L’encadrement de la pratique religieuse donne lieu à trois formes associatives. Au niveau local d’abord, le paysage associatif se tisse au croisement d’une identité religieuse et d’une multiplicité d’autres identifications, tout en s’inscrivant dans différents domaines d’action sociale (I—1). A partir de l’hétérogénéité de ces organisations au niveau local, deux modes de regroupement sont observés.
Premièrement, certaines associations locales prennent l’initiative ou sont priées de rejoindre des organisations centrales qui regroupent des associations d’un même pays d’origine et dispensent des services à leurs membres (envoi d’imams, aide à l’élaboration des statuts, à la gestion des questions administratives ou à l’organisation de l’enseignement) (I—2).
Deuxièmement, au niveau cantonal, la diversité des buts associatifs et des responsables issus des associations locales rend improbable une dynamique de regroupement endogène. Ce n’est que dans les cantons où les pouvoirs publics et les acteurs interreligieux aspirent à canaliser la discussion autour des enjeux liés à la pratique religieuse qu’émergent des regroupements cantonaux qui donnent véritablement lieu à des actions conjointes entre associations locales (I—3).
La diversité des associations au niveau local
Une véritable mosaïque culturelle et nationale s’observe au niveau local. Elle se compose de groupes qui rassemblent des individus nés suisses ou arrivés dans la Confédération par vagues d’immigration ou d’exil, en quête d’un avenir meilleur, fuyant la misère, la guerre, ou la persécution dont ils ont fait l’objet au nom de leur appartenance ethnique, de leur engagement de gauche, « islamiste », ou « anti-islamiste ». A partir de là, les identifications et les préoccupations de ceux qui créent une association ou une fondation sont plurielles. Certaines se fondent autour d’une origine nationale commune pour préserver leur culture et s’intégrer, d’autres sont marquées par des différenciations dogmatiques ou politiques. Par ailleurs, des regroupements émergent sur la base d’une différenciation en termes de génération ou de genre, élargissant dans un même mouvement le champ d’action sociale des associations.
Préserver ses origines culturelles et s’intégrer
Depuis la fondation du premier centre islamique de Suisse, en 1961 à Genève, qui rassemble des musulmans d’origines nationales multiples, deux principaux moments et types d’immigration sont le moteur de la création des associations. Dans les années 1970, arrive une première immigration de travail, à dominante turque et albanaise dans les cantons de Bâle et du Tessin. Ensuite, une immigration due à la guerre et à l’éclatement de la Yougoslavie s’établit au début des années 1990 et 2000. Elle se compose de réfugiés bosniaques, albanais et macédoniens.
Préserver les origines culturelles de leurs membres tout en veillant à leur intégration est l’enjeu qui sous-tend la constitution d’organisations rassemblant des musulmans autour d’une origine nationale commune. Par delà la pratique religieuse, celles-ci se caractérisent par des objectifs « culturels »[1] : parler la même langue, vivre l’Islam tel qu’il a été réapproprié et vécu dans le pays d’origine, transmettre cette partie de l’identité à ses enfants, entretenir des liens de sociabilité imprégnés d’une mémoire, d’un destin et d’un horizon plus ou moins partagés.
Les soucis de transmission de la culture d’origine et d’entre-soi s’enchevêtrent avec une volonté d’ancrage dans la société helvétique et d’accompagnement des adhérents dans l’approfondissement de leur intégration. Ainsi, ces associations font souvent une référence explicite à la Suisse dans leur nom même. Elles se déclarent de Suisse, de Bâle, de Genève ou du Tessin et marient symboliquement leur pays d’origine à leur terre d’accueil. Sur un autre plan, leur émergence incarne un processus d’acculturation aux répertoires disponibles en Suisse. Des responsables associatifs invoquent le modèle d’organisation des premiers immigrés de travail en Suisse (Italiens, Espagnols, Portugais, Yougoslaves, etc.) qui ont fondé des cercles de sociabilité, où ils se rendaient avant de disposer eux-mêmes d’un espace. D’autres se sont inspirés de l’exemple des premières générations d’associations initiées par des musulmans. Pour établir leurs statuts, tous ont sollicité l’aide et les conseils de personnes informées au sein de leur entourage.
Des liens différenciés avec le pays d’origine
Des différenciations importées des pays et régions d’origine contribuent à la diversification du paysage associatif musulman local. C’est le cas d’associations turques qui voient le jour entre 1972 et 2004 dans les aires cantonales bâloise et tessinoise, en lien avec les luttes politiques qui se déroulent en Turquie. Elles se consacrent toutes à l’organisation des pratiques religieuses collectives, notamment des cours coraniques pour les enfants, la prière, ou encore la rupture du jeûne durant le mois de Ramadan. Toutefois, les désaccords et tensions politiques, reflétant ceux de l’espace national d’émigration, entraveraient le partage d’une même association.
A Bâle, où la population d’origine turque est particulièrement nombreuse, deux principales lignes de division sont observées. La première fait écho à la lutte pour la production du sens islamique en Turquie ; elle distingue ceux qui acceptent le contrôle exercé par les autorités religieuses turques de ceux qui le refusent.
Ainsi, des associations se rattachent à la Diyanet, Direction des affaires religieuses de la Turquie, qui encadre et contrôle à travers des organes consulaires les activités associatives de ses ressortissants dans les pays d’immigration et salarie des imams formés en Turquie. En revanche, une association se rallie à une faîtière en Suisse, proche du Mili Görüs(La voie nationale religieuse), une organisation islamique créée en Allemagne par l’ancien premier ministre turc Neçmettin Erbakan. La deuxième ligne de fracture sépare les sympathisants avec la cause kurde, de ceux qui se reconnaissent davantage dans le nationalisme turc.
Enfin, des regroupements de « jeunes » aspirent à créer un espace « neutre et moderne », à distance aussi bien des conflits politiques turcs que des organisations centrales qui coordonnent l’Islam turc en Suisse.
Des différenciations dogmatiques
Des associations se constituent sur la base d’une différenciation d’ordre dogmatique. A Genève, une association shiite se crée aux côtés d’une majorité d’associations sunnites qui, l’une comme les autres, se réclament de l’Islam .
A Bâle, les associations alévies[2] se sont constituées en marge des associations musulmanes. Ce processus de distinction est fondé sur une mise en avant par les présidents des associations alévies de leur distance à l’égard des pratiques religieuses stigmatisées qui caractériseraient « les musulmans ». Le port du foulard et la construction de mosquées sont notamment invoqués. Cette distanciation est objectivée par les autorités publiques qui ont accordé une reconnaissance cantonale à la « communauté alévie », une première occurrence pour une communauté non-chrétienne et non-juive en Suisse. Cet événement a été salué comme un geste de reconnaissance du « rôle positif joué par la communauté alévie à Bâle »[3] par le président de l’une des associations. Il entérine ainsi la distinction entre associations alévies, bénéficiant d’une validation symbolique[4] par la société majoritaire, et associations sunnites, qui ne seraient pas encore suffisamment « intégrées » pour en bénéficier.
Les schismes dans l’Islam
Suite à l’assassinat en 656 de Othman, troisième calife, et de la bataille de Siffin en 657 se produit le premier grand schisme de l’Islam à l’origine de l’apparition de trois grandes branches. Les partisans de Ali, cousin et gendre du Prophète Mohammed (époux de Fatima, père des deux petits-fils du prophète, Hussein et Hassan, imams du chiisme) considèrent alors que la succession doit revenir aux descendants du prophète ou aux membres de Ahl al-Bayt (gens de la maison du prophète).
Les sunnites élargissent le cercle de l’éligibilité aux membres de la tribu du Prophète (les Quraychites) et se réclament de la tradition (sunna) du prophète. Quant aux kharijites, ce sont les partisans de Ali qui refusent l’arbitrage qui suit la bataille de Siffin (qui oppose Ali à Mouawiya, gouverneur de Damas et parent de Othman), affirmant qu’ « il n’y a de jugement que celui de Dieu » et considérant que n’importe quel musulman, digne et apte, peut être élu calife, « même un esclave noir ». A partir de là, se développent trois conceptions du califat, trois traditions théologiques, et des fondements différenciés du droit islamique et de son application. Actuellement, l’on évalue que les musulmans sont à 84 % des sunnites, à 15 % des chiites (majoritaires en Irak, en Iran, au Liban, nombreux dans les pays du Golfe) et 1 % de kharijites (Afrique du Nord au Mzab et dans l’île de Djerba, sultanat d’Oman).
A côté de ces schismes liés à la bataille de Siffin, se développent des groupes hétérodoxes et syncrétiques. Les ghulât, « ceux qui exagèrent le culte de Ali », vénèrent une trinité composée de Dieu, de Muhhamad et de Ali. Aux yeux des musulmans sunnites, chiites et kharajites, les ghulât ignorent les fondements de l’Islam , à commencer par le principe d’unicité divine. Ces groupes ont souvent été persécutés.
Considérés comme des ghulât, les alévis sont imprégnés par les traditions mystiques. Ils vivent majoritairement dans les zones rurales d’Anatolie et représentent entre 12 et 15 millions d’individus en Turquie[5].
Le paysage associatif musulman local est sous-tendu par la diversité des identifications nationales, mais aussi des identifications d’ordre politique ou dogmatique. Cependant, dans la plupart des cas, les objectifs et les activités demeurent similaires ; ils sont toujours guidés par une volonté d’organiser la pratique religieuse collective et de transmettre la culture d’origine. Par delà la référence aux origines culturelles et nationales, aux liens différenciés avec le pays d’origine, ou aux particularités dogmatiques, des groupes se créent sur la base d’une identification générationnelle et de genre.
Différenciation générationnelle
Des groupes de jeunes sont mis en place par des associations. Ils ne sont pas constitués par les jeunes, mais pour les jeunes (14-20 ans) dans le but de prévenir les comportements « déviants » et de favoriser leur « intégration ». A l’instar de plusieurs responsables associatifs, le président d’une association de Bâle explique qu’à travers le groupe de « jeunes » , il s’agit de : ramener les jeunes de la rue, afin qu’ils ne consomment pas d’alcool, ou de drogue, et qu’ils soient plus adaptés à la société, qu’ils puissent mener de meilleures activités dans la société… L’un aide à nettoyer, l’autre aide à bouillir du thé ou à le distribuer[…]. Les jeunes qui sont ici sont conscients que c’est pour les jeunes et ils essayent de faire quelque chose pour ceux qui sont encore plus jeunes. (Entretien, président associatif, 7.04. 2008, Bâle).
Parallèlement, une forme d’autonomisation s’observe par rapport aux organisations précédemment fréquentées : des associations se créent autour d’une identification générationnelle. Certaines sont constituées par des célibataires qui sortent de l’adolescence et qui aspirent à ne plus dépendre des activités organisées, pour eux, par des adultes. D’autres sont fondées par des trentenaires mariés qui s’identifient à la « deuxième génération », scolarisée en Suisse et qui aurait pour volonté de rompre avec les divisions liées aux pays d’origine qui caractériseraient la « première génération ». L’identification à la catégorie « jeunes »est ainsi sous-tendue par une opposition entre « première » et « deuxième » génération.
Dans les deux cas, le champ des activités proposées aux membres s’élargit : cours de natation, camps de ski, ouverture de crèches et le public se définit autour d’une identité « multikulti ». Le but est de réunir des « deuxièmes générations » de « toutes les origines nationales » et quelles que soient les « options » politiques.
Différenciation de genre
Dans le giron de plusieurs organisations, des groupes de femmes se réunissent de manière informelle ou structurée, selon une division sexuée des tâches et des activités. Les adhérentes offrent des enseignements religieux et linguistiques (langues du pays d’accueil) aux femmes nouvellement immigrées, de même qu’elles se chargent de cours d’arabe ou de la langue du pays d’origine, destinés aux enfants nés en Suisse. Dans les associations de la « seconde génération », les groupes de femmes sont également multiculturels ; ils regroupent des femmes d’origine tunisienne, algérienne, bosniaque, ou encore des Suisses des Françaises ou des Italiennes converties, « voilées ou non ».Elles organisent des activités, souvent sportives, entre elles et pour elles.
Ce panorama donne à voir à quel point les associations qui regroupent des musulmans recouvrent des investissements variés, y compris profanes. Le foisonnement de la vie associative locale ne résulte pas uniquement du processus de sédentarisation de populations musulmanes. Si la préservation de la culture d’origine est au principe de la création d’organisations turques, bosniaques ou albanaises, bien d’autres finalités se dessinent, confortant l’hypothèse de l’émergence d’un Islam suisse aux facettes multiples. Par delà les facteurs de différenciation, prévaut une dynamique proactive : l’objectif est d’offrir un cadre à des activités collectives sociales, culturelles, éducatives, et de divertissement ; le cultuel ne constituant qu’une part des énergies déployées. L’ensemble de ces actions révèle un souci de s’ancrer en terre helvétique en adoptant, notamment et significativement, le modèle juridique et organisationnel en vigueur. Mais elles montrent aussi la volonté d’affirmer la compatibilité de la pratique de l’Islam avec l’appartenance à la Suisse.
Par-delà la diversité des vecteurs d’identification et la pluralité des finalités qui caractérisent les associations locales, des regroupements se produisent à l’échelle nationale et cantonale.
Des regroupements nationaux à visée centralisatrice
A l’échelle nationale, les organisations centrales visent à cimenter des associations et fondations locales[6] autour de la « culture », d’une orientation politique ou religieuse du pays d’origine, participant ainsi au contrôle des pratiques et des représentations de l’Islam de leurs membres. Ces associations centralisent des compétences administratives, offrent un soutien logistique et gèrent la venue d’imams ou d’enseignants de langue dans les limites du droit suisse qui fixe les conditions de séjour des imams de Turquie de Bosnie, du Kosovo ou de Macédoine[7]. En partie, ces organisations se rattachent sur un mode consulaire aux autorités publiques du pays d’origine. Cependant, dans le cas turc du moins, elles incarnent des liens différenciés avec la terre natale, voire des divisions politiques ou religieuses importées; elles développent ainsi des conceptions concurrentielles quant à l’encadrement de l’immigration turque en Suisse, entre autres sur le plan religieux.
La lutte pour le monopole de la production du sens islamique en terre d’Islam
En terre d’Islam , la lutte pour le monopole de la production du sens islamique est un phénomène largement étudié. « Organiser », « représenter » la religion musulmane en Suisse sont des préoccupations proches de celles des gouvernants des pays dits musulmans, qu’ils soient « commandeur des croyants » , « gardien des lieux saints », présidents d’une république « laïque » ou « islamique ». Des historiens et des islamologues ont démontré que religion et politique n’ont jamais vraiment « fusionné » dans les aires musulmanes, même du temps du prophète. Par ailleurs, à l’inverse de l’église catholique, l’Islam sunnite ne dispose pas d’une institution spécialisée, hiérarchisée, totalement autonome dans la production du sens, des normes et de l’ « orthodoxie » islamiques, de manière à s’imposer à tous les musulmans pratiquants. Aussi, la pluralité prévaut-elle sur le plan des traditions juridiques, théologiques et des pratiques religieuses.
Gouvernants et opposants recourent au répertoire islamique pour y puiser des ressources de légitimation et de délégitimation ; les portes de la réinterprétation et de l’invention de la tradition sont grandes ouvertes. A l’époque contemporaine, la massification de l’enseignement a paradoxalement démocratisé l’accès au religieux, amplifiant la « fragmentation de l’autorité sacrée » et la lutte pour le monopole de la production du sens islamique[8]. Ainsi, même dans les pays musulmans, les pouvoirs publics s’activent à « institutionnaliser » la gestion du religieux, et en tout cas à la soustraire aux voix concurrentes.
En Suisse, ce phénomène d’institutionnalisation se retrouve partiellement dans les dynamiques de regroupements cantonaux fortement marqués par les modalités de gestion des affaires religieuses des pouvoirs publics. Elles peuvent dépendre de l’influence d’individus influents comme de pratiques institutionnalisées de longue date dans l’espace cantonal.
Les dynamiques cantonales au miroir des politiques publiques
Depuis la fin des années 1990, des associations locales se regroupent en unions cantonales. Des initiatives surgissent dans un élan individuel de quête de leadership. D’autres voient le jour dans un processus de mimétisme: «On a vu que ça se faisait dans d’autres cantons, on s’est dit que, nous aussi, nous avions besoin de nous mettre ensemble et de fonder une organisation cantonale»[9], affirme en entretien un membre fondateur pour expliquer la raison d’être de son engagement. Ce mouvement de regroupement s’inscrit avant tout dans une dynamique réactive face aux demandes des pouvoirs publics et des acteurs interreligieux, qui aspirent à une gestion centralisée des affaires religieuses.
Au niveau cantonal, l’émergence de ces associations, plus ou moins consolidées et inégalement actives, est étroitement liée aux modalités de gestion du religieux à l’échelle des cantons et aux grandes options en matière de «régulation» endossées par les autorités publiques[10]. La politique bâloise porte l’empreinte du dialogue interreligieux tout en assumant la gestion du religieux, relayée par une coordinatrice des affaires religieuses, mandatée par le Bureau de l’intégration, dont le rôle est décisif. La genèse et le destin de la Basler Muslim Kommission (Commission musulmane bâloise, BMK) s’inscrit dans ce contexte. Initiée en 1987 par un pasteur de l’église réformée cherchant à associer les acteurs associatifs musulmans au dialogue interreligieux et à en faire des «partenaires» des autorités cantonales, l’organisation est formellement créée en 1997.
A partir de là, les acteurs du dialogue interreligieux et les autorités cantonales disposent d’un interlocuteur collectif musulman officiel. La participation de la BMK aux arènes de discussion s’inscrit cependant dans une dynamique réactive et dans une distribution inégale du pouvoir.
Premièrement, ce sont davantage les personnalités étatiques et du dialogue interreligieux qui définissent et inscrivent les problèmes sur l’agenda. Le rôle attribué à la BMK est celui d’un organe de consultation, une position pas toujours aisée à tenir. Modérateur de conflits lors du surgissement médiatique d’une affaire autour de l’abattage d’un mouton, «otage» d’une réglementation sur les cours de natation qui la met en porte-à-faux avec certains de ses membres, sa marge de manœuvre demeure particulièrement étroite.
Deuxièmement, la définition des «bons représentants» qui peuvent être associés à la gestion des affaires religieuses est davantage du ressort des pouvoirs publics et interreligieux que du côté des membres de la BMK. Ainsi, les acteurs qui disposent d’une assise associative locale sont progressivement écartés au profit de ceux qui sont sélectionnés «par le haut» en fonction des compétences valorisées par les acteurs étatiques et interreligieux.
Dans les cantons où les questions que pose la pratique de la religion musulmane sont réglées au coup par coup, les pouvoirs publics n’incitent pas les associations locales à s’engager dans un mouvement d’unification. Malgré l’existence de regroupements formels ou d’associations prétendant à la «représentation» au niveau cantonal, ces velléités restent fragmentées, incertaines et inactives. Moins consolidées, elles sont en proie à des rivalités entre responsables associatifs ou résultent d’initiatives individuelles sans action conjointe.
A Genève, une république qui affirme sa laïcité, les questions relatives aux populations musulmanes sont appréhendées en termes culturels, sous les angles de l’associatif et de l’intégration. Fondée en 2006, l’Union des organisations musulmanes (UOMG) émane de l’initiative d’un collectif de femmes. Jusqu’en 2009, elle se livre principalement à des luttes internes autour de la répartition des voix. Il faut attendre la campagne contre la construction de minaret pour que l’UOMG connaisse un nouvel élan. Dès lors des journées portes ouvertes des lieux de culte et des associations sont organisées[11]. L’objectif des activités est résolument de forger une image positive des musulmans.
Au Tessin, la Commission cantonale pour l’intégration des étrangers et la lutte contre le racisme intègre en son sein un responsable associatif musulman par souci de représentativité. Cependant, aucune politique spécifique n’est adoptée concernant l’organisation des musulmans dans le canton et les demandes formulées sont gérées au cas par cas. Entre 2004 et 2006, un processus d’union cantonale se dessine avec la Communit à Islamica nel Canton Ticino, une association locale aux prétentions cantonales. Depuis que son président a quitté la Suisse pour des motifs professionnels, l’union n’est plus à l’ordre du jour même si un nouvel acteur prétendait s’emparer de ce leadership en réaction au résultat de la votation contre la construction de minaret.
Il ressort de l’examen des dynamiques de regroupements cantonaux que ceux-ci sont essentiellement le fruit d’initiatives d’acteurs associés à la gestion des affaires religieuses qui ont pour objectif de centraliser les questions liées aux pratiques religieuses. En l’absence d’une politique volontariste et centralisatrice des pouvoirs publics, les associations locales coexistent. Si des tentatives de regroupements voyaient le jour, il a fallu que l’Islam soit constitué en problème public pour que des actions collectives soient menées, de manière réactive, en vue de promouvoir une bonne image de soi.
Travail réalisé par: Samina Mesgarzadeh, Sophie Nedjar, Mounia Bennani-Chraïbi
[1] L’adjectif culturel se retrouve souvent dans le nom même de l’association et renvoie implicitement à l’origine nationale des fondateurs. En revanche, dans le cas de la Fondation culturelle islamique de Genève, le terme se rapporte, au sens large, à la culture et à la civilisation qui se sont développées en lien étroit avec l’islam. A partir de là, s’il faut qualifier ces organisations, il s’agirait davantage d’ « associations culturelles » que d’« associations ethniques ».
[2] Il existe 15 associations alévies en Suisse, organisées en associations de droit privé, voir la synthèse de Martin BAUMANN, « Les collectivités religieuses en mutation : structures, identités et relations interreligieuses », in : Religions, Etat et société. La Suisse entre sécularisation et diversité religieuse(Christophe BOCHINGER éd.), Zurich : Editions Neue Zürcher Zeitung, p. 21-74, ici : p. 40.
[3] Communiqué de presse, 18 octobre 2012.
[4] Avec cette « petite reconnaissance », contrairement à la reconnaissance de droit public, la collectivité religieuse reconnue garde un statut de droit privé et ne bénéficie pas des privilèges associés à la reconnaissance de droit public (notamment, le droit de collecter un impôt et le soutien financier par le canton), voir RenéPAHUD DE MORTANGES, « L’impact de la pluralisation religieuse sur l’ordre juridique de l’Etat », in : Religions, Etat et société. La Suisse entre sécularisation et diversité religieuse (Christophe BOCHINGER éd.), Zurich : Editions Neue Zürcher Zeitung, p. 141-169, ici : p. 148.
[5] Sabrina MERVIN, Histoire de l’islam. Fondements et doctrine, Paris, Flammarion, 2000, ici : p. 114-121.
[6] Cette dynamique est antérieure et indépendante de la constitution de regroupements au niveau cantonal.
[7] Conditions de séjour en Suisse des imams de Turquie, de Bosnie, du Kosovo et de Macédoine :La Directive 4 de l’Office fédéral des migrations comporte des procédures spécifiques pour le séjour des imams en Suisse, procédure distincte selon les provenances nationales des imams (Turquie, Bosnie-Herzégovine, Kosovo et Macédoine). Cette directive fixe notamment les organes en charges de transmettre à l’ODM la demande de séjour (en général, une association centrale en Suisse et une institution régulant le religieux dans le pays d’origine), le niveau de formation requis des imams et le type de diplôme exigé, ainsi que le nombre d’imams admis par provenance nationale. La possibilité de former des imams en Suisse dans les Hautes écoles est étudiée depuis mars 2012 par un groupe de travail mandaté par le Secrétariat d’Etat à l’éducation et à la recherche, selon une information issue du Portail catholique suisse, consulté le 13 février 2013. http://www.cath.ch/detail/un-groupe-de-travail-pour-la-formation-d es-imams-en-suisse.
[8] Dale F. EICKELMAN, James PISCATORI, Muslim Politics, Princeton, Princeton University Press, 1996.
[9] Entretien, membre fondateur d’une union cantonale, canton de X, le 19 janvier 2007.
[10] Selon la Constitution fédérale, les cantons sont compétents en matière de gestion du religieux (art. 72 al.1)
[11] En 2009, ne première journée s’intitule « A la découverte de l’Islam à Genève ». En 2010, une deuxième journée est organisée sous le titre « L’Islam à Genève, parlons-en. Dialoguer, c’est partager ».