattier est payé en nature, à la fin de chaque semaine, il a droit à un certain nombre de baras.

Nabeul produit presque uniquement de la natterie de jonc unie, tandis que Djerba, qui est un autre centre de cette industrie indigène, fournit des nattes formées de joncs teints en vert ou en rouge disposés de façon à former certains dessins réguliers.

Source : Bulletin de la Direction générale de l’agriculture, du commerce et de la colonisation française – Juillet 1900

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