Au Pays des Orangers : Hammamet & Nabeul en 1930

  • 15 janvier 2019
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Au Pays des Orangers : Hammamet & Nabeul
15 Jan

La mythologie nous enseigne que les nymphes Hespérides habitaient à l’extrémité (le la terre une île embaumée dont les jardins merveilleux étaient plantés d’arbres produisant des pommes d’or.

Les îles des Hespérides sont devenues depuis synonyme de la patrie des orangers et, dans la Provence, on donne encore harmonieusement le nom de pommes d’or aux oranges de la région. Le voyageur qui débarque dans la presqu’île du Cap Bon, à l’ouest de Tunis, croit vraiment être transporté dans l’immense jardin dont nous parle la légende, pour peu qu’il dirige ses pas le long de la côte en partant d’Hammamet pour remonter vers Nabeul, Korba et Kélibia.

Quel admirable Éden, quel vaste jardin oriental que ce curieux promontoire qui s’avance sur la mer Méditerranée comme un débarcadère et qui, jadis, fut la grande route d’accès des conquérants de l’Afrique du Nord.

L’histoire nous apprend en effet que les premiers envahisseurs, Agathocle, Régulus, Scipion débarquèrent dans la petite baie abritée des vents du large et située au sud-ouest du Cap Bon.

Bastion avancé sur sine mer souvent déchaînée, en raison des vents d’Ouest et du Nord qui y soufflent toute l’année, le Cap Bon «pro montorium Pulchri» est en réalité le cap des tempêtes et les anciens lui ont donné ce nom sympathique par antiphrase, pour se concilier les génies malfaisants fréquentant cette jointe funeste que n’éclairait jadis aucun feu.

Aujourd’hui, elle est dominée par un phare puissant qui jette ses feux intermittents à une grande distance en mer, pour avertir les marins du danger des écueils environnants. Dès qu’on pénètre dans l’intérieur des terres, on est émerveillé de la fécondité du sol qui ne demande à l’homme qu’un faible effort pour lui apporter toute une richesse.

C’est dans la partie sud-est de la presqu’île, abritée des vents du Nord, que l’on trouve les vergers les plus réputés, les jardins enchanteurs où l’hiver la température est d’une douceur exquise. Mollement couchée au bord du golfe qui porte son nom, Hammamet, la ville des colombes, étend la blancheur de ses petites maisons entourées de verdure jusqu’au bord des flots bleus et calmes de la Méditerranée.

Ce qui reste de la vieille ville entourée de hautes murailles se réfugie au pied de la massive forteresse contemporaine des corsaires de Dragut. C’est un ensemble imposant de bastions, chemins de ronde, de tours de garde, aux créneaux jadis encombrés de mortiers et de couleuvrines, mais qui sont aujourd’hui pacifiquement envahis par les herbes ; toute cette masse de murailles sombres baigne ses fondations dans la mer immense et bleue.

Du sommet de la tour on jouit d’un panorama splendide sur le golfe d’Hammamet ; c’est presque un tour d’horizon complet d’où l’on aperçoit la masse déchiquetée du Djebel Zaghouan, à 50 kilomètres à vol d’oiseau.

En se dirigeant vers le Nord de la côte, on gagne Nabeul, dont le nom dérive de celui de l’antique cité Néapolis, laquelle dort maintenant d’un sommeil éternel, enfouie sous les eaux. Nabeul, ville des parfums, petite cité industrielle pour la poterie et les nattes, est aussi le centre d’une florissante région où abondent les orangers, les mandariniers et les citronniers.

La superficie globale de tous ces vergers dépasse 250 hectares avec plus de 150.000 pieds d’arbres de toutes espèces. On en compte cinq principales pour les orangers qui produisent les fruits si appréciés de tous les gourmets : les oranges douces (meski) que préfèrent de beaucoup les indigènes, les acides (chroubo), les maltaises, les sanguines (lsen asfour), les doubles des Beys (blidahi). Les arbres rapportent vers leur quatrième année environ.

La vente de ces fruits, dont une grande partie est exportée en France, en Italie, rapporte annuellement dans cette région près de 3 millions de francs. Mais ce ne sont pas les seuls orangers qui ‘peuplent ces vergers merveilleux ; on y trouve les grenadiers, les mandariniers, les figuiers et surtout les abricotiers.

Enfin, et ce produit est essentiellement propre au pays, le piment est cultivé dans toute la région ; on le vend séché, en chapelet ; leur couleur rouge écarlate tranche d’une façon crue sur la blancheur des terrasses où il sèche au grand soleil de l’hiver et cette parure de guirlandes rouges, sur les maisons indigènes, jette une gamme de tons violemment opposés qui font la joie des peintres.

Nabeul est aussi avec Djerba le principal centre de la poterie indigène ; cela tient à la qualité particulière de l’argile extraite d’une carrière située à trois kilomètres de la ville. Les artisans utilisent encore les procédés antiques ; l’argile est pétrie aux pieds, puis é la main sur une dalle, pour former une belle pâte luisante que l’on met sur le tour. Encore bien primitif ce tour composé de deux disques reliés par une tige en bois reposant sur le sol.

Le potier imprime avec son pied un mouvement de rotation au disque du bas qui fait tourner celui du haut sur lequel repose la tige ; autour de cette tige la niasse d’argile informe, serrée entre les doigts humides de l’artisan, prend en un instant les formes les plus variées depuis la gargoulette au col étroit et fragile, jusqu’à l’amphore à la panse rebondie.

C’est un curieux spectacle auquel ne manquent pas d’assister les touristes en excursion à Nabeul ; la poterie séchée est cuite au four ou émaillée d’un vernis jaune et ornée de dessins géométriques. A côté des poteries indigènes, se sont installés des établissements français qui apportent à leurs produits un cachet infiniment artistique.

Nabeul est le grand centre de production des nattes fabriquées avec des joncs que l’on cueille dans les marais (sebkas) avoisinant la côte. Tout un petit monde arabe, habitant un quartier séparé, vit de cette fabrication qui occupe plus de 80 métiers ; outre les nattes, les ouvriers confectionnent aussi des étuis à cigarettes, des cartables pour écoliers, de petits paniers, tous menus objets que les étrangers achètent volontiers.

Enfin, la distillerie des fleurs d’orangers occupe un grand nombre de familles et les parfums, quoique fabriqués d’une façon très rudimentaire, sont appréciés de la population féminine de la Régence ; niais on exporte surtout le néerolé, essence extraite de la fleur du bigaradier, qui est utilisé par les usines de Grasse pour la fabrication de nombreux parfums.

Source : BULLETIN MENSUEL DE L’OFFICE DU PROTECTORAT FRANÇAIS EN TUNISIE – Novembre 1930

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