Conclusions sur l’« organisation » de l’Islam de Suisse

  • 31 décembre 2018
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Islam et prière
31 Déc

Au final, dans quelle mesure l’étude des regroupements à l’échelle cantonale et de la constitution de « représentants » de l’Islam sur le plan national éclaire-t-elle le paradoxe entre dynamique d’auto-organisation des acteurs associatifs et discours publics sur la pénurie de « représentants » ?

Premièrement, on constate que la construction d’un Islam de Suisse est en marche.  Les représentations et pratiques des acteurs musulmans s’inscrivent pleinement dans les registres juridiques et pratiques de l’action associative telle qu’elle se configure en Suisse.  En dépit du discours naturalisé sur le  « manque  d’organisation »  des  musulmans,  le  processus d’organisation est bien réel ; le foisonnement associatif fait preuve d’une grande vivacité. Ce mouvement d’auto-organisation vise avant tout l’encadrement de la pratique religieuse et la transmission culturelle, ainsi que l’intégration des membres dans la société suisse.  Sur le plan local, les associations se constituent dans l’entre-soi autour des besoins identifiés par leurs fondateurs et membres actifs.

Les organisations centrales d’un même pays d’origine fournissent   aux   associations   membres   des   services, tels   que   l’envoi   d’imams   ou l’organisation de l’enseignement. Au niveau cantonal, la création d’unions se dessine plutôt dans un mouvement réactif, en lien avec les  politiques  d’intégration et  de  gestion  du religieux par les cantons, mais aussi en interaction avec la construction de l’Islam  en tant que problème public.

En décalage avec les préoccupations des responsables associatifs locaux, les acteurs interreligieux   (Conseil   suisse   des   religions,   2006),   les   médias,   le   Conseil   fédéral   et l’administration  fédérale, l’Organisation  pour  la  sécurité et  la  coopération  en  Europe (OSCE) autant   que   certains   chercheurs construisent   une   demande   en   termes   de « représentation » des musulmans de Suisse.

A    l’heure où des interlocuteurs sont recherchés, les acteurs impliqués dans l’auto-organisation de l’Islam de Suisse sont finalement peu pris en compte. Cette demande  en  terme  de  « représentation »  favorise l’émergence  dans  la sphère  publique d’individus dotés  de  ressources  socio-économiques  qui  redéfinissent  les contours du groupe à représenter, incluant les non-pratiquants, qui sont également sujets à la stigmatisation des musulmans.

La  population  musulmane  de  Suisse  ne  constitue  pas  une  « communauté ». A  priori,  toutes sortes  de  facteurs  entravent  l’émergence  d’une  identité  commune  et  par  là  même  d’une représentation des  « musulmans  de  Suisse »  :  multiplicité  des  origines  nationales,  variation du  degré  d’ancrage  dans  la  société  helvétique,  pluralité  des profils  socio-économiques  et culturels,  rapports  au  religieux  différenciés,  etc.  Si  cette  diversité  s’épanouit  sans  peine  à l’échelle  de  l’action  associative  locale  et  est  constitutive  de  sa  fondamentale pluralité,  les tentatives  de  son  dépassement ne  sont impulsées  que  de  l’extérieur.

C’est  en  effet  la stigmatisation  de  l’Islam   et  des  musulmans  qui  favorise l’émergence  d’un  besoin  de « représentation »  de  l’Islam   par  le  haut  et la  construction  progressive  d’une  identité de «musulmans  de  Suisse» en  réaction  à  cette  stigmatisation  diffuse. A  partir  de  là, une interrogation   s’impose.   La gestion   de   la question   musulmane implique-t-elle   une «représentation» des «musulmans de   Suisse»   ou un   travail   réflexif de   la   société majoritaire sur ses propres représentations?

Samina Mesgarzadeh, Sophie Nedjar, Mounia Bennani-Chraïbi

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