Réformes nécessaires aux États musulmans: Introduction (3/4)

  • 31 décembre 2018
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Réformes nécessaires aux États musulmans: introduction 3
31 Déc

Il est donc d’une importance extrême que les souverains musulmans, les ulémas et les hommes d’État, travaillent d’un commun accord à l’introduction d’institutions basées sur le contrôle et sur la justice, contenant des éléments qui puissent suffire au progrès moral des sujets et à l’amélioration de leur état matériel, et organisées de manière à leur inspirer l’Omar du pays, et à faire ressortir aux yeux de tous les avantages qu’elles produisent.

Ils ne doivent nullement se préoccuper des attaques que certains adversaires intéressés dirigent contre ces institutions, en prétendant qu’elles sont inapplicables à la nation musulmane, et en formulant contre leur adoption les quatre objections suivantes, savoir: L’opposition des institutions avec les principes de la loi religieuse l’inopportunité des institutions, à cause de l’ignorance et de l’incapacité des masses la longueur de la procédure et la lenteur dans la décision des affaires, et enfin le surcroit de dépenses qu’occasionnerait la création des emplois nécessaires au fonctionnement des institutions redoutées.

Tout homme éclairé peut voir que ces objections H n’ont aucun fondement. Quant à la prétendue on position avec la loi religieuse, ce que nous avons dit plus haut prouve suffisamment qu’elle n’existe point et démontre au contraire que cette loi recommande l’adoption de ces institutions politiques et administratives, particulièrement à une époque comme la nôtre, avec ses exigences spéciales.

La seconde objection, tirée de l’ignorance et de l’incapacité des masses, ne saurait être concluante ; car, lorsque les autres nations, qui, grâce à leurs institutions, sont parvenues au plus haut degré de civilisation, ont commencé leur mouvement ascensionnel, les masses y étaient plus arriérées que les nôtres no le sont maintenant.

Nous admettons qu’actuellement l’instruction du peuple et ses connaissances pratiques sont bien moins avancées que dans certains États de l’Europe; mais il faut reconnaître aussi, comme doivent le faire tous les hommes impartiaux après un examen sérieux, que ce peuple, dont on ne saurait contester la supériorité de l’intelligence par rapport à d’autres nations déjà avancées, a, dans les débris de son ancienne civilisation et dans ses traditions vivantes, de quoi se relever et marcher plus rapidement que toute autre dans la voie du progrès, une fois que des institutions vraiment libérales en raviveraient la sève, et l’appelleraient à intervenir dans ses affaires politiques et administratives par l’exercice d’un contrôle sérieux et cela se ferait dans un temps relativement bien court et qui étonnerait le monde; car, bien qu’il soit présentement étouffé chez nous par l’arbitraire, ce sentiment de la liberté et de la dignité individuelle qui enfante des prodiges, et qui presque partout ailleurs n’est que le résultat des institutions et de l’éducation, est acquis au musulman dès l’enfance, comme un enseignement de sa propre religion.

Parmi les devoirs du législateur chargé de fonder les institutions, se trouve contrairement celui de tenir compte du l’état moral des masses et de leur avancement dans les connaissances utiles, pour savoir quel est le degré de liberté politique qu’on peut accorder, et s’il convient, ou non, d’en généraliser l’exercice et de l’étendre à tous indistinctement, ou de n’accorder cette liberté qu’à ceux qui se trouvent dans certaines conditions spéciales exigées pour cela; mais, dans ça dernier cas, le législateur doit songer à faciliter la réalisation de ces conditions, en cherchant à accroître et à favoriser le développement de tous les éléments de progrès et de civilisation.

Or, quand même les peuples musulmans ne seraient point assez mûrs pour obtenir un degré quelconque de liberté politique, il faut admettre pourtant que chacun d’eux a le droit naturel d’exister comme nation, quelle que soit la forme du gouvernement qui la dirige il faut admettre aussi que, par suite, et tout en n’intervenant pas dans les affaires publiques, chacun d’eux a, du moins comme association civile, le droit d’exiger que l’administration soit organisée et réglée de manière que les fonctionnaires se trouvent obligés de rendre à qui de droit un compte exact de leur gestion que les malversations et les abus soient réprimés, et surtout que les droits et les rapports des citoyens entre eux, ainsi que leurs personnes, leurs biens et leur honneur, soient garantis par le respect et l’inviolabilité des lois existantes, quelles qu’elles soient, et invariablement à l’abri de tout acte arbitraire capable d’y porter, atteinte..

Enfin, en admettant pour un moment que l’introduction d’institutions purement politiques soit inopportune, à cause de cette prétendue ignorance et incapacité, et que réellement, comme le soutiennent ces critiques intéressés, les peuples musulmans soient comparer à un mineur auquel il faut un tuteur jusqu’à sa majorité, peuvent-ils nous fournir les preuves et nous démontrer, la loi à la main, que le tuteur dans sa gestion n’est pas tenu d’avoir constamment en vue les intérêts et l’avantage de son pupille? peuvent-ils nous démontrer encore que l’on peut savoir que la tutelle est exercée ou non d’une manière favorable aux intérêts du mineur, sans que l’administration du tuteur soit soumise à un contrôle basé sur la loi ?

En descendant à la troisième objection, nous répondrons d’abord que, sous le régime des institutions, la procédure devant les tribunaux réguliers ne serait pas plus longue que celle qui est suivie devant nos tribunaux religieux, et que, par conséquent, le retard dans la décision ne saurait provenir que de la difficulté et de la complication de l’affaire à examiner, ou de l’incapacité et de la négligence des juges.

Or, la lenteur qui proviendrait de la première de ces deux causes, c’est-à-dire de la difficulté et de la complication de l’affaire ne peut être critiquée que par ceux qui feignent l’ignorance pour des motifs secrets, ou qui ignorent réellement et complétement les notions les plus élémentaires de l’administration de la justice; car l’examen auquel doit se livrer celui qui est appelé à prononcer une sentence, exige un certain temps avant que la conviction se forme dans son esprit, et ce temps dont la durée doit varier plus ou moins, selon la difficulté et la complication des affaires, est, tant pour celui qui doit prononcer que pour les parties elles-mêmes, une nécessité résultant de l’organisme humain, qui ne peut procéder que par actes successifs.

Ainsi, tout jugement, qu’il soit basé sur une loi écrite ou sur la simple équité, ne saurait être légal et considéré comme tel qu’autant que les parties ont eu des délais suffisants pour préparer leur défense et produire leurs preuves, et que le juge aussi a eu le temps nécessaire pour bien examiner le tout et pouvoir prononcer en connaissance de cause ; et lorsque l’un ou l’autre de ces délais n’est pas accordé, il y a violation des droits du juge ou des parties.

Comme il résulte de tout ce qui vient d’être exposé qu’un temps plus ou moins long dans la procédure est une nécessité absolue, reconnue par la loi et par le bon sens, il doit nous être permis de dire que cette troisième objection n’est formulée que dans le but intéressé d’indisposer le peuple contre des institutions qui auraient pour conséquence la régularité de la justice, et de le rendre favorable au maintien du système suivi jusqu’ici par ses juges politiques, qui, dans la plupart des affaires soumises à leur décision, et dont l’examen demanderait plusieurs jours, si elles étaient portées devant le plus capable des juges, véritablement dignes de ce nom, prononcent au bout de quelques minutes, et sans appel, même lorsqu’il s’agit de la vie d’un homme !

Mais, quand même l’appel serait admis en principe, il deviendrait illusoire et impossible dans la pratique contre des jugements non rédigés par écrit, et ne laissant conséquemment aucune trace apparente de leur existence car pour pouvoir procéder à la révision, il faut qu’il s’agisse d’un jugement motivé et appuyé sur des preuves qui puissent être pesées et comparées avec le jugement à réviser; et, dans le cas en question, il ne s’agirait que de jugements prononcés verbalement, et dont il serait impossible de connaître et d’examiner les véritables motifs.

En effet, ou ces jugements a la minute dont nous parlons sont prononcés à la légère et au hasard, ce qui fait que nous voyons souvent des causes identiques amener des décisions contraires, ou bien ils ne sont appuyés que sur des motifs qui ne sortent pas de l’esprit du juge et dans l’un comme dans l’autre cas, la révision n’en serait pas moins impossible et l’appel illusoire.

Nous ne nions pus que, dans les commencements il ne puisse se produire dans l’expédition des affaires quelques retards exceptionnels, à cause du manque d’habitude mais cet inconvénient ne serait que passager et disparaîtrait bientôt devant l’expérience acquise, par des décisions sommaires pour les affaires de minime importance, et par le concours empressé des magistrats pour maintenir l’action régulière de la justice et sa prompte application, de manière qu’après bien peu de temps les affaires ne subiraient d’autre retard que celui que nécessiterait leur propre nature.

Mais en admettant pour un moment que la longueur de la procédure et la lenteur dans l’expédition des affaires soient une conséquence directe et inévitable des institutions, ainsi que le prétendent nos adversaires, nous leur répondons que les institutions ne sont pas seulement établies pour que les affaires privées soient décidées d’une manière impartiale, ainsi qu’on est en droit de l’exigea mais elles le sont encore pour des motus très élevés dont le plus important, à défaut de la liberté politique est d’éviter le despotisme des chefs. Or, en supposant que du retard en question puisse résulter un dommage quelconque, qui, dans tous les cas, ne saurait être que négatif, serait-il à comparer avec le dommage réel, direct et général résultant de la liberté laissée aux chefs de porter à volonté la main sur les personnes, sur leurs biens et sur leur honneur ?

Quant au retard provenant de la seconde des causes énoncées plus haut, c’est-à-dire, de la négligence et de l’incapacité des fonctionnaires, on ne saurait en aucune manière le mettre sur le compte des institutions il ne faudrait s’en prendre qu’au gouvernement, qui ne surveillerait pas la conduite de ses fonctionnaires, et qui procéderait à leur nomination sans examen préalable, et sans s’assurer s’ils ont les qualités requises pour bien remplir leurs devoirs.

En ce qui concerne les institutions, nous dirons que les fonctionnaires peuvent être classés de la manière suivante les fonctionnaires qui aiment et approuvent sincèrement le système des institutions et préfèrent l’utilité qui en résulte pour la liberté, pour la dignité et pour le bien-être public aux avantages personnels qu’ils pourraient obtenir sous le système de l’arbitraire les fonctionnaires qui, méconnaissant complétement les bienfaits des institutions, ne trouvent pas une grande différence entre elles et le système de l’arbitraire, considèrent même leur introduction comme un signe de la fin des temps, et ne voient de salut que dans le maintien du statu quo; enfin, les fonctionnaires qui, n’ignorant pas l’excellence des institutions et les heureux fruits qu’elles produisent pour le bien-être de la nation; préfèrent à tous ces bienfaits les avantages particuliers qu’ils peuvent retirer du système de l’arbitraire et du despotisme. Cette indigne préférence ne peut avoir d’autre cause que le manque absolu de sincérité et de dignité de caractère, et l’oubli des conséquences qui en résultent pour ce monde et pour l’autre.

Cela posé, nous disons que les institutions les plus parfaites sous le rapport de l’opportunité et de l’organisation, ne sauraient produire des effets salutaires que si les fonctionnaires de la première catégorie sont chargés de leur mise à exécution ; car ils sont les seuls à la foi desquels on peut confier le soin des intérêts publics, les seuls dont le concours éclairé ne fera jamais défaut. Mais on arriverait à un résultat tout à fait contraire au but que l’on poursuit, si l’on confiait l’application des institutions aux fonctionnaires des deux autres catégories, et particulièrement à ceux de la troisième, parce qu’ils ont tout intérêt à les faire avorter.

Or, tout gouvernement qui voudrait sérieusement introduire le système des institutions, et qui saurait ce qu’il doit attendre des deux dernières catégories de fonctionnaires, ne pourrait leur en confier ni la garde ni le développement, avant de s’être bien assuré par l’expérience que ceux de la seconde y ont adhéré sans restriction, et que ceux de la troisième se sont amendés au point de préférer l’intérêt public à leurs avantages particuliers, et qu’ils ont acquis les qualités sans lesquelles on ne peut accepter des fonctions qu’on ne saurait remplir dignement. En résumé, confier le soin d’un établissement à ceux qui en désirent la destruction, c’est lui créer la plus puissante cause de ruine.

La quatrième objection tirée du prétendu surcroit de dépenses, est le résultat de la plus grossière ignorance de ce qui se passe ; et si ceux qui la formulent s’étaient donné la peine de comparer les résultats du système de l’arbitraire avec ceux du système réglemente par des institutions, ils n’auraient jamais hasardé une pareille objection, qui doit étonner tout homme de bon sens ; car c’est précisément le contraire qui est la vérité.

En effet, c’est le système de l’arbitraire qui entraine le plus de dépenses, parce que le gouvernement tire des contribuables non seulement ce qu’il faut, mais plus qu’il ne faut, pour le dépenser le plus souvent sans nécessité et sans motifs raisonnables tandis que le système réglé par des institutions, le gouvernement, se trouvant astreint à ne prendre que le nécessaire, et à ne l’employer qu’à des dépenses d’une utilité incontestable, ne fait peser sur la nation que des charges raisonnables, auxquelles les contribuables se soumettent de bon cœur quand ils voient régner la justice et la régularité dans la perception et dans l’emploi des deniers publics.

Lorsqu’on envisage la question avec impartialité et dans toute sa réalité, il faut donc reconnaitre que les emplois nouveaux qu’exige le fonctionnement des institutions, loin d’être une cause de ruine, apportent au contraire une véritable économie car, si nous comparons la dépense qu’exigent ces emplois avec la diminution de frais qu’ils amènent dans d’autres branches du service public, par une plus grande diligence et par la suppression des sinécures, nous trouvons que la différence en moins est au-dessus de toute proportion, d’autant plus que ceux qui sont chargés du maniement des deniers publics rencontrent, sous ce système, un frein salutaire contre toute malversation.

Le choix ne saurait donc être douteux entre le système de l’arbitraire, d’après lequel l’argent des contribuables est pris et dépensé selon les caprices du chef et de ses agents, et le système qui ne permet au gouvernement de le prendre et de le dépenser que conformément à la loi car, en présence du contrôle et de la libre appréciation des ayants droit, ils doivent craindre d’être accusés de négligence et de malversation.

Ainsi, il demeure démontré par ce qui précède que los nombreuses dépenses qui pèsent injustement sur la nation, ne peuvent exister que sous le régime de l’arbitraire, et que le contrôle, qui amène le bonheur des sujets, ne peut avoir lieu que dans un gouvernement soumis à des institutions politiques et civiles. Cela suffit pour démontrer les avantages d’un système sur l’autre à quiconque a des yeux pour voir. Si nous laissions un libre cours à notre plume, afin de faire connaitre la situation financière de certains gouvernements et la manière d’y exercer le Bec, avant les institutions, pendant qu’elles étaient en vigueur, et depuis qu’elles sont tombées sous les attaques de ceux qui les calomnient encore, on verrait que l’ignorance, et l’ignorance la plus complète des avantages qu’elles procurent, a entraîné ces gouvernements et leurs adhérents dans le plus déplorable égarement; mais nous trouverions devant nous un si vaste champ, que nous ne saurions le parcourir sans nous éloigner du but de cet ouvrage.

Ce que la Turquie, contre moderne de l’islamisme a fait jusqu’ici est d’un excellent exemple et nous fait espérer que la persévérance et la sagesse de ses hommes d’État triompheront des obstacles qui lui sont propres, et parviendront à compléter les réformes qui doivent assurer le salut de l’empire et le maintien des droits des sujets. Mais les autres gouvernements musulmans, qui heureusement n’ont pas à lutter chez eux contre les mêmes obstacles intérieurs, ne sont entraînés que par leur aveugle passion pour le despotisme, source de tous les abus, quand ils refusent d’établir des institutions réclamées dans l’intérêt de leur propre conservation.

Or, en présence de l’inertie de ces gouvernements et de leur obstination à maintenir un état de choses qui n’est plus de notre époque, il conviendrait, il serait juste et nécessaire que les gouvernements civilisés de l’Europe, qui se vantent si souvent, et non à tort, de leur Omar pour le bien de l’humanité, vinssent enfin sincèrement en aide aux aspirations des populations, en faisant disparaître les entraves qui s’opposent à l’introduction et au fonctionnement des réformes libérales chez les musulmans, qu’on voit gémir encore sous le joug du despotisme. Quand nous parlons ainsi, nous nous adressons particulièrement à ces gouvernements qui ont intérêt à maintenir l’indépendance des nations musulmanes, chez lesquelles se trouvent beaucoup plus d’élément de vitalité et de progrès qu’on ne le suppose généralement en Europe.

En effet, les causes qui ont empêché jusqu’ici l’introduction des réformes ou leur développement graduel, et enfin l’établissement d’une complète liberté politique et administrative dans les pays musulmans, ce ne sont, nous croyons l’avoir prouvé, ni les préceptes du Coran, qui favorisent au contraire la liberté et le progrès, ni l’incapacité et la prétendue ignorance des masses, excuse ordinaire des partisans du despotisme mais ce sont les causes politico-nationales, jointes à l’apathie des princes et des hommes d’État musulmans, ainsi que nous l’avons indiqué sans esprit de parti, mais avec une conviction sincère, basée sur des faits permanents.

Cet exposé des causes du progrès et de la décadence de la société musulmane est en partie le résumé de ce qu’ont écrit les savants et les historiens européens et musulmans, et nous l’avons fait, d’abord pour que les européens et les non-musulmans qui ne connaissent pas à fond les bases de la loi islamique, ne puissent pas ignorer à quel degré de prospérité et de progrès est parvenue la société musulmane lorsque la loi politico-religieuse était intégralement et partout appliquée, et que les chefs étaient les premiers à en observer les prescriptions, ce qui, nous le répétons, est admis par les hommes impartiaux des deux côtés, européens et musulmans; nous l’avons fait ensuite pour qu’on sache que la loi islamique ne s’oppose nullement à l’existence des institutions purement politiques et administratives, tendant à favoriser et à augmenter les moyens de civilisation. Sur ce point les Européens sont dans une étrange erreur quand ils expriment incessamment une opinion toute contraire dans leurs écrits et dans leurs feuilles politiques, par suite d’un préjugé qui ce peut trouver d’excuse que dans les désordres qu’ils voient régner chez les musulmans en ce qui concerne l’administration et la justice et dans les dommages qui en résultent pour le bienêtre des populations.

Tous ces désordres et d’autres encore ont leur source dans l’administration arbitraire et capricieuse des chefs et dans leur négligence à observer et à faire appliquer la loi théocratique.

Il est évident que la continuation de l’état de choses actuel constitue un grave danger, dont on ne saurait assez tôt conjurer les funestes conséquences. Je citerai à l’appui ce que m’a dit à ce sujet un éminent homme d’État français, savoir : « Que la civilisation moderne est un torrent impétueux, qui a creusé son lit à travers l’Europe, renversant violemment tout ce qui s’oppose à son cours que les peuples musulmans limitrophes doivent se tenir en garde contre lui, et qu’ils ne peuvent se garantir de ses débordements qu’en suivant le courant ».

Cette comparaison qui doit attrister tout bon musulman, sincèrement attaché à son pays, est fondée sur des faits qui frappent vivement les yeux; et ce qui en ressort est prouvé par l’expérience car le voisinage produit naturellement des influences qui doivent s’accroître en proportion des besoins, des relations réciproques et de l’avancement des arts et des diverses industries, dont les produits agglomérés rendent nécessaire la création de nouveaux débouchés pour augmenter le revenu par l’exportation.

Après avoir résumé ce qui précède pour faire connaître les causes du progrès et de la décadence de la société islamique, nous allons tracer d’une manière sommaire l’état et la marche de la civilisation en Europe, depuis Charlemagne jusqu’à l’époque actuelle, afin que le lecteur puisse embrasser d’un coup d’œil les progrès opérés dans les lettres, les sciences et les arts, et les noms des hommes illustres qui ont découvert ou mieux expliqué les secrets et les lois de la nature physique, morale et politique.

L’auteur fait ici le tableau détaillé de la marche de la civilisation européenne jusqu’à nos jours; il donne ensuite un aperçu des principales découvertes et inventions, et un exposé complet de l’organisation de l’instruction publique en France, qu’il propose pour modèle; après quoi il continue ainsi :

Une preuve frappante du cas que les Européens font de l’instruction et de leur empressement à élargir le cercle des connaissances, qui sont la base de la civilisation et du perfectionnement de l’espèce humaine, résulte du grand nombre de leurs bibliothèques publiques, renfermant les matériaux de toutes les sciences, et du soin qu’ils mettent à en faciliter l’usage, par une bonne administration, dont le but principal est d’écarter tous les obstacles ‘qui pourraient s’opposer aux heureux effets qu’elles sont destinées à produire. Pour confirmer ce qui précède, nous prendrons pour guide, quant au nombre des volumes de ces bibliothèques, le travail consciencieux qu’a publié M. Natoli, ministre de l’instruction publique, en Italie, et pour ce qui concerne le service des bibliothèques, nous relatons ce que nous avons observé nous-même en France.

Suivent la statistique comparative des bibliothèques publiques en Europe, et la nomenclature de Paris, avec les détails du service intérieur.

Khair-Eddine Le Tunisien,
Traduit en français, le 9 septembre 1867

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