L’archevêque de Carthage: le Cardinal Lavigerie

  • 31 décembre 2018
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Tunisie , Carthage, cathédrale et séminaire de St Louis
31 Déc

Pacification de la Tunisie due à l’heureuse influence du Cardinal. Son œuvre dans la Régence : Création d’Écoles, de Paroisses, d’Asiles, d’Hôpitaux. Son Œuvre dans l’Afrique Équatoriale, Organisation des missions du lac Nyanza et du lac Tanganika. Le Cardinal Lavigerie est le Grand Français d’Afrique.

Au mois de juin 1881, peu de jours après l’arrivée des troupes françaises commandées par Bréart, le général d’une autre armée, l’archevêque d’Alger, Monseigneur Lavigerie prenait possession du siège épiscopal de Tunis.

La situation était particulièrement grave ; les populations maltaise et italienne qui dominent dans la ville, surexcitées contre les Français, voyaient en nous autant d’envahisseurs injustes, autant d’ennemis.

L’instruction était faible, le service religieux insuffisant ; il n’y avait pas d’asile pour les infirmes ; il n’y avait pas d’hôpitaux ; et le cimetière même des Chrétiens, mal orienté, mal placé, entouré de constructions, encombré de tombes, devenait un danger de chaque jour pour la cité.

En moins de deux années, la situation avait changé entièrement ; les haines étaient apaisées, le calme fait dans les esprits ; il n’y avait plus qu’un seul troupeau sous un seul pasteur. Les vieillards avaient un abri, les enfants une école, les catholiques un culte assuré, les malades un palais.

l’archevêque de Carthage le cardinal Lavigerie
l’archevêque de Carthage le cardinal Lavigerie

Le Cardinal Lavigerie avait accompli ces prodiges. Il avait fait à lui seul pour la pacification de la Tunisie plus qu’une armée de 100,000 hommes, suivant l’énergique expression de Gambetta.

Mgr Lavigerie est un lettré distingué. Il est docteur ès-lettres, docteur en droit, docteur en théologie ; savant, il possède une vaste érudition qui l’avait fait nommer professeur à la Sorbonne où il a enseigné, pendant sept années consécutives, l’histoire ecclésiastique. Grand orateur, plusieurs de ses discours : l’Oraison funèbre du Pape Pie IX, le parallèle entre le maréchal Bugeaud et Lamoricière, sont dignes de Bossuet.

Le Cardinal est profond politique, et possède toutes les qualités qui font l’homme d’Etat ; mais il est avant tout missionnaire zélé, organisateur sûr et prompt.

En soixante jours il a élevé au milieu de la Ville française une cathédrale provisoire. Les premiers chants religieux qui retentirent sous la nef furent un Te Deum pour remercier ia Providence d’avoir préservé la reine Victoria de la balle d’un assassin. Le Gouvernement anglais et son ministre à Tunis, M. Read, furent sensibles à cette délicate attention du nouvel évêque, et les Maltais qui relèvent du Chargé d’Affaires de l’Angleterre furent dès lors réconciliés avec le Cardinal. Sa bonté, son éloquence, sa belle prestance, sa barbe vénérable, sa physionomie distinguée avaient changé leurs dispositions.

Ils le regardent aujourd’hui comme leur père, comme leur roi ; ils s’attellent à sa voiture aux grandes fêtes de l’année.

L’école qu’il a fait construire pour les fils des ouvriers siciliens dans leur quartier de Bab-Dzira, la chapelle qu’il a élevée pour eux, sous le vocable de Sainte-Lucie, la patronne de la Sicile, et qui est desservie par des prêtres de Païenne, ces diverses mesures intelligemment conçues, rapidement exécutées ont amené, elles aussi, les meilleurs résultats.

Les Arabes, également, qui n’ont pas oublié les services personnels que Mgr Lavigerie a rendus à leurs frères d’Algérie, dans la cruelle famine de 1867, admirent et respectent cette noble figure ; ils viennent, de fort loin, des limites du désert, saluer celui qu’ils appellent « leur grand Marabout ». Suivant les prévisions des Imans, prêtres musulmans de Tunis, tous les Chrétiens doivent aller, après la mort, « fiel koucha, dans le four, en enfer ». Ils font une exception : elle est en faveur de Son Eminence.

Le Cardinal Lavigerie a eu pour première pensée, en arrivant à Tunis, le développement de l’instruction.

Dans ce but, il a construit en plein quartier français, le beau Collège Saint Charles qui peut recevoir trois cents jeunes gens et qui est ouvert indistinctement à toutes les bourses, à tous les cultes, à toutes les religions. Là, plus de cent cinquante élèves Musulmans, Juifs, Protestants, Grecs schismatiques ou Chrétiens, apprennent, sous la direction de professeurs éclairés, la littérature et les sciences, notre langue et les belles pages de notre Histoire. Ils apprennent que notre pays est grand et généreux ; peu à peu, les préjugés s’affaiblissent, les préventions disparaissent et la haine du Français et du Chrétien tombe pour faire place à la reconnaissance et au respect.

Une école du même genre, pour les jeunes filles, est sous la direction des dames de Sion.

Des écoles gratuites, dirigées par les frères de la Doctrine chrétienne, ont été inaugurées dans la capitale et dans les villes de Sfax, Sousse, Méhédia, Byzérte et Béjà. Son œuvre de civilisation grandissant de proche en proche dans tous les principaux centres de la Régence y produit les meilleurs effets.

Pensant aux nécessiteux et aux infirmes, le Cardinal a fondé un asile pour les vieillards qui, autrefois, erraient dans la ville, pâles, exténués, grelottant en hiver, réduits à coucher sur la place publique et à mendier leur pain et qui, aujourd’hui, trouvent un abri assuré, une nourriture saine et les soins dévoués des admirables petites Sœurs des Pauvres.

Paul Cambon
Paul Cambon

Les malades, anciennement accumulés dans quelques chambres basses, étroites, privées d’air, sont maintenant soignés par les dames de Saint-Joseph, dans un vaste hôpital, bien aéré, ancienne caserne du Bey, mise à la disposition de Son Eminence, grâce à l’intervention de M. Cambon.

Un terrain, situé en dehors de la ville, clos, a été converti en cimetière et les sépultures des morts seront dorénavant entourées du calme et du recueillement nécessaires.

Les populations catholiques répandues dans la Régence étaient la plupart sans secours religieux. En quarante ans, on n’avait établi que sept paroisses. En deux années, le Cardinal en a fondé neuf autres : celles de Saint-Vincent de Paule à Tunis, Saint-Louis à Carthage, celles de la Marsa, l’ancienne Mégara, de Tabarca qui a gardé son nom primitif, illustre dans les annales de l’Église africaine, de Béjà, l’antique Vaga, de Hammamet et de Nabeul, de l’Enfida, de Gabès, l’ancienne Tacapae.

Ces paroisses ont été confiées, à défaut des Franciscains qui n’ont pu les accepter, faute de sujets, aux prêtres français qui remplissaient les fonctions d’aumôniers militaires.

Enfin, pour assurer le recrutement du clergé tunisien, un séminaire a été élevé à Carthage.

Voulant aussi que de grands travaux d’architecture brillassent aux yeux des Africains, par leurs belles lignes et leurs beaux marbres, le Cardinal a fait construire une Cathédrale à Carthage, en style Byzantin-Mauresque, où sont déjà en place 140 colonnes de carrare. Cette cathédrale a été édifiée en l’honneur de Saint-Louis, et aux frais de descendants de Croisés qui accompagnaient le pieux Monarque dans sa dernière guerre.

Près de cette basilique est le musée archéologique fondé par Beulé et qui chaque année augmente le nombre de ses pièces et de ses inscriptions, grâce aux labeurs et aux savantes recherches du R. Père Delattre, préposé par Mgr Lavigerie à ce travail. Le R. Père Delattre a relevé déjà plus de 1,500 inscriptions dans le cimetière des esclaves de Carthage.

Pour toutes ces fondations, pour toutes ces constructions, pour l’entretien d’un pareil personnel, il faut beaucoup d’argent. Les revenus dont dispose le Cardinal étant très limités, il a recours à la charité pour plus des trois quarts de ses dépenses.

Mettant en pratique le principe de Fénelon, qu’un évêque doit être sans argent et sans dettes, il ne craint pas, malgré ses soixante-deux hivers, de quitter la crosse de l’évêque pour le bâton du quêteur à l’effet de ne rien laisser en souffrance et de ne laisser péricliter aucune de ses institutions charitables, patriotiques et religieuses.

Les secours lui viennent d’ailleurs de bien des camps. Un jour, un officier fit demander à l’aimable et digne curé de Tunis, M. Casagnol, l’œuvre que Son Eminence considérait comme la plus urgente à fonder. Une école pour les Maltais ; lui fut-il répondu. Et le lendemain, l’officier faisait parvenir dix mille francs discrètement sur la table du Cardinal.

Les anecdotes de la charité sont toujours touchantes. J’en citerai une autre. Un homme de lettres distingué qui visitait récemment la Tunisie dans la pensée d’aider au développement de l’instruction, vint un jour communiquer au Cardinal ses pensées : « Je suis proteste tant, dit-il, mais je suis Français. Je vois que ce qu’il faut surtout ici, ce sont des écoles, et pour le moment, eu égard à la disposition des esprits, des écoles religieuses. Pour preuve de ma conviction, je vous demande de vouloir bien accepter une subvention annuelle de deux mille francs pour la fondation d’une école de Sœurs françaises dans une ville où il ne s’en trouve point ».

En même temps que le Cardinal fonde, construit, répare, organise, enseigne dans toute la Tunisie, il établit des Missions dans l’Afrique équatoriale, dans le Sahara, pour ramener au Catholicisme, sans violence et sans efforts, par l’instruction et par la charité, les populations musulmanes des Mzabs et des Touaregs, pour la plupart monogames, autrefois chrétiennes[1].

Ce vaste pays de l’Afrique équatoriale au Sud du Soudan, qui a été découvert par Livingstone et Stanley, sain en général, grâce à la présence de grands lacs et de hautes montagnes, habité par des nègres, possède aujourd’hui quatre missions chrétiennes florissantes aux lacs Nyanza et Tanganika, aux sources du Congo et du Zambèze.

En même temps que les Églises réformées de Londres et de New-York envoyaient leurs prêtres dans ces contrées, et assuraient leur entretien au moyen de subventions annuelles de plus de cinq millions de francs; le cardinal Lavigerie, dont les ressources étaient plus que modestes, envoyait aussi ses Pères Blancs d’Alger, Français, dans le but d’arrêter l’esclavage, d’entraver l’action musulmane qui y gagne chaque année du terrain, de soigner les malades, d’enseigner les enfants et d’apprendre à ces populations ignorantes, idolâtres, fanatiques, à aimer Dieu et la France.

Les missionnaires d’Alger s’y rendent chaque année avec l’enthousiasme des héros chrétiens ; préférant l’eau au vin, la bure au drap fin, la souffrance à la joie, ils y perdent souvent la vie ou la santé ; mais ils trouvent toujours de généreux remplaçants prêts comme eux à signer à chaque instant le bon du martyre, pour remplir avec le même dévouement et le même zèle leur œuvre de foi.

Toutes ces missions organisées dans le Sahara, le Soudan, l’Afrique équatoriale, toutes ces œuvres charitables établies en Algérie et Tunisie, toutes ces écoles fondées dans l’Afrique musulmane et idolâtre, tous ces travaux exécutés en vue de la religion, de la civilisation, de la France, méritent bien déjà à son Eminence le Cardinal Lavigerie, primat d’Afrique, archevêque d’Alger et de Tunis, le titre de « Grand Français d’Afrique » que lui décernera un jour l’histoire.

Ludovic Campou – Paris, 20 mai 1887.
DU MÊME AUTEUR : “Un Empire qui croule” (le Maroc contemporain) 1886.

[1] « Au moment de l’invasion musulmane en Afrique un grand nombre de familles chrétiennes furent transportées de force dans le fond de l’Arabie. Tout le reste fut obligé d’abandonner aux Musulmans vainqueurs les plaines et les vallées et de se réfugier, pour éviter la mort, dans les gorges les plus incultes de l’Atlas ou au-delà des dunes de sable, dans les oasis du désert.

Dans les montagnes du littoral, ces anciens maîtres de l’Afrique prirent peu à peu le nom de Kabyles ; dans les oasis du désert, ils se nommèrent Mzabites et Touaregs ; mais les uns et les autres conservèrent leur langue nationale (le Berbère), leur tradition civile, et durant des siècles entiers, leur ancienne religion.

Quatorze fois, au dire de l’historien arabe Ebn Khaldoun, on contraignit les indigènes à l’apostasie ; quatorze fois ils redevinrent chrétiens, jusqu’à ce qu’enfin, le sacerdoce ayant été détruit peu à peu, le culte catholique ne pût se maintenir.

Il est certain que les Kabyles avaient encore des évêques au XIe siècle. Depuis ce temps, nous n’avons sur l’existence de l’Église dans ce pays, que des notions confuses. Nous savons seulement qu’entourés de Musulmans fanatiques, persécutés ouvertement par eux, les Chrétiens indigènes perdirent leurs évêques et leurs prêtres, et que vaincus eux-mêmes par les menaces, entraînés par l’ignorance et par la séduction, ils embrassèrent insensiblement le Mahométisme. Après le XIVe siècle, il n’est plus fait mention, par aucun des historiens ou voyageurs arabes qui parlent de l’Afrique du Nord, de l’existence de communautés chrétiennes dans ce pays ». Monseigneur Lavigerie. Lettre sur la Mission du Sahara. Œuvres choisies. Pous-sielgue 1884.

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