La civilisation carthaginoise: les bases de la puissance

  • 26 décembre 2018
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La civilisation carthaginoise : les bases de la puissance
26 Déc

Les guerres puniques ont donc abouti à la défaite des Carthaginois. Cependant, les revers subis ne doivent pas masquer toute la vitalité dont Carthage fit preuve au cours de son histoire mouvementée. Elle se hissa au rang de puissance non seulement capable de jouer les premiers rôles politiques mais même d’influer sur le destin du monde antique.

L’insuffisance, voire parfois l’absence de documents relatifs à la civilisation punique a entraîné certains historiens à imaginer Carthage comme une nation figée, uniquement préoccupée de ses intérêts matériels et presque sans civilisation. De nos jours, on tend de plus en plus à montrer qu’elle ne fut pas seulement une pépinière de guerriers valeureux comme Amilcar, Hasdrubal ou Hannibal mais aussi le foyer d’une civilisation originale, brillante par certains aspects, qui a rayonné en Afrique et qui s’est même propagée dans certains pays d’Europe.

L’empire et le commerce

Au début du III e s. avant J.-C., les Carthaginois étaient certainement la plus forte puissance maritime et commerciale du bassin occidental de la Méditerranée. Cette puissance reposait, en premier lieu, sur un vaste empire : les Carthaginois possédaient en effet toutes les côtes d’Afrique du Nord depuis la grande Syrte jusqu’au détroit de Gibraltar, une zone territoriale étendue comprenant à peu près toute la Tunisie, le rivage atlantique du Maroc, les rivages de l’Algérie et de l’Espagne méridionale, les Baléares, Malte, la Sicile occidentale et centrale, la Sardaigne, les côtes de la Corse.

Plusieurs cités jalonnent cet immense empire. Les principales sont:

  • En Tripolitaine : Lepcis, Oea et Sabratha.
  • Sur la côte est de la Tunisie : Acholla, Sullectum, Thapsus, Leptis, Hadrumetum, Neapolis, Clupea, Gigthis.
  • Sur la côte nord de la Tunisie : XJtica, Hippo Diarrhjtus (Bizerte). – En Algérie : Icosium (Alger), Tipasa, loi (Cherchel).
  • Au Maroc : Tingi (Tanger), Lixus.
  • En Espagne : Gadès.
Carthage au début du IIe siècle av. J.-C.
Carthage au début du IIe siècle av. J.-C: Reconstitution par J.-C. Golvin La reconstitution, présentée à partir du fond du golfe, montre la ville installée dans la partie sud-est de la presqu’île, la colline de Byrsa, les deux ports. Les nécropoles sont étalées au nord sur les versants des collines formant un arc autour du centre. Au-delà, c’est la zone rurale, Mégara, faubourg de Carthage. Celle-ci est intégrée dans l’enceinte de la ville constituée par la muraille maritime le long de la côte avec, comme avant-poste renforcé, les bassins portuaires et la muraille intérieure barrant l’isthme qui rattache la presqu’île au continent.

La puissance carthaginoise entretenait des relations commerciales étendues, tant en Méditerranée que dans l’Atlantique. C’étaient de véritables « rouliers des mers » qui vivaient essentiellement du commerce. Au début, l’économie carthaginoise reposait essentiellement sur un commerce exclusivement tourné vers la concentration, l’entrepôt et la redistribution, puis, grâce à la conquête du territoire tunisien, ce commerce s’enrichit considérablement par les produits d’une agriculture savamment mise au point et méthodiquement exploitée et d’un artisanat très riche et très diversifié. Il y avait deux grands courants commerciaux. Carthage détenait presque le monopole du commerce atlantique qu’elle pratiquait dans deux directions essentielles.

Les rivages de l’Afrique Noire : ce commerce était très lucratif car il semble que Carthage échangeait des produits brillants mais sans grande valeur, de la pacotille, contre de l’or, des peaux, de l’ivoire et des esclaves. Le fameux périple de Hannon n’était évidemment pas étranger à ce type d’échanges. Ce même type de commerce avec l’Afrique tropicale se faisait également par caravanes qui, partant des ports de Tripolitaine, empruntaient une voie terrestre passant par le Fezzan. Les rivages européens : essentiellement ceux d’Armorique, d’Angleterre et d’Irlande.

Carte du Golfe de Carthage à l'époque punique
Carte du Golfe de Carthage à l’époque punique: On observe que la presqu’île de Carthage se détache plus nettement qu ‘aujourd’hui.

C’était surtout la recherche de l’étain qui avait poussé Himilcon et les commerçants carthaginois vers ces lointains rivages. Carthage avaient des relations beaucoup plus soutenues avec les pays méditerranéens et en particulier avec le monde grec. Malgré une coupure assez longue au V e s., marquée par la rareté relative de la céramique attique à figures rouges dans les vestiges puniques, le commerce avec les Grecs reprit son cours le plus actif après la conquête d’Alexandre. De nombreux objets alexandrins et des amphores rhodiennes trouvés dans les nécropoles puniques de Carthage prouvent la prospérité de ce commerce avec l’Egypte lagide ou Rhodes.

Les échanges étaient aussi nombreux avec bien d’autres régions méditerranéennes telles la Campanie, l’Étrurie, l’Espagne, la Sicile, Délos etc… Avec ces divers clients ou fournisseurs méditerranéens, Carthage échangeait matières premières, produits fabriqués et produits agricoles. Grâce à leur remarquable esprit d’entreprise et à leur recherche constante d’ouvertures sur le monde extérieur, mis au service des richesses de l’agriculture et de l’artisanat, les Carthaginois ont fait de leur métropole, la plaque tournante du commerce méditerranéen. Il faut cependant signaler le fait, quelque peu insolite, que Carthage, grande puissance commerçante, n’ait commencé à utiliser la monnaie que vers la seconde moitié du IVe s. Jusqu’à cette date le troc semble avoir été la base de ses échanges.

L’agriculture

Depuis la conquête puis l’exploitation du territoire tunisien, Carthage était devenue un des plus grands producteurs agricoles de la Méditerranée. Deux zones essentielles sont à distinguer en matière d’agriculture.

« La chora » : comprenant la campagne de Carthage, le Cap Bon et une partie du Sahel (appelée alors Bj^adum). C’était une zone d’agriculture spéculative exploitée directement par les grands propriétaires puniques selon une technique savamment mise au point par des agronomes dont le plus célèbre était Magon.

Les Carthaginois y pratiquaient l’élevage, l ‘oléiculture, la viticulture sans oublier la culture des arbres fruitiers tels les figuiers, les amandiers et surtout les grenadiers qui, transplantés des jardins de Tyr et inconnus des Romains, reçurent de ceux-ci le nom de « pommes puniques ». Les soldats d’Agathocle et de Regu/us furent éblouis par la richesse des campagnes du Cap Bon en bétail et en arbres fruitiers. Nul doute que l’extension des fouilles dans la cité punique de Kerkouane apporteront de nouvelles lumières sur cette richesse dont parlent les textes.

« L’hinterland » : c’est une zone s’étendant à l’ouest et au sud de la « chora », habitée et cultivée par des sujets libyens, elle était consacrée à la céréaliculture. Ces paysans indigènes y vivaient misérablement, astreints au servage, exploités et livrant une large proportion de leurs récoltes à Carthage au titre de tribut. Ils étaient toujours prêts à la révolte.

La production céréalière de cette région contribuait largement à alimenter les exportations carthaginoises vers certains pays méditerranéens. Les hautes performances de l’agriculture carthaginoise sont en grande partie dûes à l’œuvre magistrale de Magon (IVe s. avant J.-C.), considéré à juste titre comme le « père de l’agronomie », par le spécialiste romain Columelle (Ier s. après J.-C.). Ses ouvrages forment une véritable encyclopédie en vingt huit volumes largement diffusée dans tout le monde antique grâce à des traductions intégrales grecques et latines et grâce à la mise en circulation de versions abrégées.

Sa doctrine, très technique et très détaillée, touche à tous les domaines de l’agriculture, de l’élevage et de la gestion rurale d’une façon générale. Il a mis au point des procédés de culture particulièrement adaptés aux conditions géographiques et climatiques de la Tunisie antique. Ses recommandations et ses recettes sont riches en indications précises sur la culture de l’olivier et de la vigne et notamment sur la production des vins, et en particulier d’un vin liquoreux à partir des raisins séchés au soleil et qui s’apparente au passum des Romains.

En tout cas de nombreuses amphores puniques ont été trouvées sur de multiples sites méditerranéens et surtout sur les côtes d’Afrique du Nord, d’Andalousie, de Catalogne et de Corse ainsi qu’à Marseille, à Vintimille, à Rome et Athènes. Ces amphores, ayant servi sans doute à l’exportation de l’huile et du vin, témoignent des succès de l’agriculture punique.

L’artisanat

Les Carthaginois s’étaient surtout spécialisés dans les constructions navales et l’outillage des ports. Mais ils se livraient également à d’autres activités fort variées. Les verriers fabriquaient des perles, des masques minuscules, des flacons à parfum multicolores. Les produits tissés, brodés ou teints en pourpre surtout jouissaient d’une grande réputation sur les marchés méditerranéens. Le travail du cuir, des métaux, du bois complétait cette production de valeur qui était destinée à l’exportation ou à la consommation d’une aristocratie restreinte.

Four à pain punique Carthage
Four à pain punique Carthage: Musée de Carthage. H. 19 cm. Cette terre cuite miniature reproduisant un four à pain rustique a été trouvée dans une nécropole punique de Carthage. Le four, déformé tronconique présente une ouverture au-dessus de laquelle une ménagère est penchée pour plaquer la galette contre la paroi intérieure préalablement chauffée. Il s’agit d’une technique de cuisson simple remontant à la nuit des temps et qui n ‘a pas totalement disparu en Afrique du Nord. C’est la «tabouna» de la campagne tunisienne.

La masse de la population s’adressait à des artisans médiocres qui, souvent, imitaient maladroitement les modèles empruntés à la Grèce ou à l’Egypte. Les textes anciens et surtout l’épigraphie témoignent d’une intense activité artisanale qui a été confirmée par les fouilles et notamment par la mise au jour à Carthage de nombreux vestiges d’installations artisanales s’échelonnant du VIII e au II e s. avant J.-C. Les traces d’industries métallurgiques sont à cet égard considérables comme le montrent plusieurs découvertes et surtout celle d’une importante aire d’ateliers de traitement du fer et du cuivre dans le secteur sud de la colline de Byrsa.

Sarcophage dit de la «prêtresse»
Sarcophage dit de la «prêtresse»: Musée de Carthage Il a été trouvé dans le même caveau que le sarcophage dit du «prêtre» reproduit

De son côté, la céramique, portant à la fois la marque de ses racines phéniciennes et orientales et subissant l’influence de divers modèles méditerranéens, est aussi riche que variée. On peut mentionner également la tabletterie, déjà en vogue dès le VIP s., et donnant lieu à une riche production d’objets en os et en ivoire : épingles à cheveux, peignes, jetons, stylets, charnières, rondelles, garnitures de meubles et autres objets de décoration.

Extrai du livre “HISTOIRE GÉNÉRALE DE LA TUNISIE: Tome I (Khaled Belkhoja, Abdelmajid Ennabli, Ammar Mahjoubi, Hédi Slim)

Formation de l’empire carthaginois et conflit avec les Grecs

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