Noms de familles des israélites tunisiens

  • 29 décembre 2020
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Juifs de Tunisie à la synagogue de Djerba

DEUXIÈME PARTIE

Nous venons d’assister (tout le long de la Ière partie de ce livre) à la formation du judaïsme tunisien. Nous venons de voir se constituer peu à peu cette grande agglomération, au moyen d’émigrations successives. L’édifice s’est constitué par des couches d’origines diverses, venant se superposer les unes aux autres. Résumons ces diverses émigrations.

Sans nous arrêter plus que de raison aux Juifs de la Carthage punique, aux voyageurs Zabulonites ni à l’émigration problématique venue à la suite du pharaon Tahraka, nous trouvons une première émigration lente, venue d’Egypte à travers la Cyrénaïque, et dépendant par conséquent du groupe juif alexandrin de la secte d’Onias. La seconde émigration est amenée de force par les Romains lors de la prise de Jérusalem par Titus et de la destruction du second temple ; la troisième, originaire de l’Arabie, est venue en Tunisie à la suite des conquérants musulmans.

Puis les émigrations en masse s’arrêtent pendant plus de huit cents ans et le judaïsme tunisien se développe peu à peu, et acquiert son individualité et son caractère original. Plus tard une quatrième émigration est fournie par l’Espagne, à la suite de l’exil des Juifs de ce pays en 1492 ; puis une cinquième, plus lente mais au moins aussi considérable, venue en dernier lieu de l’Italie, mais où elle n’était, en grande partie, que de passage, depuis que les Israélites d’Espagne, et surtout ceux du Portugal, avaient été contraints de quitter leur pays et de chercher un refuge auprès des nations plus tolérantes.

A côté de ces émigrations en masse, viennent s’en infiltrer d’autres, peu nombreuses, il est vrai, et très lentes, mais incessantes, et qui sont encore parfaitement reconnaissables. Ces émigrés viennent d’Algérie, de Tripolitaine, d’Égypte, de tous les pays enfin ; ils s’établissent en Tunisie d’abord à titre d’étrangers, se fixent ensuite peu à peu dans le pays et finissent par se fondre dans le groupe général. Ajoutons enfin les deux petites émigrations italiennes, l’une lors de l’expulsion des Juifs de Sicile, au XIIIe siècle, et l’autre lors de leur expulsion du royaume de Naples, en 1745.

Malgré la fusion infime qui s’est effectuée entre les divers éléments dont se compose la population juive tunisienne, il est encore possible de découvrir parmi eux, sinon le type primitif de chacun de ces groupes, du moins un type général formé par les trois premières émigrations venues d’Orient. Les dernières, beaucoup plus récentes, venues d’Occident, n’ont pas encore eu le temps de se fondre avec les autres, de s’y confondre, et de donner naissance à un type spécial. Les éléments de ces dernières émigrations sont parfaitement reconnaissables.

Il n’est pas difficile, en effet, de distinguer, dans l’élément juif de Tunisie, deux types parfaitement caractéristiques et nettement distincts. Tandis que les Juifs provenant des émigrations d’Occident ont la même physionomie que leurs coreligionnaires du bassin méditerranéen, Français, Italiens ou Levantins, ceux dont l’origine est une des émigrations orientales ont un type absolument différent ; le nez, la bouche, les lèvres ont une autre forme ; le front est plus bas et moins bombé, les yeux plus ronds et plus ardents, la figure moins ovale.

La différence est encore sensible au point de vue psychologique. La tournure d’esprit et les dispositions naturelles, dont la ressemblance est si frappante entre les Juifs d’Orient, ceux d’Italie, du midi de la France et du nord du Maroc, ne sont plus les mêmes en Tunisie, chez les Israélites d’origine égyptienne, palestinienne ou arabique. Ceux-ci ont d’autres mœurs, d’autres usages, d’autres manières de vivre, de penser et déjuger ; et ces différences se remarquent parfaitement, malgré les fusions inévitables entre ces deux éléments, maigre la confusion de mœurs et de coutumes que peuvent produire quatre cents ans de vie, d’affaires, de souffrances et d’efforts communs.

Nous avons d’ailleurs un instrument bien plus précis pour distinguer d’une façon relativement exacte les traces de ces diverses émigrations ; ce sont les noms de famille.

On sait que primitivement les Israélites n’avaient, pas plus que les musulmans encore de nos jours, point de noms de famille, et que chacun était désigné par la dénomination de « un tel, fils d’un tel, » sauf à nommer trois ou quatre ascendants, en cas de similitude de noms. Tel était l’état des Israélites de Palestine, lorsqu’ils formaient un corps de nation. Mais alors il n’existait pour ainsi dire pas une liste fixe de noms propres individuels, et chacun, en naissant, recevait un nom spécial rappelant une circonstance quelconque.

C’est sans doute comme signe de ralliement et de reconnaissance entre eux, qu’après la destruction du temple de Jérusalem les Israélites s’en tinrent presque exclusivement aux noms bibliques ou talmudiques, et comme le choix n’en est pas bien varié, la nécessité s’imposa de créer des noms de famille. Il existe cependant encore actuellement des groupes d’Israélites (désignés en Orient sous le nom de Calabrais) qui s’en sont tenus à l’usage ancien et qui ne se sont pas encore conformés à l’usage général. Or ces noms de famille sont souvent un véritable certificat d’origine, et l’élude des mois qui les forment indique jusqu’à un certain point la provenance de la famille.

Un examen attentif des noms familiaux des Israélites tunisiens confirme ce que les données historiques nous ont permis de déterminer. Nous voyons en effet les familles les plus anciennes du pays porter des noms dont la signification est inconnue et dont l’origine pourrait être cherchée dans les langues berbère ou copie[1], ou bien ces noms ont été tellement corrompus et défigurés par le temps qu’il devient impossible d’y trouver une signification. Nous trouvons ensuite des noms bibliques, tels qu’on les trouve en Palestine, et d’autres, hébreux ou arabes, rappelant, soit un métier, exercé sans doute par des ancêtres, soit une particularité physique ou morale dont on se servait pour distinguer les premiers qui les portèrent.

Nous rencontrons plus lard des noms dont l’origine espagnole est indubitable, et enfin, parmi les derniers venus, des noms principalement portugais, dont l’orthographe a été légèrement modifiée à la suite d’un séjour plus ou moins long en Italie. Au milieu de foutes ces grandes divisions, viennent se placer des noms indiquant des pays d’origine, et qui dénotent, non une émigration nombreuse et en masse, mais des arrivages isolés et individuels.

Voici d’ailleurs une liste à peu près complète des noms de famille des Israélites de Tunisie, groupés par catégories se reportant aux divisions que nous venons de tracer :

1° Noms dont le sens est perdu. — Adda, Allal, Ankri, Arich. Assous, Atto, Alton, Bedoussa, Bessis, Beziz, Bismouth, Cacoub, Cohen-Codar, Didi, Douib, Fillouz, Fitoussi, Fregoua, Gabizon, Gandous, Ghaloula, Ghanem, Gouetta, Guez, Halimi, Hori, Jami, Jarmon, Jouari, Jouili, Koschkasch (vulg. Coscas), Ktorza, Lellouch, Mazouz, Melloul, Memmi, Mesgheni, Messas, Messica, Mettodi, Nataf, Roan, Sagron, Sberro, Schelli, Schemmama (vulg* Schmama ou Samama), Serour, Seroussi, Sfez, Sinouf, Setbon, Sis, Sitrouk, Slakhmon, Smaja, Smila, Stioui, Souid, Tartour, Temsit, Toubiana, Younès, Zagdon, Zagron, Zemagi, Zerafa, Zert, Zerouk, Zetlaoui, Zimour.

2° Noms bibliques ou palestiniens. — Abizerah, Abrahami (vulg. Brami), Amram, Azaria (où Azria), Barouh, Ben-Ezra, Ben-Ribbi, Ben-Rouben, Ben-Sasson, Ben-Simon, Beraha, Carmi, Cohen-Yonatan, Goziel, Guedalia, Jahia (vulg. Jacchia), Israël, Maïmon, Nahoum, Nehamia (ou Nahmias), Obadia, Rouben, Schealtiel, Schalom, Semah, Simeoni, Soussan, Zeevi.

3° Noms de métiers.A. En hébreu ou en chaldaïque.Edan, Hayat, Hazan, Hozè, Saban, Sehekli, Schemla, Sofer, Yadan.

B. En arabe.Ammar, Allal, Bahamni, Baranès, Ben-Attar, Dahan (ou Ben Dahan), Berdà, Bitan, Cahloul, Casbi (ou Cassabi), Cohen-Ganouna, Dahbi, Doukhan, Flah, Haddad, Hadida, Haouani, Hattab, Jaoui, (Ben-Jaoui ou Bijaoui), Kabla, Khallaf, Lahmi, Nakasch, Nijar (ou Najar), Ouakil, Raccah, Sebag, Sefar, Taïeb, Tebika, Touma, Troujeman, Zafrani, Zarka, Zeïtoun.

4° Noms provenant d’une particularité quelconque. A. En hébreu ou en chaldaïque.Aloul, Açour, Assal, Attia, Baadasch, Catan, Cohen-Scholal (vulg. Solal), Corcos, Dana, Danan (ou Ben-Danan), Daninos, Darmon, Darmoni, Dayan, Debasch, Habib, Harari, Hassid, Hayon, Hobani, Lischa (ou Ben-Lischa), Mahadar, Naaman, Naïm, Riaïhi, Saddik, Temam, Temim, Tibi, Tobi, Yarouch, Zaken, Zarhi, Zerah.

B. Arabe. — Abou-Derham, Allouch, Arki, Beïda, Belaïsch, Belladina, Bellaham, Bellahsen, Benaïnouch, Boubli, Bounan (vulg. Bonan), Boudjenah, Bouhobza, Bourgel, Cohen-Hadria, Cohen-Zerdi, Dekiar, Demri, Dreï, Elladaoui, Farjon, Ghozlan, Hababo, Haccon, Haddouk, Haïck, Halfon, Halifi, Hamami, Hassan, Khrif, Maarek, Marzouk, Moa…i, Mouli, Saada, Saadon, Sahal, Sahala, Sellam, Slama, Tahar, Touil, Yaïsch (ou Benyaïsch).

5° Noms étrangers.A. Espagnols. — Azulaï, Baron et Benbaron, Bueno, Castro, Cohen de Lara, Cohen -Rosa, Costa, Franco, Gateño, Henri-quez, Herrera, Hombres, Levy de Léon, Mamo (pour Mi amo), Medina, Mosnino, Niños, Nuñès, Osuna, Pariente, Paz, Perez[2], Sierra, Silvera, Sonsino, Soria, Tapia, Valensi, Vergas.

B. Portugais.Cardozo, Guttierez, Lumbrozo, Mendoza, Minhos, Spinoza.

C. Italiens.Ben-Nero, Cariglio, Cesana, Eminente, Finzi, Forti, Funaro, Giorno, Lazzaro, Mali, Mani, Montefiori, Nini, Ortona, Pensier, Procaccia, Sinigaglia, Sonnino.

D. Arabes, Grecs, etc.— Abbou, Benmoussa, Calô, Fouad, Gheni, Rechid, Vais (pour Weiss), Zana.

6° Noms indiquant les pays d’origine.Abi-Teboul (vulg. Abitbol ou Botbol), Annabi (ou Ounnabi), Benzerti, Boccara, Cohen-Boulakia, Cohen-Tanugi, Constantini, Djerbi, Efrati, Eschkenazi, Fiorentino, Hagège, Kafi, Kesraoui, Marouani, Meghedès, Ouzan, Sarfali, Schraïk Stambouli, Yerouschalmi, Zagouani, Zergani[3].

Cette longue nomenclature nous montre, avec assez de précision, les diverses souches qui ont successivement formé le grand noyau du judaïsme tunisien. Chacun de ces éléments a apporté sa pierre dans l’édifice commun. Nous avons vu, au début de l’ère vulgaire, les Juifs de Tunisie connaissant fort peu la religion de leurs pères, y ayant même introduit des modifications puisées aux usages des peuples environnants, et ignorant d’une manière absolue les prescriptions et peut être l’existence même de la loi orale.

Peu à peu, de nouveaux éléments viennent se juxtaposer aux anciens, des relations s’établissent entre les Juifs de Tunisie et ceux des autres pays, principalement les chefs des écoles de Syrie ; les connaissances augmentent, au point que les Juifs de Tunis, dont Maïmonide constatait, au XIIe siècle, l’ignorance absolue en matière talmudique, formaient, au XVIIe une communauté réputée pour sa grande science (…) et où, à la fin du XVIIIe siècle, le rabbin Azoulaï trouvait plus de trois cents rabbins dont il loue la science.


[1] Ce n’est pas ici le lieu d’examiner les rapports intimes qui existent entre ces deux langues. Rappelons seulement en passant que des savants éminents ont classé la langue berbère dans la même famille que le copte et l’ancien égyptien.

[2] Lis deux noms Castro et Perez, bien que le dernier d’origine hébraïque et le premier de source grecque, sont tellement fréquents en Espagne, même parmi la population chrétienne, qu’on peut assurer que les familles qui les portent sont de provenance de la Péninsule ibérique.

[3] À tous ces noms il faut ajouter ceux de Cohen et de Lévy, très fréquents à toutes les époques et dans tous les groupes Israélites, et qui ne peuvent fournir aucune indication spéciale au point de vue de l’origine des familles qui les portent.

Extrait du livre: “Essai sur l’histoire des Israélites de Tunisie depuis les temps les plus reculés jusqu’à l’établissement du protectorat de la France en Tunisie”. Auteur : David Cazès (1851-1913). Éditeur : A. Durlacher (Paris). Date d’édition : 1887

La sympathie des israélites de Tunisie envers le “protectorat” français

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