LA GOULETTE, MAHEDIA, GABÈS, KAIROUAN, LE DÉSERT en 1880

  • 17 janvier 2019
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Tunisie- Mosquée et Souk - juin 1913
17 Jan

La Tunisie

Nous avons raconté ce que nous avons vu de la Tunisie, sous le rapport de ses productions, de l’avenir de sa colonisation, de ses habitants et de son gouvernement.

Qu’il nous soit permis de dire quelques mots du pays lui-même. Nous n’avons la prétention ni de remplacer un guide, ni de publier un traité de géographie, mais il peut être utile cependant de raconter ce que sont les choses et les lieux. Presque tous les voyageurs qui arrivent en Tunisie débarquent tout d’abord à Tunis, ou pour mieux dire à la Goulette.

La Goulette

La Goulette n’est pas le port de Tunis, par cette excellente raison que ce n’est pas un port du tout. Seulement Tunis étant bâti à l’extrémité d’un lac et la Goulette se trouvant à l’autre extrémité de ce même lac du côté de la mer, les navires s’arrêtent en vue de la Goulette. Là ils jettent l’ancre et des barques viennent chercher les voyageurs et les marchandises pour les conduire à terre. La traversée dure une demi-heure en moyenne, si le temps est passable ; le double, si le temps n’est pas bon. Quand le temps est résolument mauvais, il faut parfois attendre une journée avant de pouvoir faire le trajet. C’est charmant.

Tunisie , entrée du canal de la Goulette, Tunis 1912
Tunisie , entrée du canal de la Goulette, Tunis 1912

La Goulette est un faubourg de Tunis. Il y a beaucoup de cabarets, quelques maisons et des établissements de bains de mer. A quelque distance se trouve un hôpital militaire français. Si on débarque un samedi, les rues sont pleines de ces masses gélatineuses en culottes collantes et en bonnet doré et pointu, qui représentent les juives tunisiennes. On ne se figure pas à quel degré d’horreur certains entraînements de nourriture et de repos peuvent réduire des femmes qui, dans d’autres conditions, auraient peut-être conservées des formes humaines, mais qui sont réduites à n’être plus que des monstres hideux qu’on ne voudrait même pas exhiber dans les baraques de nos fêtes foraines.

La Goulette est réunie à Tunis par un chemin de fer qui appartient à une compagnie italienne. On se souvient que cette voie ferrée acquit un jour une importance presque diplomatique. La France et l’Italie s’en disputaient la possession. L’Italie, ou peut-être seulement des Italiens, l’emportèrent. A en juger par le trafic, on peut se demander s’ils ont fait une bonne affaire.

Dans son trajet de la Goulette à Tunis, le chemin de fer fait un détour pour desservir la station de La Marsa, résidence du Bey et, en été, des riches Tunisiens, située au bord de la mer, dans un sîte boisé et charmant.

Il est d’usage en Tunisie que le Bey, quand il arrive au pouvoir, s’installe dans une autre résidence que celle qu’habitait son prédécesseur. Si Sadock résidait au palais du Bardo, le Bey actuel habite La Marsa et ne se rend au Bardo qu’une fois par semaine pour y rendre la justice. Il vit là très tranquille avec son harem assez nombreux, dit-on, et ses enfants.

Tunisie , Carthage, Chapelle St Louis
Tunisie , Carthage, Chapelle St Louis

A La Marsa habite également le cardinal Lavigerie qui a fait construire, à côté de sa maison, une résidence pour son coadjuteur à l’archevêché de Carthage, à l’endroit même où s’élevait la vieille ville phénicienne et à une petite distance du tombeau de saint Louis et du séminaire des Pères Blancs, les dévoués missionnaires du christianisme dans l’Afrique centrale.

Il faut trois quarts d’heure environ pour aller de la Goulette à Tunis. La gare de Tunis est située dans le nouveau quartier européen, dit de la Marine, et qui s’étend des anciens remparts de la ville aux bords de l’étang nauséabond et marécageux que suit la voie ferrée durant son parcours.

Le lac de Tunis est une sentine. Depuis des siècles les déjections de toute nature s’y sont accumulées de telle sorte qu’elles sont arrivées à le combler en partie. Sur certains points il n’a que quelques centimètres de profondeur et nulle part il ne pourrait porter un gros bateau. Sur ses bords se pressent des quantités innombrables d’oiseaux d’eau, parmi lesquels on remarque les fameux flamands roses dont les gourmets romains faisaient tant de cas. Par de certains jours de chaleur il s’exhale de son sein des miasmes” infects rappelant que ses profondeurs contiennent des quantités incommensurables d’immondices sans nom. Du fond de ce récipient pestilentiel, quarante siècles d’ordures vous asphyxient.

Trop d’auteurs ont fait connaître Tunis au point de vue pittoresque pour que dans un ouvrage qui n’a rien de descriptif nous voulions en faire le tableau. La ville ne renferme aucun monument moderne et les quelques constructions curieuses qu’on rencontre dans la portion habitée par les indigènes ressemblent à toutes celles que les voyageurs ont pu visiter en Algérie ou en Egypte.

Tunisie , maisons d'Arabes riches et mosquée
Tunisie , maisons d’Arabes riches et mosquée

On assure que quelques mosquées sont intéressantes à étudier, mais l’entrée en est interdite aux giaours. L’ancien palais du souverain, le Dar el Bey, offre un certain aspect, et quelques casernes comme celle dite du « Premier Tunisien » occupée par le quatrième régiment de zouaves présentent une physionomie pittoresque.

Ce qui constitue le côté original de Tunis, c’est la partie commerçante de la ville, ce qu’on appelle les Souk.

Les Souk ou marchés sont à proprement parler un assemblage de boutiques rangées par nature de commerce. Dans un coin se trouvent tous les tailleurs, dans un autre, tous les marchands de checchias, dans un troisième, les fabricants de babouches, dans un quatrième, les bijoutiers, plus loin les marchands de selles et de brides. Enfin tous les commerces organisés en catégories comme il en était jadis dans nos villes européennes.

Il n’est qu’un seul commerce qui à Tunis n’ait pas de quartier spécial, un commerce qu’on rencontre partout, dans toutes les rues et presque dans toutes les maisons, c’est celui des vieilles chaussures. Il semble que les souliers éculés, les bottes martyres, les brodequins avariés se soient donné rendez-vous dans la capitale de la Tunisie. Des savetiers à faire rêver Goya les prennent, les tournent, les retournent, les coupent et les recoupent, ajoutant de petits béquets à l’une, enlevant les talons ou les quartiers à l’autre, feuilletant les semelles, ajustant un clou ou une ficelle, se livrant à des travaux de patience et à des prodiges de combinaison. On ne comprend pas en voyant tant de gens occupés à rétamer les vieux souliers 4u’il puisse y en avoir qui gagnent leur vie à vendre de la chaussure neuve.

Le plus curieux c’est que dans le peuple de la ville et surtout celui de la campagne le plus grand nombre marche ordinairement pieds nus. Ceux qui sont chaussés ne le sont même qu’à moitié. Ils portent ce qu’on nomme des babouches, c’est-à-dire des pantoufles sans quartier, généralement trop larges et qu’un seul moment de distraction fait divorcer d’avec le pied qui s’y loge. C’est un spectacle curieux que de voir marcher un Tunisien avec ses babouches, quand il a plu deux jours de suite et que les rues sont transformées en un marécage nauséabond et poisseux dans lequel il faudrait des bottes d’égoutier pour pouvoir circuler sans hésitation.

Tunis, Mosquée Ez-zeitouna dans le souk des marchands de grains
Tunis, le côté arrière de la Mosquée Ez-zeitouna dans le souk des marchands de grains

Ces souks représentent un véritable labyrinthe dans lequel il faut absolument à l’étranger un guide pour se reconnaître. Toutes ces petites rues, larges de deux mètres cinquante environ, criblées d’impasses, sont encombrées toute la journée par une foule grouillante. A chaque pas un âne infinitésimal portant sur son arrière-train un cavalier qui pèse trois fois autant que lui, s’avance en trottinant ; une voiture du pays attelée d’un mulet cherche à se frayer un passage ou quelque bédouin du sud marche gravement suivi de son chameau à l’air stupide et lance à chaque tournant l’exclamation gutturale barr” hah pour se faire ouvrir un passage.

Et sur tout cela un soleil resplendissant qui dore si bien ce qu’il éclaire que les masures vous semblent pittoresques et les haillons à vermine font encore certaine figure. Si par hasard, au détour de quelque rue sombre, vous voyez apparaître, scintillant sous la lumière, le portail de quelque mosquée, vous vous sentez bien dans un pays musulman et vous rêvez à l’Orient quand un petit soldat en pantalon rouge, portant à la main une pile de gamelles, vient vous arracher à l’idéal pour vous rappeler à la réalité.

Ce qui est plus réaliste que tout le reste, c’est l’affreuse puanteur qui règne partout, qui domine partout, dans la vieille ville encore moins que dans la nouvelle, mais il faut déjà avoir l’odorat acclimaté pour faire la différence. De chaque bouche d’égout ou soi-disant telle, s’élève une vapeur terrible telle que jamais on n’en a senti la pareille en Europe et qu’on pense n’en jamais rencontrer de semblable avant d’être allé à Kairouan. Cette odeur est quasi visible, elle obscurcit le ciel, elle est presque sensible, elle pèse sur vos épaules, elle corrode tout ; dans certains quartiers, vers les bords du lac, on ne peut pas conserver de l’argenterie ; sous l’influence constante de l’acide sulfhydrique qui se dégage de cette masse d’ordures, elle se couvre d’une patine noire qui résiste à tous les nettoyages.

Café à tunis
Café à tunis

Cette odeur est telle qu’elle domine les parfums. Dans le Souk el-Attarin, où se vendent les essences et dans lequel les marchands vous donnent, sous des noms divers et à des prix variés, l’éternelle essence de Géranium qui constitue la base de tous leurs produits ; l’odeur terrible efface toutes les autres, les écrase et ne se mélange à elles que pour former un ensemble encore plus épouvantable. On resterait cependant de longues heures dans ce souk des essences à voir les marchands, en général de beaux jeunes gens richement vêtus, d’une propreté exquise, accroupis dans leurs petites boutiques garnies de tapis, bourrées de flacons et devant lesquelles sont de grands bassins de cuivre pleins de feuilles de henné pour la teinture des ongles et de la paume de la main chez les femmes. Vous vous approchez, ils débouchent toutes leurs petites fioles et vous les présentent avec un sourire. Quand, après en avoir senti une douzaine, incapable de distinguer l’ammoniaque du patchouli, vous vous décidez à faire un choix, le marchand, toujours souriant, abandonne un instant sa cigarette, prend une petite pipette en verre dans laquelle il aspire quelques gouttes de sa mixture, les fait couler dans un petit flacon de cristal doré fabriqué en Allemagne, bouche, cachette avec de la cire d’Espagne, enveloppe, recachette, et vous tend le paquet avec un nouveau sourire, en prononçant quelques mots inintelligibles. « C’est cinq francs » traduit votre interprète : vous payez et vous vous sauvez ahuri et presque grisé par ces odeurs violentes mêlées à cette odeur générale qui rappelle singulièrement celle d’un hôpital de cholériques.

Ces petits magasins où se tiennent les marchands des Souk n’occupent pas vingt mètres carrés. Leur loyer est, paraît-il, très cher ; les riches Tunisiens auxquels ils appartiennent les louent à la semaine et se font payer rigoureusement. Aussi, dans cet étroit espace le marchand y installe tout ce qu’il possède ses marchandises et sa famille, ses provisions et ses enfants. Il y mange, il y couche, il s’y incruste, et si le quartier ne brûle pas, son commerce s’y perpétuera jusqu’au jugement dernier.

En dehors de ces magasins, qui ont surtout de l’Orient la décoration extérieure et les allures du négociant, on ne voit dans la plupart des boutiques où se vendent les objets usuels que des rebuts de l’industrie européenne. Je ne crois pas que nos produits soient de nature à tenter beaucoup des gens qui n’ont pas les mêmes besoins que nous et auxquels nous ne sommes encore arrivés, en fait de vices, à inculquer que l’ivrognerie. Mais, à coup sûr, ce ne sont pas les produits européens qu’on trouve dans les magasins de Tunis qui doivent donner aux habitants une haute opinion des manufactures européennes. Enfin, peut-être tout cela changera-t-il par la suite des temps.

Mais nous ne voulons ni ne pourrions faire un tableau pittoresque de Tunis et de ses environs. Le cadre de notre travail ne comporte pas autant de détails, et d’ailleurs la description de Tunis a été faite et trop bien faite pour que nous puissions y revenir. Bornons-nous à ce que nous venons de raconter, emportés un peu par le souvenir de nos impressions, et considérons l’ensemble du pays.

On peut diviser la Tunisie en trois parties bien distinctes : les côtes, l’intérieur de la Régence et le désert qui est particulièrement au sud, bien que dans l’intérieur il y ait de vastes espaces qui puissent parfaitement être qualifiés de déserts et que les Arabes appellent fiafi, c’est-à-dire le désert habitable par opposition au désert khela qui ne peut être que traversé.

La côte

La côte tunisienne ne compte qu’un port important, et ce port n’existe pas ; c’est celui de Bizerte. Le jour où le gouvernement français aura compris que les colonies ont fait leur temps pour les puissances européennes, il mettra tous ses soins et tout notre argent à améliorer la France africaine. Ce jour-là il établira à Bizerte un port qui sera le premier de l’Afrique, dans lequel notre flotte militaire sera à l’aise et en sûreté et, avec un porta Carthage pour le service de Tunis, il aura assuré la prospérité de toute la côte septentrionale de la Tunisie.

Bizerte, le vieux port
Bizerte, le vieux port

Nous ne voulons même pas examiner ici le projet de créer un chenal dans la mer d’ordures au bout de laquelle est bâti Tunis, afin de créer un port devant la ville. Pour mettre ce projet à néant, il suffira d’insérer dans le cahier des charges une clause obligeant les entrepreneurs et les ingénieurs à résider sur les lieux mêmes pendant la durée des travaux. Au bout de deux mois il ne resterait plus personne, ceux qui auraient échappé à la mort se seraient enfuis.

Sur la côte orientale, les villes principales sont Sousse, Monastir, Mahédia, Sfax, Gabès et Djerbah qui est le point terminus des échelles de la Tunisie.

Ces villes sont appelées à devenir plus tard des centres de commerce importants. Pour cela il faut deux choses. La première, nous l’avons déjà fait connaître, c’est une administration intelligente ; la seconde, ce sont des travaux qui permettent aux navires d’aborder. .

La première de ces deux considérations arrivera quand il plaira à Dieu. Cette formule musulmane est certainement la seule qu’on puisse employer en cette circonstance, et nous ne pouvons que souhaiter que cette heureuse chance se réalise promptement.

La seconde viendra peut-être plus tôt que la première. L’administration des ponts et chaussées et celle de la marine font exécuter des travaux importants. Bien que ces travaux soient conduits avec la sage lenteur qui caractérise les œuvres de ce genre, on peut espérer les voir terminés dans un délai relativement rapproché, et on verra quelles en seront les conséquences bienfaisantes.

Pour le moment, l’abordage n’est pas plus facile dans les ports que nous venons de citer qu’à la Goulette. La plupart du temps, les bâtiments à vapeur sont obligés de mouiller à des distances considérables de la côte, et on peut juger des difficultés matérielles et des dépenses considérables qu’entraînent, dans de pareilles conditions, l’embarquement et le débarquement des marchandises et même des passagers.

Sousse

C’est un spectacle vraiment charmant que présente l’arrivée par mer, dans une ville arabe comme Sousse, par exemple. Une masse de maisons d’une blancheur éclatante, entourée de vieux remparts crénelés aussi blancs que les maisons ; parmi les minarets quelques palmiers tranchent vivement sur un fond éclatant, et tout autour de la ville des masses d’oliviers au feuillage vigoureux font ressortir les teintes crues des premiers plans.

Une fois débarqués, l’impression n’est plus aussi favorable. Les maisons sont bien toujours blanches à l’extérieur, mais l’intérieur est atrocement sale ; les rues sont impraticables et pleines d’ordures, la poussière s’il fait beau, la boue s’il fait mauvais, y rendent la circulation difficile, partout des mares fétides et une odeur désagréable. Sousse, comme Sfax, comme Gabès, est seulement d’un grand effet décoratif. Une autre raison, qui n’est peut-être pas sans avoir quelque influence sur les impressions des voyageurs, est que l’unique hôtel qu’on y trouve ne rappelle pas, même de très loin, le confortable des hôtels suisses, et nous estimons que ce serait une grave imprudence pour un jeune ménage d’aller passer sa lune de miel en Tunisie.

Cependant, comme nous l’avons dit dans un chapitre précédent, Sousse est une ville appelée à un brillant avenir, si les événements politiques n’y mettent pas obstacle. Son commerce en grains et en huile, prend chaque jour une extension plus considérable. L’industrie a des tendances à s’y porter et cette ville, qui est déjà le port le plus important de la Tunisie, deviendra, dans quelques années, une place de premier ordre pour le commerce d’exportation.

La garnison de Sousse est installée en dehors des remparts, dans un camp dont les baraques s’alignent sur un petit mamelon qui domine la mer. Ce camp est occupé par des tirailleurs algériens, dont l’élégant uniforme s’allie d’une façon parfaite avec l’ensemble du paysage et présente une perspective infiniment pittoresque.

Sousse est réuni à l’intérieur, c’est-à-dire à Kairouan, comme nous l’avons déjà dit, par un petit chemin de fer à traction de chevaux organisé par le grand constructeur de ces sortes de voies de communication, M. Decauville.

Aux premiers jours de l’occupation, quand les journaux annoncèrent en France que le gouvernement organisait en Tunisie un chemin de fer Decauville, ce fut un succès d’hilarité. Comme les gens qui en parlaient n’avaient pas la moindre notion du pays, ils eurent beau jeu pour s’amuser en entassant leurs fantaisies sur des hypothèses. Quel que soit l’esprit ou ce qu’on appelle ainsi, qui a été dépensé à cette occasion, nous devons reconnaître que les plaisantins avaient tort, que l’idée était bonne et qu’elle rendra certainement plus tard de grands services par l’exemple qu’elle a donné. C’est chose rare en France, sous tous les régimes, que l’administration, cette impeccable routinière, ait une idée neuve et pratique, aussi sommes-nous heureux de constater, en cette occurrence, une exception, qui en Tunisie plus qu’ailleurs est confirmée par la règle, selon les formules de la grammaire.

Malheureusement, car comme dans les Faux Bonshommes, il y a toujours un « malheureusement », ce petit chemin de fer ne rend pas tous les services qu’on en pourrait attendre. Il fonctionne bien, est convenablement entretenu, mais comme il se trouve sous la direction absolue du Génie militaire, il reste exclusivement affecté au service de l’armée et des quelques personnes que l’autorité militaire admet à y prendre place. Il faut rendre cette justice à ladite autorité en constatant qu’elle fait toujours preuve en cette occasion d’une générosité et d’une obligeance sans bornes, mais tout en lui reconnaissant des qualités que moins que personne ne nous aurait le droit de contester, il nous sera permis d’exprimer le désir qu’un jour vienne où, sous sa haute surveillance, le tramway de Sousse à Kairouan puisse être livré au public avec la garantie d’un service régulier. Il ne faut pas oublier que le mot régulier est pris dans son acceptation tunisienne, qui n’est pas tout à fait la même que celle que l’on entend habituellement en France.

De Sousse Kairouan

Tel qu’il est, ce petit chemin de fer rend de très grands services. Il est mené en poste par deux chevaux du train qui tirent sans trop de fatigue une sorte de wagon américain couvert et garni sur les côtés d’épais rideaux de toile, que le Génie militaire a baptisé du nom de plateforme. Il y a quatre relais de Sousse à Kairouan. Le plus important est à Sidi el Hani où est installé un poste de chasseurs d’Afrique placé au milieu du désert, mais d’un désert qui se transformera quelque jour en une véritable Beauce africaine, à quelques centaines de mètres de la Sebkha de Sidi el Hani.

Les Chott

Le mot Sebkha a en Tunisie la même signification que celui de Chott, beaucoup plus connu en France et en Algérie. Les Chott ou Sebkha sont des lacs salés à demi-comblés par les sables du désert apportés par le vent et qui occupent une partie considérable de la limite du désert réel, du Ghoud, sur les terrains habitables, au sud de la Tunisie et de l’Algérie orientale.

Depuis Virlet d’Aoust qui, vers 1845, devançant de quarante ans le commandant Roudaire, avait songé à faire un lac du Sahara, on a fait beaucoup d’hypothèses sur les Chott. Nous ne les rééditerons pas et surtout nous n’en ajouterons pas de nouvelles. Nous nous bornerons à émettre le vœu que les gens qui veulent écrire à ce sujet, se croient obligés d’aller passer seulement un mois dans le pays. Tout le monde y gagnera. Ils en sauront davantage et parleront moins.

La Sebkha de Sidi el Hani est d’une étendue considérable, mais elle n’a pas l’importance du grand chott du sud, le Chott el Djerid qui servait autrefois au passage des caravanes et qui conserve dans son sein, outre des trésors inconnus, le secret de drames dont personne n’est venu révéler les détails.

Ce chott qui s’étend de Kris à Fetuassa tire son nom d’une habitude des guides qui y conduisent les voyageurs. Pour retrouver leur chemin sur la croûte de sel et de sable durci en dehors de laquelle se trouve un abîme dont on ne connaît souvent pas la profondeur, ces guides marquent la route [par des cailloux ou des morceaux de bois. Or, les branches de dattier se nomment djerid en arabe et c’est de cet usage que vient le nom du chott.

Il est arrivé souvent qu’en suivant ces routes étroites, tracées entre deux morts et qui n’ont parfois que quelques décimètres de large, des caravanes entières ont disparu. On le comprendra quand on saura que dans ces passages difficiles les chameaux déjà habitués d’ailleurs à se suivre en ligne exacte sont attachés les uns aux autres et marchent en aveugles sans s’inquiéter des obstacles.

Quand un chameau est perdu, toute la caravane est perdue dans ces passages terribles où les musulmans ne s’aventurent jamais sans avoir invoqué l’aide de Dieu et récité la sainte Fatha, le premier chapitre du Koran qu’ils appellent El-Sourat el-Kafiyè, celui qui peut au besoin remplacer tous les autres et qui est ainsi conçu :

  • « Louange à Dieu, maître de l’univers, le clément, le miséricordieux,
  • « Souverain au jour du jugement,
  • « C’est toi que nous adorons ; c’est toi dont nous implorons l’assistance.
  • « Dirige-nous dans le droit sentier,
  • « Dans le sentier que tu as éclairé,
  • « Et non dans celui de ceux qui ont encouru ta colère ni de ceux qui s’égarent.
  • « Amen. »

C’est un spectacle solennel que celui qu’offrent tous ces hommes s’agenouillant avant de traverser un péril suprême pour invoquer l’appui du Créateur. (Jette foi persistante et qui ne craint jamais de s’affirmer chez les musulmans nous paraît avoir été un peu trop traitée de quantité négligeable par les Européens sceptiques. Dieu veuille que l’avenir ne nous réserve pas quelque leçon à ce sujet.

Aujourd’hui les caravanes ne traversent plus le Chott el Djerid, les déprédations des Touaregs et les modifications apportées au commerce intérieur qui s’est divisé dans ses directions vers le Maroc et la Tripolitaine ont changé les itinéraires des convois de marchandises.

Mais nous voilà bien loin de la Sebkha de Sidi et Hani et du chemin de fer Decauville : revenons à l’un et à l’autre pour faire observer la sensation singulière qu’éprouve un étranger au milieu de cette plaine, plate comme la mer, terminée comme elle de tous côtés par une ligne d’horizon nettement tranchée et sur laquelle on n’aperçoit rien, mais rien, à dix centimètres au-dessus du sol. Si jamais quelque disciple du pessimisme allemand veut remplir son âme de l’impression de la solitude et du néant, il n’a qu’à aller se promener de ce côté.

Kairouan

Kairouan est la ville la plus complètement indigène de la Tunisie. On assure que même étant donné l’occupation française, c’est encore aujourd’hui, sauf peut-être dans le Maroc, la ville qui donne le plus absolument l’impression d’une ville musulmane africaine.

Les voisins des Normands appellent la ville de Rouen le pot de chambre de la Normandie. Kairouan pourrait disputer à la vieille ville de Rollon cette épithète peu avantageuse et, que le lecteur nous pardonne d’entrer dans ces détails, si la comparaison doit être prise au pied de la lettre, Kairouan a toutes les raisons possibles d’accaparer le monopole du qualificatif.

La grande Mosquée de Kairouan
La grande Mosquée de Kairouan

Kairouan était autrefois la métropole de l’Islam en Tunisie ; elle compte encore 26 mosquées et 55 zaouias ou écoles religieuses dans lesquelles on apprend aux enfants et aux fidèles non seulement la lecture, l’écriture et le texte des livres saints, mais aussi les doctrines qui doivent mener l’homme dans le sentier de la sagesse et le faire devenir soufi c’est-à-dire saint.

Cette abondance d’écoles dirigées naturellement par des maîtres qui, s’ils sont d’accord sur les principes, sont fort divisés sur les détails, a fait de Kairouan une ville savante, universitaire, théologique ou pour mieux dire scolastique.

Les querelles entre les différentes écoles et aussi entre les différents professeurs sont si ardentes dans ce monde spécial que Kairouan qui, si l’on s’en rapportait au nombre de ses mosquées et à la ferveur de ses fidèles, devrait être le foyer du fanatisme en Tunisie, est au contraire une ville assez tolérante.

Comme il arrive souvent, les haines de famille absorbent tout le fiel de ceux qui les éprouvent, et les musulmans de telle ou telle école religieuse à Kairouan détestent peut-être moins les roumis (chrétiens) que ceux de leurs coreligionnaires qui interprètent d’une autre façon que la leur, tel ou tel passage du livre saint ou d’un de ses innombrables commentateurs.

Les deux principales mosquées de Kairouan sont : la grande mosquée Djama el Kebir et la mosquée du Compagnon Djama Sidi Ec-Ashab, que l’on appelle plus ordinairement la mosquée du Barbier. Cette dernière est située en dehors des remparts crénelés construits en briques, qui servent d’enceinte à la ville

Cette mosquée du Compagnon a été, selon la tradition, bâtie par l’un des compagnons du prophète, Sidi el Ouaïl qui y est enterré. D’après une tradition, elle renferme également une partie de la barbe de Mahomet. C’est un monument curieux, orné de belles plaques de marbre travaillées à la mauresque, de belles portes en bois avec des peintures sortant évidemment du pinceau d’artistes italiens, et de colonnes modernes en marbre blanc.

Bien qu’en cela nous ne soyons pas d’accord avec tous les voyageurs, la grande mosquée a, selon nous, un caractère beaucoup plus imposant que la mosquée du Compagnon. Son immense cour a un cloître soutenu par 600 colonnes de marbre empruntées pour les 99 centièmes aux anciens temples romains et est dominée par un minaret gigantesque, du haut duquel on découvre la ville et la plaine immense qui l’entoure. De son balcon les muezzin crient l’heure de la prière, tenant à la main un immense drapeau rouge et envoyant aux quatre coins de l’horizon leur invocation Ha illa Allah oua Mohammed rassoul Allah qui se répète au même instant dans tout le monde musulman, depuis la Chine jusqu’à l’Océan atlantique, et depuis Kashgar jusqu’au centre du Continent Mystérieux.

Les mosquées de Kairouan sont les seules de la Tunisie où puissent pénétrer les chrétiens. Il ne faut pour cela qu’une autorisation écrite du commandant supérieur français. Cette faveur spéciale est due.à deux causes.

La première, c’est que lors de l’occupation de Kairouan par la colonne qui s’en empara, le commandant en chef, vu la pénurie de logement pour ses hommes et particulièrement pour ses malades, décida, de par la nécessité, que les mosquées seraient mises à sa disposition. Le pli fut pris et dépuis les chrétiens ont pu y pénétrer.

Le second, c’est que, comme nous l’avons dit, Kairouan est une ville d’un fanatisme intérieur, s’il est permis de s’exprimer ainsi, c’est-à-dire s’exerçant davantage encore entre fidèles de la même religion qu’à l’égard des étrangers.

A ce sujet, rappelons un fait peu connu. Dans le courant du siècle dernier, Kairouan étant devenu le centre d’une révolte contre l’autorité d’un bey de Tunis, celui-ci dirigea contre la ville une expédition, s’en empara et naturellement en fit le sac. Parmi les événements spéciaux qui signalèrent ce moment pénible pour les habitants des deux sexes, on remarqua particulièrement une orgie gigantesque que s’offrit l’armée beylicale dans la Djama’ el Kebir. Cet événement a laissé des souvenirs et chaque année, le jour de son anniversaire, les femmes de Kairouan — moins les juives — sont admises dans la mosquée, y apportent des friandises et le souvenir d’un moment qui dut être pénible pour leurs arrières grand’mères, s’efface sous l’impression d’une allégresse générale.

On sait que quand les musulmans entrent dans une mosquée, ils quittent leurs chaussures ; ce cérémonial est évité aux visiteurs chrétiens des mosquées de Kairouan. Seulement, voici comment on tourne la difficulté. Dans la salle des prières, le sol est couvert de nattes sur lesquelles s’agenouillent les fidèles ; quand un chrétien passe, un enfant marche devant lui, relevant les nattes pour que son talon ne frappe que sur le marbre sonore. C’est la seule et bien minime concession que les musulmans de Kairouan exigent en faveur de leurs habitudes religieuses.

Quand nous avons parlé de Tunis, nous avons insisté sur ce fait spécial qu’il régnait dans cette ville une odeur particulièrement désagréable. Ce que nous avons dit de Tunis peut s’appliquer à Kairouan, mais en le multipliant par dix, sinon par cent. Qu’il nous soit permis de donner à ce sujet quelques détails, mais nous prévenons les gens à estomac délicat, qu’ils feront bien de passer sans le lire ce passage trop véridique de notre récit.

Kairouan, nous l’avons dit, est bâti dans un bas-fond. Il en résulte une impossibilité matérielle d’y établir un système d’égoûts quelconque.

Dans ces conditions, chaque matin, des âniers parcourent la ville, entassant dans des couffins en sparterie les résidus de toute nature, y compris ceux que l’on n’a pas pu jeter par la fenêtre pendant la nuit. Ils emportent leur chargement en dehors des murailles où ils vont le déposer à deux ou trois cents mètres des remparts.

Petit poisson deviendra grand, dit un proverbe qui a pu s’appliquer jadis aux pyramides d’ordures que confectionnent ainsi les âniers de Kairouan. La ville est environnée aujourd’hui d’une soixantaine de collines, d’une hauteur moyenne de quinze à dix-huit mètres, sur soixante de long et vingt de large à la base, uniquement composée des résidus dont nous parlons.

Ceci est bien, mais ceci n’est rien. Il y a mieux, et le mieux est ce qu’on va lire.

Kairouan était autrefois considérée comme la ville sainte de la Tunisie. Cette réputation n’existe plus aujourd’hui pour les musulmans au courant des variations de la sainteté en ce qui concerne les villes ; mais elle a toujours une importance considérable dans les populations des douars et des tentes.

Or, pour ces populations comme pour les Hindous qui tiennent à être précipités après leur mort dans le fleuve sacré ; le fait d’une inhumation à Kairouan est, d’après eux, presque une garantie d’aller promptement dans le paradis d’Allah, où du pied de l’arbre Toubah sort le fleuve divin dont les flots sont de café, de vin, de lait ou de miel liquide, ce qui doit faire un mélange aussi sirupeux que désagréable.

Dans ces conditions, les Tunisiens tiennent à se faire enterrer à Kairouan, et pour cela, leurs familles ont recours à toutes les ruses. Beaucoup des corps apportés du dehors sont enterrés dans les cours des maisons ; mais cette pratique, difficile depuis l’occupation française, n’est possible que pour ceux qui ont des parents ou des amis dans la ville. Pour les autres, voici ce qui se passe.

Les corps sont apportés, souvent de très loin, et inhumés dans les collines immondes dont nous avons parlé plus haut. On sait que les Arabes enterrent leurs morts sans cercueils et à une très petite profondeur. On peut déjà se rendre compte du résultat. Mais il y a mieux, les chacals qui sont assez nombreux dans les massifs de cactus autour de Kairouan viennent la nuit, grattent le fumier et dévorent une partie des corps. Le lendemain, les âniers recouvrent le trou comme si rien n’était.

Or, dans les mois d’octobre, de novembre et de décembre, Kairouan, comme toute cette plaine sans arbres qui constitue le centre de la Tunisie, est soumise à la saison des pluies. Les pluies sont tout simplement diluviennes. En une nuit, il tombe cinq ou six centimètres d’eau. Cette eau détrempe les collines dont nous avons parlé, s’imprègne de leur contenu, et il en sort des flots jaunâtres, bourbeux, pestilentiels, qui. roulent leurs eaux nauséabondes le long des remparts de la ville. Que la pluie s’arrête, le soleil reparaît, pompe l’eau, et il reste un bourbier infect, sorte de bouillon innommable d’où s’échappent des vapeurs mortelles.

Comment s’étonner, après cela, que la garnison de Kairouan soit fatale ù nos pauvres soldats. Le premier cimetière qu’on y a créé a été bien vite insuffisant. Il a fallu en organiser un second et avant qu’il soit longtemps, l’administration se verra dans la nécessité d’en préparer un troisième. Nous n’insisterons pas davantage, mais on comprendra que devant une situation semblable, l’ouverture d’un cimetière peut paraître une mesure de précaution qu’on peut sans exagération taxer d’insuffisante.

La garnison de Kairouan est peu nombreuse. Elle s’élève à trois ou quatre cents hommes au plus. Ce chiffre peut sembler dérisoire, mais il est cependant suffisant en temps ordinaire, d’autant plus qu’au moyen du télégraphe optique, Kairouan correspond avec Zaghouan et Tunis, et qu’en cas d’événements imprévus les autorités supérieures militaires seraient immédiatement prévenues, alors môme que le fil télégraphique qui relie Kairouan à Sousse serait intercepté.

Mais nous avons à Kairouan un et même deux otages qui nous garantissent une certaine somme de tranquillité, ce sont les djema’, ou mosquées. Les Arabes savent parfaitement qu’à la moindre tentative de soulèvement, ces édifices religieux, pour lesquels ils professent la plus profonde vénération, seraient mis en morceaux par l’artillerie de la Kasbah et ils se tiennent tranquilles.

D’ailleurs les Tunisiens, même les plus hostiles aux chrétiens, prennent assez philosophiquement leur parti de l’occupation. Ils sont persuadés, d’après diverses prophéties, que notre séjour en Tunisie doit durer un certain nombre d’années. Les plus résignés parlent de cinquante ans. Pendant ce temps, nous remettrons toute3 choses en bon état, le pays redeviendra riche, et quand nous serons obligés de repartir, les fidèles croyants recevront le prix de leur patience et de leur soumission à la volonté d’Allah.

Il ne faut pas croire, cependant, que ces hommes en apparence résignés, se désintéressent de ce qui se passe en Europe.

Il est peu de pays où les agences télégraphiques aient plus d’abonnés, et rien ne se produit de l’autre côté do la Méditerranée qui ne soit discuté, pesé et apprécié parmi les chefs tunisiens.

Nous nous trouvions un jour en visite chez le commandant d’un poste important de l’intérieur. Au cours de la conversation, nous lui demandions s’il avait reçu son courrier télégraphique et s’il s’était produit quelque mouvement important dans cette Europe dont nous étions si éloignés.

  • Je n’ai rien reçu, nous dit-il, mais je suis sûr cependant qu’il ne s’est produit aucun événement grave.
  • Comment cela ?
  • Parce que mon bureau d’informations, dont je viens de recevoir le rapport, ne me signale aucune agitation dans les tribus. S’il était arrivé quelque chose, les Arabes le sauraient avant nous.

Nous reproduisons cette conversation sans l’accompagner d’aucun commentaire, nous bornant à en affirmer l’exactitude textuelle. Nous pensons cependant qu’elle peut servir à faire connaître un ordre de choses dont peu de personnes se doutent en France, même dans l’administration.

Le Désert

Au sud des Sebkas s’étend le Désert. Nous n’avons pas la prétention d’en donner la description. Disons seulement que l’idée qu’on s’en fait généralement en France n’est pas absolument exacte et les immenses plaines de sable ne constituent pas à elles seules le Sahara.

Aussi le nom générique de désert dont se servent les Européens n’a-t-il pas de signification pour les indigènes. Us ont des qualificatifs spéciaux pour désigner les différentes parties du Sahel qui s’étend du Nil à l’océan atlantique.

Dans cet espace immense qui compte peut-être 120,000 lieues carrés, l’Arabe distingue les forêts, Choba; les terrains rocailleux, Sérir; les montagnes, Djebel ou Nedjed et les sables mouvants, Ghoudy la partie la plus dangereuse et la plus redoutée des voyageurs. C’est dans cette partie du désert qu’on rencontre parfois les squelettes de toute une caravane morte de soif. Ce sont des montagnes de sabb fin, obéissant comme des flots aux vents du désert. Dans les ravins qui séparent ces dunes mouvantes on ne trouve aucun être animé sauf quelques vipères, quelques scorpions et des puces énormes à côté desquelles celles même de nos glaciers des Alpes, que Toppfer a appelé le grand kangourou, ne sont que des réductions de puces par un procédé Collas quelconque.

Et cependant les anciens ont parcouru ces lieux désolés. Us sont allés d’Alexandrie au Sénégal et ont pénétré dans l’intérieur de l’Afrique plus loin que nos expéditions n’ont pu le faire. Non seulement ils ont laissé des traces de leur passage par ces ruines, ces Ksours, qu’on trouve encore et dont quelques-uns sont de véritables châteaux forts, mais ils ont conservé les observations de leurs voyages et on retrouve dans les tables de Ptolémée l’indication des itinéraires qu’ils suivaient. Comme la nature change moins que l’homme, ces itinéraires deviendront le jour où on saura s’en servir une source précieuse d’indications et, comme l’a fort bien dit le professeur Berlioux dans ses intéressants travaux sur cette question, permettront de trouver par le nord les accès du continent mystérieux que les Stanley, les Livingstone et les de Brazza ont abordé par le sud, l’ouest et l’occident.

Auteur: Marc Fournel
Extrait de son livre: La Tunisie – le christianisme & l’Islam dans l’Afrique septentrionale – 1880

Source: https://gallica.bnf.fr – Bibliothèque nationale de France

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